ATTENTION CHIENS MÉCHANTS

« Je pensais que ma fille était morte »

Recroquevillée sur sa fille de 8 ans, Magdalena Biron attendait la mort. La jeune mère de Brossard ne se trouvait pas dans un pays en guerre, mais à l’entrée du petit parc Marquise. Dans un quartier tranquille où tous les noms de rue commencent par la lettre « M ».

Son aînée et elle étaient assaillies par des chiens.

C’était un dimanche, le 20 septembre 2015. Il faisait 20 degrés au soleil. Avant de suivre sa mère et sa petite sœur Victoria jusqu’au parc, Vanessa avait enfilé son jean blanc et un t-shirt bleu.

Elle ne savait pas encore qu’elle ne se rendrait jamais aux balançoires.

À l’entrée du parc, deux pitbulls l’ont chargée au pas de course. « Ils ont traversé le terrain pour lui bondir à la gorge, raconte Magdalena. Ils l’avaient choisie. »

La petite fille a bien tenté de fuir, mais les deux chiens roux lui barraient la voie tour à tour. « Ils travaillaient ensemble et ils ont réussi à la faire tomber. »

Magdalena hurlait : « Aidez-nous, aidez-nous ! » Mais quand la femme qui avait amené les chiens s’est mise à les frapper avec une branche, ils ont redoublé de férocité. Paniquée, la femme a tiré Vanessa sous sa jupe rouge et jaune.

« Je voyais juste des couleurs, se souvient Vanessa, et par-dessous, les pattes d’un des chiens qui grattaient. »

Le chien a fini par l’attraper. Il a traîné la petite fille avec ses crocs. C’est à ce moment que Magdalena a plongé sur sa fille.

« Vanessa ne bougeait pas du tout, elle ne pleurait même pas. Le chien me mordait le chignon et la tête. Je croyais que ma fille était morte et que j’allais mourir avec elle. »

— Magdalena Biron

En se jetant sur sa fille aînée, Magdalena a perdu de vue sa fille cadette. En une fraction de seconde, elle a dû faire un choix. « Je ne savais pas si l’autre chien était en train d’attaquer ma plus jeune en même temps. Mais je ne pouvais pas me lever et laisser le premier continuer à mordre Vanessa. Même aujourd’hui, je me sens encore coupable d’avoir choisi entre mes deux filles. »

UNE ATTAQUE TOUS LES CINQ JOURS

Selon des statistiques inédites obtenues par La Presse, un enfant a été grièvement mordu au visage tous les cinq jours durant l’été dernier. Une demi-douzaine d’entre eux ont été opérés à l’Hôpital de Montréal pour enfants. Treize autres à l’hôpital Sainte-Justine. Ces derniers ont tous des séquelles permanentes, précise le chirurgien Daniel Borsuk.

Dans toute l’Amérique du Nord, on compte chaque année plusieurs centaines de victimes parmi lesquelles une trentaine meurent.

Par miracle – peut-être parce que Magdalena et Vanessa sont restées immobiles –, elles ont eu la vie sauve, l’un des chiens se contentant de leur tourner autour.

Au bout de plusieurs minutes, le maître est finalement apparu et a traîné ses molosses par les pattes arrière, sans un mot, avant de s’enfermer chez sa mère. C’est elle qui avait emmené les chiens au parc à sa place, mais elle n’en était pas la propriétaire.

« J’étais encore couchée sur ma fille quand la police est arrivée, relate Magdalena. Vanessa m’implorait d’appeler l’ambulance ; j’entendais les sirènes. Je répétais : ça va aller, ça va aller… »

La fillette avait la tête tournée, le côté charcuté de son visage reposant dans l’herbe. Les secouristes l’ont emportée à toute allure, empêchant ainsi Magdalena de voir la joue arrachée et le crâne défoncé. La maman s’inquiétait donc pour la main de sa fille, visiblement fracturée. « Je me disais : Vanessa doit voir un médecin, mais ce n’est pas si pire. »

LE CHOC

Dans l’auto de son mari, qui fonçait vers l'hôpital Sainte-Justine, Magdalena s’est évanouie. Les deux parents se sont ensuite inquiétés sur les chaises de cuirette d’une salle d’attente. « Tout le monde refusait de répondre à nos questions. À 22 h, on a appris qu’ils allaient opérer en plastie. »

L’hôpital a confié l’intervention au Dr Daniel Borsuk, qui a réussi la première greffe du visage sans cicatrice jamais tentée au Canada. Lui-même père, le spécialiste a passé une bonne partie de la nuit à étudier les images des dégâts en haute définition.

