Attentat à la Grande Mosquée

La radio de Québec, un an plus tard

Il y a un an, la radio parlée de Québec était montrée du doigt : des politiciens, des citoyens, des musulmans reprochaient à des animateurs de faire régner un climat malsain dans la capitale. Un an après le drame à la Grande Mosquée, la radio a-t-elle changé ? Entretien avec deux animateurs de Québec.

L’examen de conscience de Sylvain Bouchard

Le 31 janvier 2017, deux jours après l’attentat à la Grande Mosquée, un des gros noms de la radio de Québec fait une sortie qui crée une onde de choc. Sylvain Bouchard pose des questions difficiles : A-t-il assez écouté les leaders musulmans ? Pourquoi, dans son calepin, a-t-il si peu de contacts chez cette communauté ?

« On parle d’eux souvent. Mais est-ce qu’on leur parle à eux ? Pas assez », lâche Bouchard ce matin-là sur les ondes du FM93, pendant que la province est encore sous le choc après la tuerie. « J’ai manqué à un devoir », confesse l’animateur matinal.

Sa sortie, qui dure 10 minutes, fait du bruit. Elle survient au moment où beaucoup montrent du doigt certains animateurs de radio, sans jamais les nommer.

Le maire de Québec, Régis Labeaume, lance : « Il faudra rejeter, par exemple, ceux et celles qui s’enrichissent avec la haine. »

Michel Juneau-Katsuya, ancien agent du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), affirme à RDI que des animateurs « ont du sang sur les mains ».

« Du sang sur les mains, c’est rough. Trop, estime quant à lui à l’époque le rappeur de Québec Aly Ndiaye, alias Webster. En même temps, je ne suis pas prêt à désengager ces animateurs de radio de leurs responsabilités. À force de taper sur tout ce qui bouge, les femmes, les trans, les immigrants, les Arabes et les musulmans, ils finissent par avoir une influence très négative sur les gens qui les écoutent et par pourrir le climat. »

Dans ces circonstances, les propos de Bouchard résonnent. L’animateur est d’ailleurs bombardé de demandes d’entrevue. Ses patrons et lui décident à l’époque de ne pas en accorder. Ils avaient peur que ses propos ne soient mal interprétés, notamment comme une attaque envers des concurrents.

« Il y avait une chasse au coupable à ce moment-là à Québec. Mais je ne parlais qu’en mon nom. D’ailleurs, ça n’existe pas, la radio de Québec », assure Sylvain Bouchard, qui a accepté de rencontrer La Presse un an après sa sortie. « Il n’y a pas de club, pas d’association. »

La preuve que la radio de Québec est multiple, c’est que la journée où Bouchard se lance dans son exercice d’introspection, André Arthur choisit un tout autre ton.

Moins de 48 heures après l’attentat, Arthur raconte en ondes qu’une des six victimes, un épicier, avait reçu en 2015 une amende de 4250 $ du gouvernement pour insalubrité. L’animateur passe de longues secondes à énumérer des détails peu ragoûtants d’un article de journal de l’époque. Il parlait d’Azzeddine Soufiane, l’homme de 57 ans qui est mort en tentant d’arrêter le tireur.

Un changement positif

Sylvain Bouchard ne regrette rien de sa sortie. Il la referait demain matin, « dans les mêmes mots ». « Certains nous ont fait un procès, et j’étais contre à l’époque. Mais ceux qui disent qu’on n’est pas concernés par ça, je n’y crois pas. Le tueur fait partie de cette communauté. »

Son examen de conscience d’il y a un an a eu des résultats concrets. Bouchard note avoir reçu cette année beaucoup plus de musulmans à son émission que par le passé. C’est bien sûr en partie le fait de la tragédie du 29 janvier, qui a monopolisé l’actualité. Mais l’animateur assure que ça découle aussi d’une décision de lui et son équipe.

« Ça vient des deux bords. On leur demande davantage d’entrevues, mais eux acceptent plus qu’avant aussi », dit-il.

Bouchard a aussi été un des rares animateurs à se dire favorable à la création d’une journée nationale contre l’islamophobie. Il s’est ensuite rangé à l’opinion de Régis Labeaume, qui trouvait que le débat faisait de l’ombre aux commémorations.

Boufeldja Benabdallah, vice-président du Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), remarque quant à lui un changement « positif » chez les radios de la capitale depuis un an.

