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Le budget fédéral présenté mardi par le ministre Bill Morneau a continué de faire jaser, hier. Tour d’horizon.

Budget fédéral

Les femmes d’affaires satisfaites du « budget rose »

Les mesures d’aide pour les femmes en affaires dans le budget Morneau, parfois surnommé le « budget rose », sont bien accueillies. Certaines se réjouissent de voir qu’Ottawa reconnaît les problèmes auxquels les femmes se heurtent, alors que d’autres parlent d’« objectif noble » et de « pas dans la bonne direction », malgré quelques petites critiques.

Sévrine Labelle présidente-directrice générale de Femmessor

« En tant qu’organisme dédié à l’entrepreneuriat féminin, c’est sûr que nous sommes très satisfaites. Il n’y a encore que 16 % des entreprises qui sont détenues à majorité par des femmes. Il y a un immense potentiel. Si on réussit à en ajouter pour qu’elles rejoignent celles détenues par des hommes, on parle de milliers de nouvelles entreprises. »

« Le gouvernement veut lancer un message fort pour s’assurer que la moitié de la population puisse jouer son rôle sur la scène économique. Pour cela, il faut qu’il donne lui-même l’exemple, à la fois avec de l’argent et avec des mesures comme le congé de paternité, la représentation des femmes parmi les investisseurs en capital de risque et les modifications à sa chaîne d’approvisionnement. »

Ruth Vachon présidente du Réseau des femmes d’affaires du Québec (RFAQ)

« Ce qu’il y a de plus intéressant dans ce budget, c’est que le gouvernement reconnaît que les femmes font face à des obstacles persistants et accepte d’aborder la question de front. La mesure qui me réjouit le plus, c’est l’intention du fédéral d’augmenter à 15 % la part des marchés publics fédéraux à des PME dirigées par des femmes.

« Les gens n’ont peut-être pas idée de ce que ça peut représenter, mais le gouvernement fédéral est le plus gros acheteur de biens et de services au Canada. Ça, c’est une mesure concrète qui peut avoir beaucoup d’impact. Au RFAQ, ça fait des années qu’on parle de l’importance de cet enjeu. C’est donc une victoire significative pour nous ! Ce que j’espère maintenant, c’est que ce geste significatif permette d’influencer d’autres gouvernements et aussi des grandes entreprises. Bref, que ce soit le début d’un changement de pratiques d’affaires qui permette aux femmes de prendre leur juste place comme fournisseurs de biens et de services. »

Martine Hébert vice-présidente principale et porte-parole nationale, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI)

Le tiers des 110 000 entreprises membres ont une femme comme propriétaire ou copropriétaire.

« Dans l’ensemble, ce sont de bonnes mesures. Mais ce qui est dur à cerner, c’est la stratégie globale. Ce modèle est basé sur ce qu’on fait dans les pays scandinaves où on a cette approche de développement de l’économie basée sur le genre. […] Mais là, les mesures sont disséminées un peu partout. Je ne suis pas arrivée à voir une vue d’ensemble avec un montant global. Pas plus qu’on a trouvé de projet très structurant d’un point de vue économique.

« L’objectif est noble, mais est-ce que les moyens mis en place vont porter leurs fruits ? Est-ce qu’on va voir les résultats ? Quels sont les indicateurs de performance dont on s’est doté ? À quoi s’attend-on comme retour ? Et combien compte-t-on investir au total dans cette stratégie d’égalité ? Pour moi, ce n’était pas clair. »

Caroline Codsi présidente et fondatrice de La gouvernance au féminin

« Si on veut plus de femmes dans les conseils d’administration, il va falloir prendre des mesures avec un vrai impact. Il y a un projet de loi au Sénat [C-25] qui demande aux entreprises de divulguer la représentation féminine dans leurs organes décisionnels. C’est un copier-coller de règlements déjà mis en vigueur dans les autorités des marchés financiers de presque toutes les provinces depuis trois ans et dans les faits, ça ne sert à rien. Le taux de femmes dans les conseils d’administration est passé de 11 % à 14 % en trois ans.

« Un groupe de six sénateurs propose des amendements qui forceraient les entreprises à se fixer un objectif elles-mêmes, selon leur contexte et leur industrie, et à l’atteindre.

« Parmi les entreprises cotées en Bourse, celles qui se sont établi des objectifs comptent 26 % de femmes au conseil, contre 12 % dans les autres. C’est évident que ça produit des résultats. »

Judith Fetzer copropriétaire de Cook it, une entreprise montréalaise fondée en 2014 qui livre à domicile des repas en boîtes prêts à cuisiner

« C’est très cool qu’on passe de la parole aux actes. C’est vrai que les femmes traînent encore la patte au Canada en entrepreneuriat. Même s’il y en a plus qu’avant. Moi, je suis soutenue par Femmessor depuis le début, et l'organisme m’a aidée psychologiquement. S’il y a plus d’organisations du genre grâce au budget, je suis pour ça, car ça aide concrètement. En tout cas, moi, ça m’a aidée. Il n’y a pas juste les sous dans la vie. 

