Élections fédérales 2019 Éditorial

À la recherche du bonheur perdu

Les sondeurs sont perplexes.

L’économie roule à plein régime, le taux de chômage atteint un creux historique, la valeur des propriétés augmente… et pourtant, le parti au pouvoir n’est pas résolument en tête des sondages.

« C’est une élection un peu étrange », a noté Christian Bourque de la firme Léger en entrevue avec La Presse canadienne, hier. « Il se passe quelque chose… »

C’est vrai qu’habituellement, un PIB en hausse est la voie royale pour le parti au pouvoir. Suffit qu’il martèle son bilan en campagne, cite quelques chiffres, puis tadam ! La réélection est dans la poche.

Mais pas cette fois-ci. Comme si les électeurs n’accordaient plus aux politiciens le mérite d’une économie florissante.

Rappelez-vous Philippe Couillard : chassé après un seul mandat malgré des finances et une économie en excellent état.

Même chose à l’Île-du-Prince-Édouard en avril dernier, alors que les libéraux se sont aussi fait montrer la porte.

Se pourrait-il que les électeurs ne fassent plus de lien entre les indicateurs économiques… et ce qu’ils ont dans les poches à la fin du mois ? 

Qu’ils ne sentent plus que la hausse du PIB les rend plus riches ?

D’un côté, le taux de chômage baisse, mais de l’autre, leur salaire stagne. L’immobilier est en feu, mais le coût du logement augmente forcément. Comme si l’économie était découplée de leur situation financière personnelle.

Nous sommes loin des gilets jaunes et des partisans du Brexit, mais tout de même, une grogne se fait sentir au pays.

Selon Abacus, pas moins de 67 % des Canadiens estiment que ce sont les riches et les puissants qui profitent de la force de l’économie. Et ils sont 61 % à penser que les politiciens se moquent des gens ordinaires.

En un mot, l’économie progresse, mais ils ne sentent pas que leur qualité de vie en fait autant. D’autres qu’eux doivent donc en profiter…

« L’adage veut que les élections concernent presque toujours l’économie, note la firme Abacus. Cette fois par contre, la principale préoccupation économique n’est pas tant l’emploi, mais le coût de la vie, les impôts et l’abordabilité du logement. »

Voilà les priorités de l’électorat en 2019 : tout ce qui compose le bien-être, le bonheur au quotidien. La santé, le niveau de richesse, le logement, les transports en commun et le climat aussi, qui est perçu comme une menace à la qualité de vie future des Canadiens.

Ceci explique cela : à peine 15 % des Canadiens se disent satisfaits de leur situation.

« Ils entendent des chiffres macroéconomiques du genre : "le taux de chômage est à son plus bas niveau en 40 ans !", mais les Canadiens ont toujours du mal à payer leurs factures et s’inquiètent pour l’avenir. Ils se demandent si leurs enfants vont avoir des emplois. C’est comme une prospérité sans joie », résume le président Nick Nanos.

Rappelez-vous maintenant les slogans et les messages des partis, qui prennent soudainement tout leur sens.

« Plus. Pour vous. Dès maintenant », clame le PCC.

« On se bat pour vous », lance le NPD.

Il faut « renforcer la classe moyenne et ceux qui travaillent fort pour en faire partie », promet le PLC.

Autant de messages qui répondent justement à un sentiment de déclassement, à une impression de recul économique.

Les formations politiques ont compris que les électeurs ont l’impression que le système ne « travaille » plus pour eux. Mais le problème, c’est qu’ils ont aussi le sentiment que les politiciens non plus ne travaillent pas pour eux.

Un sentiment qui annonce des années difficiles pour les élus et peut-être même pour le pays. Quand Nanos a demandé aux Canadiens quel est leur état d’esprit l’été dernier, quel mot a recueilli le plus fort assentiment ? Le pessimisme.

Et ce, malgré les promesses des partis… et de l’économie.

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