Royaume-Uni

Theresa May survit au vote de confiance. Et alors ?

Après avoir perdu de façon magistrale le vote sur son plan pour le Brexit, la première ministre britannique Theresa May a survécu de justesse, hier, à la motion de censure qui a suivi. Sa formule de divorce est rejetée, mais elle reste à la tête du gouvernement conservateur. À quoi peut-on s’attendre à partir de là ?

Comment expliquer la victoire remportée hier par une première ministre qui venait tout juste de vivre la pire défaite politique de l’histoire moderne de Westminster ?

Les deux votes mettaient en jeu des intérêts et des alliances de nature différente. Deux ans et demi après le référendum sur le Brexit, Theresa May avait négocié avec l’Union européenne un accord qui ne faisait l’affaire de personne. Les « Brexiters » purs et durs lui reprochaient d’avoir trahi la cause en gardant trop de liens avec l’UE. Le camp du maintien au sein de la zone européenne trouvait l’entente insatisfaisante lui aussi, pour des raisons inverses.

« Elle a utilisé la pire stratégie en voulant faire plaisir à tout le monde, son approche a divisé le pays au lieu de l’unir », analyse le Daily Telegraph, journal pro-Brexit selon lequel elle aurait plutôt dû « choisir clairement son camp et se battre jusqu’au bout ».

Le vote d’hier, lui, mettait en péril la stabilité du gouvernement et pouvait potentiellement conduire à des élections anticipées dont la majorité des Britanniques ne veulent pas, selon les sondages. À un moment où aucun parti n’est assuré d’une victoire, c’était un pari risqué, autant pour les conservateurs au pouvoir que pour l’opposition travailliste.

Quelles options s’offrent maintenant à Theresa May ?

Theresa May a jusqu’à lundi pour présenter son « plan B » de sortie de crise. Elle peut tenter de repousser la date butoir du Brexit, actuellement fixée au 29 mars. Ça lui permettrait de gagner du temps. Bruxelles s’est montré disposé à une telle prolongation, mais cet accommodement ne viendra pas sans condition, avertit George Ross, de la chaire Jean-Monnet de l’Université de Montréal. La première exigence sera vraisemblablement de présenter un plan d’action précis susceptible d’aboutir à un accord acceptable à la fois pour l’UE et pour une majorité d’élus à la Chambre des communes.

Elle pourrait aussi s’engager à renégocier avec Bruxelles dans les délais prévus, d’ici au 29 mars, ce qui semble peu réaliste. Ou alors opter pour un Brexit sans accord, suivant les vœux des « Brexiters » purs et durs. Mais au mépris des retombées économiques potentielles. Aux yeux des milieux économiques, un divorce sans accord constitue le pire de tous les scénarios possibles.

Une autre option possible : proposer la tenue d’un deuxième référendum sur le Brexit, idée qui gagne du terrain autant chez les travaillistes, dont 71 viennent de signer une lettre en ce sens, que chez certains conservateurs opposés au départ de l’UE.

Quels changements à l’accord conclu avec l’UE pourraient permettre de dénouer l’impasse et de rendre l’accord acceptable pour les deux parties ?

Selon le Financial Times, Theresa May pourrait mettre de l’eau dans son vin pour tenter d’amadouer les « Brexiters » en revenant sur les garanties assurant que la future frontière entre l’Irlande du Nord et l’UE ne serait pas trop étanche. Elle pourrait par exemple proposer que l’union douanière prévue ne soit que temporaire. Ou alors, si elle veut aller chercher des votes « europhiles », elle pourrait tenter de pousser l’union douanière plus loin. Voire de négocier un accord inspiré du fédéralisme canadien, comme le note le Financial Times. En d’autres mots : elle a le choix entre adoucir le Brexit pour le rendre acceptable à ceux qui veulent rester dans l’Union, ou bien le durcir pour contenter les « séparatistes ».

Aucun de ces scénarios n’est assuré d’une majorité parlementaire. Un adoucissement de la formule de divorce risquerait d’avoir des retombées politiques particulièrement catastrophiques pour Mme May, y compris l’implosion de son parti, prévoit le chroniqueur du Financial Times Philip Stephens.

« Un demi-Brexit préservant des liens forts avec l’UE et l’unité du parti relève d’un oxymoron », écrit-il.

Faut-il en conclure que la crise est impossible à résoudre et que le Royaume-Uni est dans un cul-de-sac ?

Pour qu’une issue devienne envisageable, il faudrait que « l’un des scénarios actuellement impossibles devienne possible », dit Brian Lewis, professeur d’histoire moderne de la Grande-Bretagne à l’Université McGill. C’est ce qui arriverait si Theresa May, qui a toujours cherché à apaiser les « Brexiters » radicaux au sein de son parti, se tournait plutôt vers les autres partis, incluant les travaillistes, pour tenter de construire une coalition.

Celle-ci pourrait en arriver à s’entendre sur une formule de divorce préservant de nombreux liens entre Londres et Bruxelles, dont une union douanière, la libre circulation des personnes, l’acceptation de la compétence de la Cour européenne de justice, un peu selon le modèle de la Norvège, qui entretient des liens étroits avec l’UE sans y avoir adhéré en bonne et due forme. Jusqu’à maintenant, Theresa May n’a démontré ni le désir ni les capacités de créer une telle coalition. Mais si toutes les autres voies sont épuisées, elle n’aura peut-être pas d’autre choix.

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