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Célèbres et responsables ?

Vos enfants les adulent. Ils s’habillent comme eux, adoptent leurs expressions et les considèrent comme des demi-dieux. Avec la proximité que permettent YouTube et les réseaux sociaux, les idoles d’aujourd’hui semblent plus accessibles que celles d’autrefois. Devenus les modèles d’une génération, parfois malgré eux, des youtubeurs et des vedettes de l’émission La voix junior nous expliquent comment ils composent avec cette immense responsabilité. UN DOSSIER DE SILVIA GALIPEAU ET D'OLIVIA LÉVY

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Grands frères 2.0

Ils font des « challenges », des niaiseries, quelques folies, sans (trop) se prendre au sérieux. Mais parfois si. Comme pour faire le récit de leur coming out, de leur augmentation mammaire ou, pourquoi pas, de leur transition. À voir les foules excitées qui les suivent, ça ne fait aucun doute :  les youtubeurs, parfois malgré eux, sont manifestement les nouvelles idoles des jeunes. Que faut-il en penser ?

Un petit mardi soir comme un autre. Mais au cinquième étage du Centre Eaton, c’est la fête. Popcorn, bonbons et jus d’orange coulent à flots. Le musée Grévin Montréal fête le lancement du tout premier livre de PL Cloutier. Et des centaines de jeunes se sont acheté des billets pour y assister.

PL qui ? PL Cloutier, un youtubeur suivi par près de 300 000 abonnés, qui délire quotidiennement sur le web, à faire frire des trucs bizarres dans sa friteuse ou tester des produits avec des invités choisis. Entre un « bon verre de vin » et 100 couches de Nutella, le jeune homme de soi-disant « 25 ans » passe aussi quelques messages plus personnels, notamment au sujet de son coming out, de son homosexualité, bref, de la diversité.

Dans Toute va ben été, publié cette semaine aux Éditions de l’Homme, PL Cloutier fait le récit « sans prétention » de « ce que la vie [lui] a appris… ou pas », rit-il en entrevue.

« Je fais des vidéos parce que j’avais envie d’en faire », précise d’emblée celui qui a longtemps voulu percer à la télé. S’il est devenu par la bande et sur YouTube un modèle pour des milliers de jeunes, « tant mieux ». « Mais ce n’est pas un rôle que je me donne, dit-il. Je me permets des impertinences… »

Un modèle authentique

Dans son livre, il propose plusieurs réflexions qui lui confèrent plus ou moins un rôle de « grand frère », notamment son récit entourant le bal des finissants (trop d’attentes), l’alcool (la tequila, c’est non !) et bien évidemment son coming out (jamais terminé).

Dans la foule venue l’applaudir mardi soir, beaucoup de jeunes filles ont indiqué apprécier son humour et son authenticité, et quelques garçons, son ouverture. Un couple pansexuel de 20 ans nous a aussi confié que c’était grâce à PL Cloutier qu’ils arrivaient aujourd’hui « à s’affirmer en tant que qui ils sont. C’est-à-dire en tant que pansexuels [contrairement aux bisexuels, ils rejettent la binarité des genres] ».

« Parce qu’il manque de modèles, effectivement. Il a changé notre façon de voir les choses. Il nous a fait voir les choses plus positivement. »

— Kathy, 20 ans, et Maxime, 21 ans

Parmi les parents présents, beaucoup ont avoué peu connaître le personnage. D’autres ont dit apprécier son ouverture, voire sa légèreté. « J’ai finalement compris, rit une mère. Il y a beaucoup de choses très sérieuses dans la vie, mais ici, YouTube, c’est un espace pour rire. » Bien sûr, elle aurait préféré que les modèles de ses enfants soient plus « inspirants », glisse- t-elle, voire « engagés ». Faute de quoi, croit-elle, « il faut, comme parents, leur offrir d’autres modèles, pour qu’il y ait un équilibre. Il faut bien les accompagner ».

Une responsabilité ?