« Quand j’ai lancé Cook it, je suis tombée enceinte peu de temps après, ce qui n’était pas prévu. Pendant deux ou trois mois, on était alarmiste avec moi et on me demandait si j’allais fermer mon entreprise. Un jour, Femmessor m’a dit que la maternité et l’entrepreneuriat, c’était compatible. C’est une anecdote que j’aime raconter, car c’est la chose qui m’a le plus rassurée dans ce périple psychologique. Et ce n’est pas la banque qui m’aurait dit ça ! »

Véronique Proulx PDG de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEC)

L’association compte 1100 entreprises, dont une vingtaine détenues par des femmes.

« La stratégie pour les femmes entrepreneures est bien accueillie par les manufacturiers. On voit dans les données que 1 entreprise sur 16 au Canada est détenue par une femme et dans le manufacturier, c’est certainement encore un plus petit nombre. »

Vos deux mesures préférées ? « La BDC organisera des camps spécifiques pour soutenir les femmes entrepreneures dans les enjeux qu’elles rencontrent et la hausse [de 10 à 15 %] des quotas d’approvisionnement du gouvernement par des PME appartenant à des femmes entrepreneures. »

Budget fédéral

Via Rail veut acheter 32 trains

Au lendemain du dépôt du budget fédéral, qui lui a donné le feu vert, Via Rail a fourni hier quelques précisions sur son intention de renouveler son parc de trains pour améliorer son service dans le corridor Québec-Windsor.

32 trains

Au total, Via Rail souhaite mettre la main sur 32 trains, incluant locomotives et voitures. Le nombre de voitures n’est pas précisé, mais elles devront fournir une capacité totale d’environ 9100 sièges. Le parc actuel compte 160 voitures et 40 locomotives, pour environ 9100 sièges lui aussi. Les voitures devront être accessibles aux personnes handicapées, ce qui n’est pas le cas pour la plupart des voitures actuelles.

Locomotives hybrides

Les locomotives devront être capables de fonctionner à la fois au diesel et à l’électricité. Dans le premier cas, elles devront respecter les normes « Tier 4 », ce qui fait en sorte qu’elles seront moins polluantes que les locomotives qu’elles remplaceront.

Elles devront aussi être capables d’utiliser l’électricité comme source d’énergie, au cas où le gouvernement fédéral donnerait son accord au projet de train à grande fréquence de Via dans le corridor Québec-Windsor, et qu’il y retiendrait l’option de l’électrification.

Finalement, elles devront pouvoir fonctionner dans les deux sens, en tirant ou en poussant le train, de façon à éviter les délais actuellement causés par l’obligation de retourner les trains.

2022

Si tout se déroule comme prévu, l’appel d’offres pour ce projet de remplacement sera lancé dans la deuxième moitié de 2018 et Via Rail s’attend à recevoir ses premiers trains en 2022. La commande serait terminée en 2024.

À ce moment, il y aura plus de 40 ans que les voitures LRC conçues par Bombardier, qui constituent environ 70 % du parc de Via Rail dans ce corridor, seront entrées en service (1981).

Pas de contenu local

Selon Via Rail, son processus d’acquisition de ce nouveau parc sera « conforme aux normes et aux réglementations les plus strictes de l’industrie établies, y compris les dispositions énoncées dans les accords commerciaux internationaux ». En clair, cela signifie que l’appel d’offres ne comportera aucune exigence de contenu local, a expliqué une porte-parole, Mariam Diaby. Les accords internationaux dont le Canada est signataire empêchent une de ses sociétés de la Couronne d’imposer un seuil de contenu local, a-t-elle affirmé.

big data

Beaucoup d’argent, mais pas de stratégie

Ottawa va consacrer plus d’un demi-milliard de dollars d’ici cinq ans, et 52 millions par année par la suite, à aider les scientifiques canadiens à exploiter le big data – qu’on appelle aussi données massives ou mégadonnées –, ces masses de données générées par l’activité numérique, qu’il s’agisse des médias sociaux, de la recherche médicale ou du suivi par satellite du transport maritime. 

Si des chercheurs saluent l’investissement fédéral, des entrepreneurs technos déplorent qu’il ne soit pas accompagné d’une stratégie nationale de mise en valeur de ces données massives et de protection de la vie privée.

