Le président Erdoğan remporte son pari de justesse
Sur quoi le référendum portait-il ?
Quelque 55 millions d’électeurs turcs étaient appelés à se prononcer sur un projet de réforme de la Constitution qui ferait passer le pays d’un régime parlementaire à un régime présidentiel. Le Oui a obtenu 51,35 % des voix après le dépouillement de 99 % des suffrages, d’après l’agence de presse progouvernementale Anadolu. Selon ce projet constitutionnel, le poste de premier ministre serait aboli, ce qui concentrerait le pouvoir exécutif entre les mains du président, qui pourrait de plus nommer les ministres, les hauts fonctionnaires ainsi que la moitié des juges du plus haut tribunal du pays. Les changements entreraient en vigueur en 2019 et permettraient à l’islamo-conservateur Recep Tayyip Erdoğan – premier ministre de 2003 à 2014 et président depuis – de solliciter deux autres mandats de cinq ans. Le camp du Non craint une dérive autoritaire, une analyse que partage Stefan Winter, professeur au département d’histoire de l’UQAM et spécialiste de la Turquie. « Le président Erdoğan visait par le référendum à obtenir encore plus de pouvoirs. Il s’agissait, selon lui, de créer un régime à la française ou à l’américaine, mais le modèle de la Russie constitue une comparaison plus réaliste. »
Est-ce que le scrutin a été entaché d’irrégularités ?
Les deux principaux partis de l’opposition, le CHP et le HDP, ont dénoncé des « manipulations » et ont annoncé qu’ils réclameraient un nouveau dépouillement d’une partie des bulletins de vote. En conférence de presse, hier soir, le président Erdoğan s’est montré combattif. « Il y en a qui contestent les résultats. Ils ne devraient même pas essayer. Cela serait en vain. Il est maintenant trop tard », a-t-il déclaré. Si les allégations d’irrégularités sont difficiles à corroborer dans l’immédiat, des observateurs se sont inquiétés d’une vague d’intimidation durant la campagne référendaire. Stefan Winter, qui considérait le système électoral turc « clair et légitime jusqu’à présent », souligne qu’« on a vu des arrestations et des actes de violence contre les partisans du Non ». L’opposition et les ONG ont déploré une campagne inéquitable, avec une nette prédominance du Oui dans les rues et les médias. L’agence Anadolu rapporte, quant à elle, qu’au moins huit individus recherchés par les autorités ont été arrêtés à des bureaux de scrutin. Dans le sud-est du pays, trois personnes ont perdu la vie dans une altercation à la sortie des urnes.
Dans quel climat politique la campagne s’est-elle déroulée ?
La Turquie vit une vague de répression sans précédent, dans la foulée de la tentative de coup d’État ratée du 15 juillet 2016. Le pays est sous état d’urgence, et quelque 47 000 personnes ont été arrêtées et plus de 100 000, limogées ou suspendues de leurs fonctions. Le parti prokurde HDP a ainsi dû faire campagne avec ses deux coprésidents et nombre de ses élus en prison, accusés de liens avec les séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Le renforcement à prévoir des pouvoirs d’Erdoğan devrait perpétuer le climat répressif, juge Stefan Winter, qui rappelle toutefois que le président affichait des « tendances dictatoriales » bien avant la campagne référendaire. « Le résultat du référendum va empirer quelque chose qui est déjà en place depuis quelques années, c’est-à-dire le pouvoir incontesté et incontestable d’Erdoğan. » La sécurité a de plus occupé une grande place dans l’organisation du scrutin, la Turquie ayant été frappée ces derniers mois par une vague sans précédent d’attaques meurtrières liées au groupe État islamique et à la rébellion kurde. Le pays accueille en outre près de 3 millions de réfugiés syriens.
Le référendum aura-t-il un impact négatif sur les relations avec l’Europe ?
Quelques heures après l’annonce de la victoire du Oui, l’Union européenne (UE) a appelé Ankara à rechercher le « consensus national le plus large possible » et a signalé qu’elle « attendait l’évaluation » des observateurs internationaux « quant aux irrégularités évoquées » par l’opposition. Le président Erdoğan a placé les relations avec l’Europe au cœur de la campagne référendaire, critiquant Bruxelles pour l’absence de progrès dans les discussions en vue de l’intégration de la Turquie dans l’UE et usant du qualificatif de « nazi » à l’égard de l’Allemagne et des Pays-Bas, qui ont interdit les rassemblements électoraux aux communautés turques sur leur territoire. Stefan Winter s’attend à ce que le leader turc « adopte un ton beaucoup plus diplomatique » envers les pays européens maintenant que la campagne référendaire est terminée. « Les relations économiques, le traité sur les réfugiés syriens, le tourisme, tout ça crée des liens forts et profonds [entre la Turquie et l’Europe] qui vont perdurer au-delà des rhétoriques électorales. »
— Avec l’Agence France-Presse