« Parfois, ç’a été dur dans des entrevues, comme la dernière fois avec Éric Duhaime [animateur au FM93] », dit-il. 

« Mais je constate malgré la dureté que le vocabulaire a changé, l’amalgame avec le terrorisme est moins présent. »

— Boufeldja Benabdallah, vice-président du Centre culturel islamique de Québec

« Avant, ajoute-t-il, tout le temps, on nous associait à des évènements internationaux. »

Benabdallah est toutefois déçu de ces nombreux animateurs qui ont répété ad nauseam que la demande pour une journée nationale contre l’islamophobie était une accusation d’islamophobie lancée à toute la société québécoise.

« Plusieurs animateurs ont répété ça. Mais on n’a jamais dit ça. Il y a de l’islamophobie au Québec comme au Canada. Ça ne veut pas dire que toute la société est islamophobe. »

L’homme se souvient par ailleurs très bien de la sortie de Sylvain Bouchard, le surlendemain du drame. « À l’époque, j’avais dit wow ! C’était très humain, très profond. Mais est-ce que les autres ont fait la même réflexion ? »

La Presse voulait poser la question à Dominic Maurais, mais il a décliné notre demande d’entrevue. En avril dernier, l’animateur de Radio X faisait en ondes, dans son émission, une publicité en direct pour les Rôtisseries St-Hubert. C’était près d’un an après qu’une tête de porc eut été laissée à la porte de la Grande Mosquée de Québec et quelques mois après l’attentat.

« Du porc, y en mettent, commençait Maurais, parlant d’une nouvelle poutine au porc effiloché. D’après moi, t’as le cochon au complet, ou presque. Il reste juste la tête, mais ça, la tête, on donne ça aux étrangers. On donne ça aux autres, aux étranges. »

St-Hubert s’était dissociée de ces propos, assurant avoir « pris les mesures nécessaires pour que cela ne se reproduise plus ».

Le directeur général de CHOI Radio X, Philippe Lefebvre, a quant à lui accepté de nous parler, mais s’est ensuite désisté.

Parle-t-on trop de l’islam ?

L’animateur Stéphane Gendron, d’Énergie, est moins positif que M. Benabdallah. Il pense que « le naturel est revenu au galop » à plusieurs antennes de la capitale (voir autre texte).

Sylvain Bouchard aussi a des réserves. Lorsqu’on lui demande si l’islamophobie est présente à certains micros, il prétexte d’abord qu’il ne veut juger personne. « Il y a des années que j’ai décidé de ne pas parler des autres animateurs. Je me concentre sur moi. »

Il constate toutefois que le sujet de l’islam radical prend pas mal de place dans la sphère publique, peut-être un peu trop.

« Est-ce qu’on en parle trop ? Je me suis déjà posé la question. Si je voulais, je pourrais parler de l’islam radical sans me faire poursuivre, sans mentir, tous les matins. Je pourrais faire un show de quatre heures là-dessus chaque matin. Mais est-ce que ce serait honnête de faire ça ? Moi, je pense que non, dit Sylvain Bouchard. Quelqu’un qui passerait ses émissions à parler de l’Église catholique en parlant des prêtres pédophiles, je le trouverais malhonnête. »

« Les musulmans sont en train d’occuper actuellement, au Québec, le rôle de bouc émissaire, comme on a vu dans plein de sociétés au fil de l’histoire, croit l’animateur. La culture québécoise n’est peut-être pas aussi défendue qu’on le souhaiterait, il y a une sorte d’effritement. Je pense qu’on devrait se regarder dans le miroir. »

Stéphane Gendron

« Le naturel est revenu au galop »

Stéphane Gendron, l’ancien maire de Huntingdon, est catégorique : selon lui, des animateurs de Québec s’acharnent sur l’islam. Entretien avec l’animateur d’Énergie, qui fait figure d’ovni dans le paysage radiophonique de la capitale.

Après l’attentat, la radio parlée de Québec a été montrée du doigt. Avec raison ?

Quand CNN est descendue faire son topo, puis a parlé de la radio de Québec… [Les reporters] n’ont pas inventé ça. On n’a pas tous rêvé ça. Ici, ce que je trouve particulier, c’est qu’on est le Hollywood de la radio, mais dès que tu parles d’un autre animateur, c’est parce que t’es jaloux. « Oh, regarde-le, le frustré, il parle contre son compétiteur. » Oui, on va en parler. J’ai l’impression d’être un chien dans un jeu de quilles, parce que chaque fois que je pointe la déclaration qu’un autre a faite, on me fait comprendre que je n’ai pas le droit de parler. Mais c’est une ville de radio ou pas ? Je ne comprends pas.