L’aide fédérale, annoncée mardi dans le budget Morneau, sera affectée principalement à l’amélioration du réseau de superordinateurs géré par Calcul Canada, un organisme fédéral qui vise à fournir des services informatiques de pointe aux chercheurs canadiens.

Cet investissement est un très bon signal quant à l’intérêt du gouvernement Trudeau envers les données massives, estime Gilles Savard, directeur général de l’Institut de valorisation des données (IVADO), un centre de recherche affilié à l’Université de Montréal, HEC Montréal et Polytechnique.

« L’IVADO est un grand consommateur des capacités de calcul et de stockage de Calcul Canada, dit-il. Cet argent va servir à mieux s’adapter aux données que nous utilisons dans le cadre de nos recherches en intelligence artificielle, par exemple. »

Les ordinateurs utilisés par Calcul Canada et sa filiale Calcul Québec coûtent des centaines de milliers de dollars par année rien qu’en climatisation et en alimentation électrique, fait valoir M. Savard. La performance de leurs processeurs doit aussi être sans cesse augmentée.

Stratégie globale

Des chefs d’entreprises technologiques auraient toutefois souhaité qu’Ottawa profite de ce nouveau budget pour annoncer l’adoption d’une stratégie globale sur les données massives.

« Ces données ne sont pas réglementées et touchent des aspects sans cesse croissants de notre pays », a écrit Jim Balsillie, cofondateur de Research in Motion et président du Conseil des innovateurs canadiens, dans une lettre ouverte publiée par le Toronto Star à l’approche du budget.

« Sans stratégie nationale, soutient-il, le Canada risque de devenir non seulement une économie de succursale à bas prix pour les ingénieurs et scientifiques informatiques, mais aussi un État-client, subordonné militairement et politiquement aux pays » qui maîtrisent ces données, comme la Chine et les États-Unis.

Il cite en exemple le réseau social Facebook, « qui a été bâti exclusivement sur le principe de la surveillance de masse », et Google, à laquelle le conseil municipal de Toronto a confié le développement d’un quartier complet de la ville, sous prétexte d’en améliorer l’efficacité grâce à l’accumulation de données.

« Je ne suis pas surpris qu’une telle stratégie ait été omise dans le dernier budget fédéral, parce que le gouvernement commence à peine à réaliser que cela doit être une priorité pour des raisons de sécurité nationale et de prospérité économique. »

— Jim Balsillie, cofondateur de Research in Motion, dans un courriel transmis à La Presse

« Tout le data généré par les villes, les aéroports, les infrastructures de communication est une ressource nationale qui pourrait être utilisée pour créer de la valeur », estime Tim Delisle, PDG de la start-up montréalaise Datalogue, spécialisée dans le traitement des données massives.

Selon Jean-Sébastien Cournoyer, partenaire du fonds de capital de risque montréalais Real Ventures, les gouvernements doivent aussi s’impliquer dans la récolte et la mise en ligne de ces données en vue de soutenir le développement des entreprises canadiennes.

« Le gouvernement devrait-il, par exemple, installer des capteurs au coin des rues – ce qui ne coûterait pas nécessairement très cher – afin de contribuer à l’implantation des véhicules autonomes, et permettre à des entreprises locales de devenir des leaders mondiaux dans ce créneau ? », demande-t-il.

L’entreprise de solutions de paiement montréalaise Lightspeed dessert 50 000 détaillants et restaurateurs qui facturent pour 17 milliards US de revenus par année, fait valoir son PDG Dax Dasilva. « Cela génère une quantité énorme de data que nous mettons ensuite à la disposition de nos clients », dit-il.

« En les croisant par exemple avec des données sur les conditions météorologiques, la circulation automobile ou les changements démographiques qui seraient rendues disponibles à travers une stratégie nationale, nous serions mieux en mesure de les aider à déterminer comment lancer des campagnes publicitaires ou quels rabais annoncer », précise-t-il.

M. Dasilva estime que le commerce des données doit faire partie de la renégociation en cours de l’Accord de libre-échange nord-américain. « Il faut s’asseoir à cette table avec une stratégie en main », affirme-t-il.

Importations en hausse

Selon une étude du département américain du Commerce, les Canadiens ont importé des États-Unis en 2016 pour 28 milliards US de services reliés aux technologies de l’information, soit une hausse de 50 % en 10 ans.

Et encore, notent les auteurs de l’étude, ces sommes ne tiennent pas compte des transactions en apparence gratuites comme les services de courriel, le stockage de données et les médias sociaux.

En janvier, le président français Emmanuel Macron a suggéré que l’Union européenne se dote d’une stratégie nationale sur les données massives afin de contrer la puissance croissante des États-Unis et de la Chine dans ce domaine.

