Opinion Isabelle Picard

Petit guide d’assimilation

L’été dernier, à Wendake lors d’un souper familial, mes parents se sont mis à parler d’un programme du gouvernement fédéral qui existait dans les années 70.

Le programme, dont j’ignorais l’existence, s’appelait « Off-Reserve ». Grosso modo, comme son nom l’indique, ledit programme allouait une somme de 10 000 $ à tout Indien inscrit qui s’achetait une habitation en dehors de sa réserve, ce qui représentait à l’époque environ 30 % du coût d’une maison. C’est ainsi que mes parents, nouvellement mariés, se sont procuré une petite maison à Val-Bélair, en banlieue rurale de Québec, dans laquelle ils vécurent un peu plus d’un an.

J’ai tout de suite compris pourquoi ce programme avait été mis en place. En sortant les autochtones de leurs communautés, on noie leurs langues, leurs cultures, leurs visions du monde dans une culture dominante qui n’est pas la leur. Leurs enfants iront dans les écoles de quartier, se feront des amis non autochtones et grandiront entourés de la culture majoritaire.

Si la famille nouvellement déménagée réussit à garder une partie de sa langue et de sa culture à la maison, il en sera autrement pour ses petits-enfants.

En l’espace de deux générations, ses particularités culturelles se seront pratiquement éteintes et en trois, ce sera le tour du statut de ses arrière-petits-enfants. Imaginez l’économie pour le gouvernement fédéral.

Je me souviens d’avoir levé les yeux au ciel et de m’être demandé combien d’autres tentatives d’assimilation, sous forme de politiques, de programmes, de lois ont été pensées, développées et mises en place, entre la confédération et aujourd’hui, dans le seul but de faire disparaître non seulement le statut d'Indien, mais aussi toute la culture identitaire y étant liée.

On connaît la Loi sur les Indiens (1876), adoptée dans sa première version en 1869, dans le but de « civiliser » les Indiens du Canada. Traduction : les assimiler. Cette loi paternaliste a notamment imposé la mise en réserve, les conseils de bande, les statuts d’Indiens et a infantilisé les Premières Nations, maintenant et encore aujourd’hui sous la tutelle du gouvernement fédéral, ce qui les rend inaptes à toute décision les concernant. Si bien que jusqu’à la fin des années 80, un fonctionnaire du ministère des Affaires indiennes, un agent indien, était assigné à chaque réserve du Canada, reportant ainsi au Ministère les décisions de la bande, contrôlant et dirigeant toutes les affaires de la communauté.

Cette Loi sur les Indiens faisait aussi en sorte que toute femme des Premières Nations qui épousait un non-autochtone perdait automatiquement son statut d’Indienne, et ce, jusqu’en 1985. Elle devait ainsi quitter sa communauté, amenant une culture et une langue qu’elle avait de la difficulté à transmettre dans un environnement non autochtone, à des enfants non statués de facto. Voyez-vous des liens ici ? C’est ainsi une partie importante du registre des Indiens qu’on efface à grand coup de brosse. Quel savant calcul économique !

On connaît également les pensionnats autochtones, un exil forcé de 150 000 enfants entre 1872 et 1996, les abus, les cicatrices multigénérationnelles, les décès et une perte identitaire énorme et non sans conséquence.

Fait un peu moins connu, l’interdiction, entre 1884 et 1951, de la pratique des rites et cérémonies traditionnelles autochtones.

Tout individu pris la main dans le sac, chantant, dansant ou pratiquant une cérémonie, était notamment passible d’une peine de prison allant de deux à six mois.

En 1969, Pierre Elliott Trudeau et son ministre des Affaires indiennes Jean Chrétien ont mis en place un projet de loi portant le nom officiel de « La politique indienne du gouvernement du Canada », aussi appelé le Livre blanc. Ce document proposait notamment l’abolition du statut d’Indien et de tous les droits s’y rattachant ainsi que l’incorporation des Premières Nations aux responsabilités gouvernementales provinciales. Belle économie, non ? Heureusement, ledit projet de loi n’a jamais vu le jour et a même donné lieu aux premières associations politiques et activistes autochtones.

La rafle des années 60

Puis il y a celle-là, la dernière en lice avant qu’autre chose se déclare, le Sixties Scoop, la rafle des années 60. Entre les années 60 et la fin des années 80 principalement, des enfants autochtones étaient arrachés à leur famille et placés par les services sociaux dans des familles d’accueil ou adoptés, souvent sans le consentement des parents. Ainsi, certains enfants autochtones, notamment dans le programme de la Saskatchewan intitulé Adopt Indian Métis Program, se sont retrouvés dans différents catalogues qui étaient distribués aux parents qui voulaient adopter au Canada comme aux États-Unis. On attribuait parfois une note à l’enfant qu’on achetait sur commande, de la même manière qu’on se procurait un électroménager chez Sears. Ainsi, le gouvernement n’avait plus besoin de subvenir aux besoins de l’enfant puisqu’il était adopté. Économie, quand tu nous tiens.

Aujourd’hui, le gouvernement a mis en place un programme de compensation financière pour les enfants touchés par le Sixties Scoop. L’organisme chargé de gérer le dossier, Collectiva, était en rencontre mardi à Montréal. Des indemnisations de 25 000 $ à 50 000 $. Boucher un trou dans le cœur avec une pelletée de dollars. Un gouvernement qui ne semble pas comprendre qu’une culture et une langue, ça ne se rachète pas, en tel cas cette compensation serait accompagnée d’investissements et de mesures concrètes en ce sens. On donnerait au moins là l'impression de vouloir rattraper les choses.

À faire des économies, on devient parfois radin et sans âme.

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