Jean-Michel Jarre

À la recherche du moment unique

S’il ne faut nommer qu’un seul créateur pour illustrer le rayonnement international de la musique électronique française depuis les années 70, celui de Jean-Michel Jarre – qui s’amène à Montréal – s’impose.

Son père était Maurice Jarre (1924-2009), compositeur rendu célèbre pour ses bandes originales hollywoodiennes, avec qui il n’eut pratiquement aucune relation sa vie durant. Notre interviewé de 68 ans n’a donc rien, absolument rien, d’un « fils de ». Son esthétique illustre une tout autre géographie des sons, dont les ponts élégants relient les territoires organiques de la pop et de l’avant-garde électro, du glamour et du raffinement, de la mélodie soyeuse et de la recherche texturale.

« J’ai toujours considéré que la mélodie doit être au centre de la musique. Du coup, je pense avoir une approche impressionniste des choses, qui est peut-être plus française qu’allemande – robotique et froide comme Kraftwerk ou Tangerine Dream. Je viens de Lyon, la capitale de la cuisine. La musique électronique est pour moi de la cuisine. Mélanger des textures, des boucles, des rythmes, composer de manière organique et sensuelle... », résume Jean-Michel Jarre, joint en Europe peu avant les retrouvailles montréalaises.

Prolifique et collaboratif

Tributaire de la première génération française en recherche électroacoustique (à commencer par Pierre Schaeffer), ce précurseur de l’avant-pop électro vient présenter son nouveau concert au Centre Bell, synthèse d’un intense cycle de création marqué par les sorties successives de trois albums depuis 2015 : une longue série de collaborations réparties en deux opus sous la bannière Electronica ainsi que le troisième volet de la trilogie Oxygène, initiée en 1976 et dont le premier opus s’est vendu à plus de 18 millions d’exemplaires.

Depuis 2015, Jean-Michel Jarre s’est lancé dans moult projets d’envergure. Vinrent d’abord Electronica 1 et 2, flopée de tandems multi-genres et multi-générationnels – Pet Shop Boys, Julia Holter, Hans Zimmer, Sébastien Tellier, Yello, Jeff Mills, Massive Attack, Air, M83, Rone, Moby, Laurie Anderson, Tangerine Dream, Pete Townsend, Gesaffelstein, Fuck Buttons, ou même ce duo improbable avec le lanceur d’alerte Edward Snowden !

« Ces personnalités font toutes partie de mon parcours. Le projet Electronica a pris tout son sens en traversant l’histoire de manière iconoclaste, poétique et actuelle », estime le principal intéressé, avant d’en décrire la méthode de travail :

« J’avais envie de partager le processus créatif, c’est-à-dire me déplacer physiquement auprès des artistes au lieu d’échanger des fichiers numérisés. J’ai eu la chance et la surprise que tout le monde me dise oui, soit plus d’une trentaine de collaborateurs ! Je me suis retrouvé à la fin avec deux heures et demie de musique. C’est pourquoi j’ai divisé ce projet en deux parties d’une même histoire : The Time Machine et The Heart of Noise. »

Dans la même foulée, JMJ avait créé des sons se démarquant de ce vaste projet, ce qui fut le point de départ d’un autre.

« Ma maison de disques [Sony] m’avait approché pour la commémoration des 40 ans du premier album Oxygène. Avec cette nouvelle musique pour démarrer, je me suis retrouvé dans mes marques des années 70. J’avais alors composé ces musiques en six semaines, avec un matériel plutôt minimaliste. Encore cette fois, je me suis remis sous ce ciel variable, à la fois sombre et ensoleillé. Voilà donc la troisième saison d’Oxygène. »

Sans oublier la tournée

Au milieu de ce tourbillon créatif en studio, JMJ a eu envie d’une tournée qui puisse intégrer à la fois ses nouveaux morceaux et certains classiques actualisés pour la circonstance. Le tout serait appuyé par une scénographie ambitieuse, à la hauteur d’une vraie tournée mondiale.

Pour le musicien français, la dimension visuelle est cruciale afin que triomphe la proposition sonore : « J’ai toujours eu envie de créer des paysages et des architectures sonores, avec des lignes de fuite, des perspectives, des illusions auditives comme les artistes visuels imaginent les illusions d’optique. Ainsi, j’ai conçu avec mon équipe un dispositif scénique permettant une immersion totale, c’est-à-dire une projection 3D sans lunettes, conçue avec un système de panneaux coulissants et transparents. »

Pour Jean-Michel Jarre, cette approche audiovisuelle s’inspire en partie de concepteurs québécois et montréalais. « Mon intérêt remonte au cinéaste Norman McLaren, cela passe par le développement de l’IMAX ou par des créateurs d’envergure tels Robert Lepage, un ami personnel », dit-il.

« Cette école québécoise du visuel moderne m’a beaucoup influencé ; j’attache énormément d’importance au lien vécu en direct entre la musique et l’image. »

— Jean-Michel Jarre

Sur scène, d’ailleurs, des « cousins » le côtoient. « Nous sommes trois musiciens et un DJ sur scène, le Canada est très bien représenté. De Québec, le claviériste et multi-instrumentiste Stéphane Gervais a aussi travaillé au sein de l’équipe de production d’Electronica. Il y a aussi Marco Grenier, qui vit à Vancouver et qui fera DJ en ouverture du concert. L’autre musicien du groupe est Claude Samard, d’origine lyonnaise comme moi. Nous disposons d’une cinquantaine d’instruments sur scène que nous nous partageons : claviers, synthés, percussions électroniques, vocodeur, etc. »

Dans ce contexte, Jean-Michel Jarre dit assumer son passé, sa longue trajectoire, mais se défend bien de gérer platement son patrimoine. « Les sons de ces projets récents sont très en phase avec l’époque actuelle. Je n’ai jamais suivi les modes, mais je suis influencé par ce qui se crée aujourd’hui. Ce n’est pas une tournée vintage, pas du tout ! Au contraire, j’ose croire que c’est très innovant. Et il faut vraiment assister au spectacle pour le comprendre. En 3D, on ne peut reproduire sur YouTube, ni faire de DVD. À une époque où tout est dupliqué, j’aime partager un moment qui ne se reproduira pas. »

Au Centre Bell, le 11 mai, à 20 h

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