Si l’intention d’Ottawa à ce sujet reste à préciser, une réflexion est en cours au Québec, indique Gilles Savard, de l’IVADO. « Le Comité d’orientation pour la création de la grappe québécoise en intelligence artificielle, auquel je siège, se penche sur cette question et fera connaître son plan stratégique à la fin de mars », dit-il.

Les données massives en chiffres

28 milliards US

Exportations américaines de services reliés aux technologies de l’information au Canada, 2016

14 milliards US

Exportations canadiennes de services reliés aux technologies de l’information aux États-Unis, 2016

4 %

Croissance annuelle des ventes américaines de technologies de l’information au Canada, 2006-2016

2,8 %

Croissance annuelle des ventes canadiennes de technologies de l’information aux États-Unis, 2006-2016

Fiscalité des PME

Ce que le budget vient ou ne vient pas changer

Avec son budget mardi, le ministre des Finances, Bill Morneau, répond aux interrogations de nombreux chefs d’entreprise. Le gouvernement avait provoqué une levée de boucliers en juillet 2017 en annonçant une série de propositions en vue de réformer la fiscalité des PME.

Plus de 21 000 mémoires avaient été soumis aux autorités à l’égard de leurs propositions lors de consultations tenues en octobre.

Pour savoir ce que le budget vient ou ne vient pas changer, La Presse a questionné Benoît Desjardins, associé fiscalité chez Deloitte à Montréal, et Stéphane Leblanc, fiscaliste chez EY.

Comme entrepreneur, peut-on encore fractionner son revenu avec son conjoint et ses enfants ?

Le gouvernement a répondu à la question en décembre dernier avec les propositions législatives relatives à la répartition du revenu. Le budget de mardi ne vient rien changer à cet égard.

En résumé, il est encore possible de fractionner son revenu, par exemple en versant un dividende, avec son conjoint ou ses enfants majeurs si ceux-ci consacrent au moins 20 heures par semaine à l’entreprise. Le fractionnement du revenu avec un enfant mineur n’est pas possible depuis des années.

C’est également possible de fractionner le revenu si les enfants, lorsqu’ils sont âgés de 25 ans et plus, détiennent au moins 10 % des actions de l’entreprise et qu’au moins 90 % du revenu d’entreprise provient de la prestation de services. Cette disposition ne s’applique toutefois pas aux sociétés professionnelles comme un médecin qui s’est incorporé.

Est-ce que le gouvernement a revu à la hausse le taux d’inclusion du gain en capital dans les revenus ?

Non, le budget est muet sur la question, en dépit des rumeurs. Le gain en capital reste imposable à 50 %.

A-t-on encore droit à une exonération sur le gain en capital à la vente de son entreprise ?

Oui, les dispositions exprimées en juillet 2017 qui remettaient en question ce gain en capital en franchise d’impôt ont été laissées de côté en décembre. Depuis, plus rien sur le sujet, y compris dans le dernier budget. 

Les propriétaires d’entreprise continuent donc d’avoir droit à une exonération cumulative de 848 000 $, à certaines conditions. Et cette exonération peut se multiplier entre membres d’une même famille pour une seule entreprise en fonction des structures mises en place.

Il a été question de convertir le gain en capital en dividendes ordinaires. Où en est-on ?

En juillet 2017, le gouvernement a introduit des propositions visant à convertir certains gains en capital (imposables à 50 %) en dividendes ordinaires (imposables à 100 %). En octobre, le pouvoir fédéral a annoncé qu’il n’entendait pas donner suite à ces propositions. M. Desjardins s’attend néanmoins à ce que le gouvernement revienne à la charge.

Va-t-on voir une augmentation du taux d’impôt sur le revenu passif de l’entreprise ?

Non, le taux d’imposition reste à 50 %, pour simplifier. Dans les propositions de juillet 2017, certains scénarios à l’étude avaient pour incidence de faire grimper le taux d’impôt du revenu passif. Finalement, ce n’est pas l’avenue retenue par le gouvernement dans son budget mardi.

Qu’est-ce qui change au sujet du revenu passif avec le budget ?

Le gouvernement Trudeau a choisi de réduire le plafond de 500 000 $ de revenus d’entreprise en deçà duquel le taux réduit d’imposition s’applique. À partir de 2019, quand une entreprise tire 150 000 $ de revenus de placement (« revenus passifs ») par année, elle perdra l’admissibilité au taux réduit de 9 %. L’entreprise sera imposée à 15 % sur son revenu net. Quand le revenu de placement est de 50 000 $ ou moins, il n’y aura aucun impact.

Entre 50 000 et 150 000 $ de revenus passifs dans une année, le plafond de 500 000 $ sera réduit de 5 $ pour chaque tranche de 1 $ de revenus de placement excédant 50 000 $. La mesure touche 50 000 sociétés.

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