« Le lendemain matin, il s’est présenté en disant : ‟Bonjour, je vais m’occuper de votre fille pour les 20 prochaines années” », se souvient Bernard Biron.

« On a appris d’un coup sec que Vanessa s’était fait arracher un nerf et resterait paralysée. Que sa glande salivaire et le canal de son oreille avaient été avalés. Qu’elle avait l’os de la mâchoire broyé et qu’on ne retrouverait peut-être pas tous les morceaux. Que les éclats d’os de son crâne auraient pu endommager sa matière grise… J’essayais de tout absorber. Mais j’avais juste le goût de me rouler par terre en petite boule », a-t-il ajouté.

HUIT HEURES SOUS ANESTHÉSIE

L’opération a duré huit heures. Le neurochirurgien Louis Crevier a réparé le crâne de Vanessa. Le Dr Borsuk a installé des plaques de métal pour remplacer sa mâchoire. Il a repéré et reconnecté des nerfs pour ressusciter les mouvements de son visage. « C’est un magicien. Il a opéré avec un microscope, couche de peau par couche de peau ! », s’exclame Bernard Biron.

Lorsque Vanessa s’est réveillée, bourrée d’antidouleurs, sa bouche n’ouvrait plus du tout, fermée par des vis et des élastiques. La petite ne comprenait pas ce qui se passait. « Elle pleurait et ça faisait des bruits inhabituels », se souvient Bernard Biron, le cœur serré.

Bouleversée, la petite sœur de Vanessa s’est sauvée. « C’était trop dur pour elle. Même à la maison, elle s’enfermait. » Mais très vite, la benjamine au grand cœur a voulu veiller Vanessa avec sa mère. « On dormait près d’elle, parce que les médicaments pouvaient la faire vomir, explique Magdalena. Elle aurait pu s’étouffer si c’était arrivé sans qu’on coupe les élastiques qui fermaient sa bouche. »

Pendant un mois et demi, Vanessa a été nourrie à la seringue, puis à la paille. Sa mère lui a liquéfié une lasagne au mélangeur. Son père lui cuisinait de la soupe maison. « Mais à la fin, elle avait juste la peau et les os ; elle faisait peur », dit-il.

Dix jours après l’attaque, Vanessa a même failli mourir pour la deuxième fois. « Des bactéries étaient entrées dans son crâne. Il a fallu qu’elle reçoive des antibiotiques pendant un mois, à travers un tuyau qui remontait l’une de ses veines jusqu’à son cœur. »

LA VIE AVEC UN CASQUE

À l’époque, Vanessa cachait son visage à demi-paralysé derrière ses longs cheveux lisses. Elle pleurait en se voyant dans le miroir. Aujourd’hui, la jolie petite fille sourit à nouveau, et la cicatrice qui relie son oreille à son menton est de plus en plus discrète.

Mais rien n’est encore gagné. « Les choses n’évolueront pas forcément dans la bonne direction, expose Bernard Biron. Si jamais le nerf se connectait mal, Vanessa pourrait se mettre à avoir des mouvements involontaires. »

Pour l’instant, tout va bien. La petite fille vient de renouer avec sa passion, le patinage artistique. Lorsqu’elle a appris qu’elle ne pourrait plus virevolter sans porter un gros casque de hockey, elle s’est d’abord mise à pleurer, prête à tout abandonner.

Mais sa petite sœur a convaincu Vanessa de changer d’idée en décidant de porter elle aussi un casque avec une grille. Elle l’a même étrenné la première sur la patinoire. Magdalena se souvient avec émotion des mots de sa cadette. « Elle a dit : ‟Vanessa, on sera pareilles. Ça va nous protéger toutes les deux !” »

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