Accaparés par leurs fans qui leur quémandaient sans cesse des égoportraits, plusieurs youtubeurs présents au lancement nous ont tout de même signalé prendre leur rôle de modèles au sérieux. À commencer par Gabrielle Marion, youtubeuse trans de 24 ans (25 000 abonnés), qui a précisément changé l’angle de sa chaîne pour documenter sa transition. « Avant, je faisais de la beauté pour le fun, mais quand j’ai commencé ma transition, j’ai changé le sujet de ma chaîne pour aider les gens, dit-elle. Je voulais montrer ce que c’est, comment ça fonctionne. Parce que moi, plus jeune, j’aurais aimé qu’on me dise tout ça. Un trans, je n’ai pas su que ça existait avant d’avoir 18 ans ! », signale-t-elle, glissant au passage ne pas faire des vidéos que pour les gens « comme [elle] », mais aussi pour « ouvrir un peu la pensée des gens ».

Même concept de la « responsabilité » de la part de Fred Bastien, qui, avec ses 32 000 abonnés, confirme : « L’oncle de Spider-Man lui a dit : “With great power comes great responsibility !” »

Ayant lui-même arrêté de manger de la viande il y a 12 ans « à la base à cause d’un band ! », il sait à quel point un fan peut être influencé par ses idoles. « Je n’ai jamais aspiré à ça, signale-t-il en toute humilité, mais je sais que ça arrive. » D’où son sens de la responsabilité : « Notre intégrité, c’est tout ce qu’on a. Il y a des jeunes qui nous écoutent, et qui peuvent prendre tout ce qu’on dit pour du cash, avance-t-il. Alors nous, on a une tribune, et il faut essayer d’être à la hauteur du privilège que l’on a d’être écoutés. »

96 % des jeunes de 13 à 24 ans font un usage régulier de YouTube. Onze heures par semaine en moyenne.

La très populaire Emma Verde (plus de 500 000 abonnés et des dizaines de messages privés reçus chaque jour) s’est rendu compte de son influence en rencontrant des abonnées (surtout des jeunes filles) carrément habillées comme elle. Du coup, non, elle ne fait pas la promotion de n’importe quoi. « Il faut savoir qu’en tant qu’influenceurs, on a énormément de demandes [de la part des marques], dit-elle. Mais moi, les produits amaigrissants et le fast-food, je dis non. Mon public est assez jeune, ce ne serait pas correct. Je ne vois pas le but. Je préfère parler de marques comme Tampax, qui font des campagnes sur la confiance en soi. »

Des questions éthiques

Reste que parfois, les sujets abordés par les youtubeurs sont plus controversés. On pense à Cam Grande Brune (près de 50 000 abonnés, majoritairement âgés de 18 à 35 ans, dit-elle), qui, après quelques hésitations, a finalement décidé de documenter son augmentation mammaire. « De toute façon, justifie Camille Ingels-Fortier, il ne faut pas se cacher les yeux. Ça existe dans la vie. Alors, tant qu’à être confronté, aussi bien l’être d’une manière ouverte. »

L’éditeur d’Infopresse, Arnaud Granata, a soulevé dernièrement sur les ondes de Télé-Québec plusieurs questions éthiques quant au contenu diffusé par les youtubeurs, justement. « On sait que les influenceurs se font offrir des interventions esthétiques moyennant une certaine visibilité. Cela vient poser plusieurs questions, quand on sait par ailleurs que l’industrie ne réglemente pas l’internet comme les médias traditionnels. Il y a bien des ajustements à faire », dit-il en entrevue.

Jeudi dernier, le Collège des médecins s’est finalement prononcé contre de telles pratiques : « offrir des soins médicaux gratuitement à ces influenceurs en échange d’une visibilité est un avantage qui est proscrit ». Il invite également à la « prudence » face au « marketing d’influence ».

De leur côté, les Normes canadiennes de la publicité (NCP) ont certes publié récemment une série de bonnes pratiques pour les réseaux sociaux, mais elles tardent à être appliquées.

Le studio Le Slingshot, qui représente des youtubeurs, a à ce sujet une politique de « transparence à 100 % ». Un document diffusé à l’interne dresse une série de « bonnes pratiques » à respecter, au sujet des collaborations avec les marques, notamment.

