Chronique

Oui aux quotas, parce qu’on est en 2019

On ne peut pas dire que l’ancien premier ministre britannique David Cameron était un progressiste déchaîné. Pourtant, en 2012, il a surpris les foules en brandissant une idée bien féministe, celle des quotas dans les conseils d’administration.

Il y a sept ans, il a lancé que si les grandes entreprises du Royaume-Uni ne se montraient pas capables d’aller chercher des femmes pour leurs C.A. et leurs hautes directions, alors il faudrait peut-être commencer à penser à les obliger à en trouver et à en embaucher.

Parce que la diversité au sein des directions augmente leur efficacité et leur rentabilité, c’est démontré, et donc encourager une telle modernité, c’est encourager la prospérité de toute la collectivité.

Au Canada, sept ans plus tard, ne devrait-on pas poser la même question aux dirigeants de nos grandes sociétés ?

Et ne serait-ce pas le moment idéal pour notre premier ministre, Justin Trudeau, qui est maintenant en année électorale, de mettre lui aussi sur la sellette nos chefs d’entreprise ? Notre premier ministre féministe est-il prêt à ça ?

Parce que le Canada a beau faire meilleure figure que bien d’autres pays à bien des égards côté égalité hommes-femmes, il ne faut pas fermer les yeux : on pourrait faire beaucoup mieux en gouvernance d’entreprises. Et pas juste pour avoir l’air cool sur la scène internationale, mais bien pour créer plus de richesse, pour tout le monde. 

Actuellement, il n’y a pas de quoi se pavaner.

Selon une étude des Autorités canadiennes en valeurs mobilières rendue publique l’automne dernier, et basée sur un échantillon de 648 entreprises à capital ouvert sur lesquelles se sont penchées les autorités de l’Ontario, du Québec, de l’Alberta, du Manitoba, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan, le tiers ne compte aucune femme dans le conseil d’administration. Il y en avait 218 quand le rapport a été publié. Maintenant le chiffre est de 211.

C’est quand même incroyable.

Aucune femme…

De façon générale, 15 % des sièges aux C.A. étaient occupés par des femmes et seulement 13 % des entreprises comptaient deux ou trois femmes dans leur conseil. Bref, 43 % des sociétés ne comptaient qu’une seule femme dans leur conseil d’administration. Incroyable à notre époque.

Autre chiffre aberrant : seulement 4 % des entreprises comptaient une femme à la tête de la direction.

De toute évidence, simplement demander aux entreprises ce qu’elles entendent faire pour devenir paritaires un jour, comme c’est le cas depuis 2015 pour les sociétés canadiennes cotées en Bourse, ce n’est vraiment aucunement suffisant.

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Donc, comment fait-on pour se sortir d’un conservatisme pareil ? Et surtout, d’une telle résistance au changement alors que les recherches des écoles de commerce et de gestion le disent à l’unisson : plus la diversité est grande au sein des équipes de direction, plus la rentabilité est au rendez-vous ?

Parce que comme me le disait récemment Andrée-Lise Méthot, fondatrice et associée directrice chez Cycle Capital Management, il n’est pas question ici d’affirmer que les femmes vont sauver le monde.

C’est à l’importance de la diversité qu’il faut éveiller les gestionnaires et les investisseurs. La diversité qui crée plus de regards, plus d’idées, plus de visions, plus d’analyses différentes, plus de pistes de solution.

Caroline Codsi, fondatrice de l’organisme La Gouvernance au féminin, qui milite et cherche des solutions pour féminiser les postes de direction, croit qu’il est temps d’agir concrètement pour forcer le changement. Attendre, être patient, ça ne marche pas.

Elle qualifie les statistiques de « tout simplement inadmissibles en 2019 » et ne comprend pas que des gestionnaires ne cherchent pas « l’impact positif de la présence de plus de femmes dans les organes décisionnels sur la performance financière des organisations ».

Elle souligne en outre qu’il faut arrêter « les excuses du type “on a cherché des femmes, mais on ne les a pas trouvées” ».

Les femmes sortent des universités en grand nombre, elles travaillent, elles ont de l’expérience. Ce qui leur manque, ce sont des portes ouvertes. 

En outre, « on ne peut plus se permettre, dans un contexte de rareté des talents, de capitaliser sur seulement la moitié du bassin disponible », souligne Mme Codsi.

C’est très vrai.

Si on ne cherche les expertises que dans la moitié des banques de CV, la chance de trouver la qualité optimale n’est pas la même que lorsqu’on ratisse plus large, en allant puiser dans toutes les ressources.

Donc il faut agir plus directement.

Idéalement, le gouvernement pourrait légiférer et forcer le changement. Peut-être au moins écrire aux chefs d’entreprise pour leur demander de bouger ? C’est ce que La Gouvernance au féminin a demandé au premier ministre Justin Trudeau. Hier, à son bureau, on m’a dit qu’on n’avait pas encore pris de décision finale à cet égard.

En Norvège, en France, en Italie et en Allemagne, on a légiféré et il y a maintenant des quotas. En France, on a imposé un pourcentage de 40 % de femmes dans les C.A. Selon des données d’Ethics & Boards, premier observatoire de la gouvernance des sociétés cotées, citées récemment par Le Monde, les entreprises du SBF 120, indice français, affichaient en septembre 2016 un taux de féminisation moyen de 38 % de leurs conseils d’administration ou de surveillance, contre 33,3 % en 2015 et 26,2 % en 2013. Forcées à bouger, les entreprises le font.

Pourquoi ne les pousserait-on pas ici aussi ?

Parlons-en aux candidats aux prochaines élections.

Parce que, après tout, on est en 2019.

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