Mythe ou réalité ?

« Otites à répétition ? Il faut des tubes dans les oreilles. » Vraiment ?

La croyance

En bas âge, certains enfants contractent des infections aux oreilles. Parfois à répétition. Est-ce qu’il faut faire poser des tubes dans les tympans de notre petit qui a des otites récurrentes ?

La réalité

« Ce n’est pas une obligation, tranche d’emblée Annie Lapointe, oto-rhino-laryngologiste au CHU Sainte-Justine. Chaque parent décide ce qui est bon pour son enfant. » Il est possible de traiter une otite d’origine bactérienne avec des antibiotiques. L’option de mettre des tubes dans les tympans est intéressante, selon elle, car cela diminue le nombre et la sévérité des otites, tout en permettant d’éviter la prise d’antibiotiques par la bouche et ses effets sur la flore intestinale. La Dre Lapointe recommande la pose de tubes lorsqu’un enfant a trois otites séparées d’un mois en moins de six mois ou quatre otites ou plus au cours d’une même année. « Avec une otite qui ne guérit pas malgré tous les traitements antibiotiques – même intraveineux –, des otites qui causent des convulsions fébriles ou des enfants qui ont des allergies sévères aux antibiotiques, même s’ils ne correspondent pas aux critères [établis], on va être un petit peu plus proactif », ajoute-t-elle. Initier son enfant au nettoyage nasal (Sinus Rinse, Hydrasense) est une bonne façon d’éviter les otites, souligne la Dre Lapointe.

ENFANCE

Un lien entre les infections nombreuses et les risques de maladie mentale ?

Depuis une dizaine d’années, plusieurs chercheurs avancent que les enfants qui ont eu plusieurs infections durant l’enfance ont un risque plus élevé de maladie mentale. Une vaste étude danoise sur 1 million de patients confirme que c’est le cas. Les mécanismes en cause demeurent toutefois mystérieux.

Le contexte

« Plusieurs études ont observé une plus grande fréquence de troubles affectifs comme la dépression et la schizophrénie chez les jeunes adultes ayant souvent été hospitalisés pour des infections graves quand ils étaient enfants », explique l’auteur principal de l’étude publiée dans la revue JAMA Psychiatry, Ole Köhler-Forsberg, de l’Université d’Aarhus. « Mais on ne savait pas si c’était un sous-groupe ayant de multiples symptômes provenant d’une vulnérabilité génétique sous-jacente, ou s’il s’agissait d’un effet des infections sur le cerveau en développement. On n’avait pas non plus de données sur les infections moins graves, qui n’avaient nécessité qu’une visite chez le médecin de famille. »

La genèse

Le psychiatre danois et son équipe ont épluché les dossiers médicaux de 1 million de Danois suivis pendant une moyenne de 10 ans depuis l’enfance ou l’adolescence. « Nous avons toutes les visites, les hospitalisations, dit le Dr Köhler-Forsberg. Ce qui manque, et qui serait intéressant, est l’utilisation d’antibiotiques et les rapports des parents sur les infections n’ayant pas nécessité une visite médicale. »

Ce que révèle l’étude

Les hospitalisations pour des infections augmentaient le risque de diagnostic psychiatrique de 84 % et d’utilisation d’un médicament psychiatrique de 42 %. « Ça ne veut pas dire que les infections causent des problèmes psychiatriques, prévient le psychiatre danois. Et c’est une augmentation de risque deux fois moins élevée que si on a un parent ayant un diagnostic psychiatrique. Il ne faut pas s’inquiéter chaque fois que son enfant a un rhume ou une otite. Beaucoup de travail reste à faire. » Le Dr Köhler-Forsberg pense qu’à terme, une meilleure compréhension du phénomène permettra de créer des sous-groupes à l’intérieur des troubles psychiatriques, selon qu’ils ont un lien ou non avec le système immunitaire. « Certains chercheurs proposent que les maladies mentales sont parfois des troubles auto-immunitaires. Il y a des liens importants au niveau du système nerveux entre les organes gastro-intestinaux et le cerveau. Beaucoup de troubles psychiatriques ont d’ailleurs des composantes somatiques importantes à ce niveau, des maux de ventre chez les anxieux, par exemple. J’entends souvent mes collègues gastroentérologues parler de patients chez qui tous les tests ont été négatifs et qui finalement ont un diagnostic d’anxiété ou de dépression avec une médication qui règle leurs symptômes gastro-intestinaux. » Il faut noter que les plus graves de ces maladies sont relativement rares. Le risque qu’une personne ait un diagnostic de schizophrénie durant sa vie, par exemple, est de 0,5 %. Si ce risque augmente de 80 %, on passe à un risque de 0,9 % durant sa vie.

Et maintenant ?

Dans l’immédiat, les résultats danois confirment qu’il est bénéfique de réduire l’utilisation inutile des antibiotiques. « Beaucoup d’otites, par exemple, sont d’origine virale, dit le psychiatre de l’Université d’Aarhus. Dans ce cas, les antibiotiques ne servent à rien. Mais les parents dont l’enfant ne dort pas parce qu’il a mal à l’oreille ne veulent pas attendre les résultats des tests pour donner un antibiotique qui a une chance sur trois ou quatre d’être utile. Il faut mieux expliquer l’importance d’attendre une journée avant de prendre les antibiotiques, pour laisser la chance au corps de l’enfant de combattre seul le virus si c’est l’agent responsable de l’otite. » À moyen terme, le Dr Köhler-Forsberg veut mieux comprendre comment certains gènes sont à la fois liés au système immunitaire et au cerveau, ainsi que les effets des médicaments psychiatriques sur le système immunitaire.

EN Chiffres

1160 : Nombre de prescriptions d’antibiotiques pour des enfants de moins de 5 ans au Canada en 1996*

1000 : Nombre de prescriptions d’antibiotiques pour des enfants de moins de 5 ans au Canada en 2011*

870 : Nombre de prescriptions d’antibiotiques pour des enfants de moins de 5 ans au Canada en 2013*

* Données par 1000 enfants

Sources : Clinical Infectious Diseases, Parents Today

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