Y a-t-il selon vous de l’islamophobie à certains micros ? Parce qu’aucun animateur ne se dit islamophobe…

Non, non. Jamais personne ne se dit islamophobe. Mais on ne montre que le côté négatif de l’islam, tout le temps. On n’explique pas. Il faut expliquer les affaires quand tu as un micro. Mais pour les cotes d’écoute, c’est moins sexy.

Donc vous ne semblez pas croire que les choses ont changé depuis un an ?

Des fois, je vais voir le site d’un compétiteur que je ne nommerai pas. Les couleurs te disent l’humeur : c’est noir et brun. Un jour, j’ouvre la page et c’était juste ça : on riait d’un musulman, on parlait d’une femme abusée dans tel pays… Le thème c’était l’islam-bashing en donnant des exemples triés sur le volet. Tu regardes ça, c’est évident que tu penses que c’est de la merde, l’islam. Je pense que le naturel est revenu au galop. J’écoute les extraits, des auditeurs me les envoient. Le discours est décomplexé. Mais quand il y a un président comme Trump, ça autorise moralement ce genre de discours, il n’y a plus de gêne.

C’est drôle parce qu’à Québec, vous êtes vu comme plutôt à gauche, ce qui est moins le cas à Montréal…

À Montréal, je suis vu comme le gars de droite, le gars des couvre-feux, du temps que j’étais maire de Huntingdon. Pis à Québec, je passe pour le gars de la gauche, le communiste, quasiment. L’histoire du couvre-feu, je suis plus capable ! Je traîne ça comme un boulet. D’ailleurs, je me suis excusé pour ça, ce n’était pas une bonne idée.

Vous êtes un peu un ovni dans le paysage de la radio parlée de Québec.

Je ne fitte plus dans la boîte du talk radio, avec le criage, le hurlage, tout le monde tout le temps enragé. La radio de droite, c’est tout le temps le Angry White Man. Ça ne peut jamais être positif. Une chance que la radio publique est là. Une chance que Radio-Canada est là, une chance que NPR est là aux États-Unis. Tu écoutes ça et t’apprends. Ceci dit, je fais de la radio engagée. Je n’aime pas Trump. C’est de la radio militante que je fais. L’homophobie, l’opposition à l’avortement, l’islamophobie, le racisme, ça me rend fou ! Les libéraux, j’adore les libéraux. Et j’adore Québec solidaire, même si je reçois des bêtises quand je reçois Gabriel Nadeau-Dubois.

Avez-vous toujours prôné le même discours quant aux Québécois musulmans ?

Non, je n’ai pas toujours eu la même position sur l’islam. Avant, j’étais pour une laïcité assez stricte. Je me disais que si j’avais des employées musulmanes à l’hôtel de ville, pas question qu’elles portent le voile ! Pas de signes ostentatoires ! J’étais assez radical. Mais à un moment, une femme qui portait le hijab a posé sa candidature à un poste. Avec le comité d’embauche, on s’est demandé : « Qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce qu’on lui demande de ne pas porter son voile au travail ? » Finalement, on a décidé de laisser aller. Ça a brassé un peu. Des employés fâchés qui disaient : « Tu penses qu’on va se faire mener par une… » C’est là que je me suis dit : « Qu’est-ce que c’est ça ! » Ce n’est pas en arrachant le voile, en arrachant les signes qu’on avance. Ce n’est pas en rejetant ces gens-là qu’on avance. C’est en les côtoyant qu’on avance. C’est là que ma pensée a commencé à changer.

Donc l’idée que la radio parlée de Québec, c’est toute la même affaire, cette idée est fausse ? Disons que vous ne cadrez pas avec l’image que certains, qui la connaissent peu, s’en font.

Oui. Ma pensée a été formée par pas mal d’évènements. À la mairie, quand les usines ont fermé, voir des hommes de l’âge de mon père qui perdent leur job, plus d’huile à chauffage, la misère là… Ça, ça a changé ma vie. Les libertariens, je ne suis plus capable. Ils ont appris ça dans des livres. Mais la misère humaine sur le plancher, c’est une autre affaire.

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