« Il n’y a rien qui vaut plus que le lien de confiance entre le youtubeur et sa communauté. »

— Gabrielle Madé, directrice du studio Le Slingshot, qui représente des youtubeurs

Quant à savoir s’il est éthique ou non de recevoir gratuitement une augmentation mammaire, la directrice renvoie ici la balle au Collège des médecins. « Camille, elle, a présenté sa démarche dans la sincérité. Et elle le rend en ligne, fait-elle valoir. Attention de ne pas être plus sévère avec les youtubeurs qu’avec les autres médias… »

À ses yeux, YouTube est d’ailleurs loin de ne vendre que du divertissement et du vent. « Moi, je pense personnellement que YouTube change le monde pour le mieux. Parce que YouTube brise l’isolement. » Citant les PL Cloutier et autres Gabrielle Marion de ce monde, elle conclut : « Je suis convaincue qu’ils sauvent des vies. »

YouTube en chiffres

L’influence de YouTube est considérée comme « sans précédent » par de nombreux observateurs.

Trois raisons expliquent cette influence :  la proximité, l’accessibilité et l’authenticité des youtubeurs.

32 % des jeunes de 13 à 17 ans disent préférer les youtubeurs comme modèles (aux vedettes de la télé ou du cinéma)

52 % des 18 à 24 ans se sentent « plus proches » des youtubeurs que des vedettes traditionnelles.

61 % des 13 à 17 ans affirment que les youtubeurs « aiment » les mêmes choses qu’eux.

Source : Defy Media (2015)

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La nouvelle responsabilité d’Alex Nevsky

La voix junior 2 est regardée, le dimanche soir, par en moyenne un peu plus de 1,8 million de téléspectateurs à TVA. Un public très familial, composé de nombreux enfants pour qui les coachs sont devenus, tout naturellement, des modèles.

Depuis que l’auteur-compositeur-interprète Alex Nevsky occupe ce poste à La voix junior, il sent qu’il a une vraie responsabilité envers les jeunes. « Avant, ça me dérangeait de porter cette responsabilité. Quand j’ai sorti mon album Himalaya mon amour, je voyais bien que des enfants chantaient les "pa pa pa pa" [de sa chanson On leur a fait croire], mais je n’avais pas envie d’avoir ce poids. En côtoyant les jeunes à La voix junior et en devenant coach, tout a changé », dit-il.

« Ne serait-ce que sur mes réseaux sociaux, je ne peux pas mettre n’importe quoi, parce que je sais que les jeunes sont des éponges. J’ai envie que mes plateformes restent un lieu sain pour les enfants. »

— Alex Nevsky

Alex Nevsky souhaite transmettre des messages positifs. Une des valeurs les plus importantes à ses yeux est l’honnêteté envers soi-même. « Les enfants apprécient l’authenticité encore plus que les adultes. L’affirmation de soi est aussi très importante. Je me fais le devoir de dire à ces jeunes qu’on n’est pas obligé d’avoir toujours au départ les meilleures dispositions pour arriver à ce qu’on veut faire dans la vie. »

Le défi de Maripier Morin

« Quand tu fais une émission qui est destinée aux jeunes, c’est là que tu réalises à quel point tu as un impact sur eux », lance Maripier Morin, qui est la « grande sœur » dans La voix junior 2, et qui a participé à l’émission Code F à VRAK. Elle sent, elle aussi, qu’elle a une responsabilité et qu’elle doit faire attention à ce qu’elle dit. Elle souhaite incarner un modèle positif.

« Ce n’est pas toujours facile pour moi, car j’ai un langage assez coloré. Je suis très spontanée, je n’ai pas beaucoup de filtre, alors je dois faire attention à ce que je dis en entrevue et à la façon dont je m’exprime. »

— Maripier Morin

Alex Nevsky se souvient qu’il avait, lui aussi, des modèles quand il était plus jeune. « Les Ninja Turtles étaient mes premiers modèles ! s’exclame-t-il. Ils avaient de belles valeurs, comme la fraternité. » Il évoque aussi des rappeurs français et américains, comme Eminem. « Je ne comprenais pas tout étant petit, mais quand je réécoute mes modèles de l’époque, je vois qu’ils sont complètement misogynes et je me dis vraiment, ne serait-ce que dans mon propre comportement, que j’ai des responsabilités. »

Alex Nevsky ne sait pas où commence et se termine cette responsabilité, mais chose certaine, il a la volonté d’inspirer les jeunes à réaliser leurs rêves. « Je suis un peu utopiste, mais j’ai l’impression que dans un modèle, il y a quelque chose de merveilleux dans cette idée de transmission de valeurs. J’ai envie d’inspirer, d’écouter les autres, d’être disponible pour les jeunes et d’être sur le même pied qu’eux. »

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