Trump dans la tourmente

Une conjoncture à haut risque

Pour ceux qui en doutaient encore, les révélations des derniers jours sont venues confirmer la collusion entre l’équipe Trump et le gouvernement russe pendant la campagne électorale de novembre 2016. Parce qu’il s’agit d’un enjeu existentiel pour le président, le dossier russe continuera d’alimenter l’immobilisme, l’incohérence et le chaos qui règnent à la Maison-Blanche pour un avenir prévisible.

Pendant ce temps, la politique intérieure du pays a été prise en otage par la droite du Parti républicain, qui gravite autour du Freedom Caucus et tire son inspiration et ses fidèles du Tea Party, une situation qui risque fort d’accentuer la polarisation et les divisions au sein de la société américaine.

Les réformes de la santé (le remplacement d’Obamacare) et de la fiscalité actuellement envisagées par le Parti républicain ne feraient que sanctionner le plus grand transfert de richesse des plus pauvres vers les plus riches dans l’histoire des États-Unis, ce qui ne manquerait pas d’accentuer les inégalités, un enjeu déjà très sensible aux États-Unis et ailleurs.

L’offensive de Trump à l’égard de la lutte contre changements climatiques a aussi contribué à miner sa popularité.

Durant la campagne, Trump s’était pourtant engagé à défendre les travailleurs et la classe moyenne contre les excès et l’arrogance de Wall Street et Washington. La réforme de la santé, avec ses coupes draconiennes dans les programmes voués aux plus démunis comme Medicaid, reçoit moins de 20 % d’appuis dans la population, et menace de faire déraper les chances de réélection des républicains aux élections de mi-mandat en novembre 2018. À l’inverse, si le Congrès ne réussit pas à surmonter la paralysie de son programme législatif, alors que les républicains contrôlent toutes les branches du gouvernement, l’électorat leur fera payer le prix.

Le récent cri du cœur de Jamie Dimon, le chef de la direction de JP Morgan, la plus importante banque du monde, montre bien que même les bénéficiaires présumés des politiques de Trump sont dépités face aux frasques de l’administration. Au moment même d’annoncer des profits records, Dimon a dénoncé les « mauvaises politiques qui font mal à l’Américain moyen », ajoutant qu’il avait « honte d’être un Américain ».

Élections de mi-mandat

Une défaite républicaine aux élections de mi-mandat pourrait avoir des conséquences lourdes pour le président. Rappelons que la décision d’entamer des procédures de destitution revient au Congrès. En tous les cas, il existe une forte corrélation entre le taux d’approbation du président et la performance de son parti aux législatives de mi-mandat.

Depuis quelques mois, le taux de popularité de Trump oscille autour de 40 %. À la suite des révélations sur la rencontre entre son fils et des individus liés au gouvernement russe, ce taux est descendu à 36 %, un creux historique pour un président au pouvoir depuis six mois.

Si la tendance se maintient, il y a de fortes chances que les démocrates reprennent la Chambre et même le Sénat.

Un peu avant ou après l’élection, plusieurs élus républicains pourraient décider de quitter le navire.

Trump et sa garde rapprochée sont parfaitement conscients de l’imminence du danger. On est donc en droit de s’attendre à des manœuvres de diversion et des coups d’éclat de la part de l’administration dans les prochains mois. En politique intérieure, les principales cibles seront le libre-échange et l’immigration, qui demeurent les boucs émissaires désignés pour une majorité d’Américains. Malgré le ton plus conciliant de la Maison-Blanche dans les derniers mois, on aurait tort de sous-estimer les penchants protectionnistes de l’administration Trump, et il y a des raisons de s’inquiéter pour les négociations à venir sur le sort de l’ALENA.

L'utilité d'une menace externe

Les chefs d’État qui traversent une crise de légitimité sont souvent tentés de créer et d’alimenter une menace externe dans l’espoir de rallier la population. Rappelons que le président jouit d’une grande autonomie dans la conduite des affaires extérieures. Dans la conjoncture actuelle, l’Iran, la Syrie et la Corée du Nord constituent des cibles de choix pour un ultimatum ou un bras de fer, ce qui ferait monter la fièvre patriotique.

Dans le cas de l’Iran, par exemple, le processus de diabolisation est déjà bien entamé, et plusieurs élus et citoyens sont convaincus de la gravité, sinon de l’imminence de la menace. Contrairement à son prédécesseur, Trump n’a pas hésité à qualifier l’Iran d’État terroriste, alors même que l’Iran a été un maillon essentiel dans la retraite de l’EI en Irak et en Syrie et que l’Iran a récemment été victime d’une première attaque suicide commandée par l’EI.

Même si un affrontement militaire majeur avec l’Iran ou la Corée du Nord apparaît peu probable à court et moyen termes, l’augmentation des tensions géopolitiques n’augure rien de bon, surtout quand les grandes puissances sont impliquées de près ou de loin.

* chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal

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