Analyse

La bavure dans Louis-Hébert fait déborder le vase

L’ami de Philippe Couillard, Jean-Louis Dufresne, quitte son poste de chef de cabinet

Québec — On s’y attendait, mais pas si tôt. La démission surprise de Jean-Louis Dufresne comme chef de cabinet du premier ministre Philippe Couillard, hier, permet de mesurer, à un an des élections générales, l’ampleur de l’anxiété qui règne au sein du gouvernement. À la veille d’une réunion du caucus des députés qui s’annonçait très difficile, le premier ministre a décidé d’accepter la démission de son ami d’enfance.

Dès vendredi dernier, tout était bouclé pour ce départ « d’un commun accord », s’entendait-on pour dire. Dufresne a été imperturbable, n’a donné aucun indice en fin de semaine à un forum organisé par le Parti libéral du Québec (PLQ). Les deux amis avaient convenu que la situation devenait intenable. 

La veille, une crise avait fait déborder le vase. Or, Dufresne avait joué un rôle déterminant dans la nomination d’Éric Tétrault comme candidat libéral dans Louis-Hébert : quand le PLQ a peiné à trouver un candidat pour remplacer Sam Hamad, le chef de cabinet avait fait savoir qu’il avait déjà dans sa besace une grosse prise, économique.

C’était la retraite dans le désordre pour le PLQ la semaine dernière. Tétrault, sur qui planaient des allégations de harcèlement psychologique du temps de son ancien poste chez Arcelor Mittal, a déclaré forfait. Et cette bavure n’allait pas passer comme une lettre à la poste au caucus qui débute aujourd’hui, à Val-d’Or. Et même s’il avait affronté la vague cette semaine, Dufresne aurait eu un tsunami devant lui au début du mois d’octobre si les libéraux essuient la défaite dans une circonscription normalement acquise comme Louis-Hébert.

Depuis plus d’un an, la grogne était évidente au sein du caucus libéral. Dufresne est passé quelques fois « au moulin à viande » au caucus des élus, qui blâmaient les « communications » ou « l’entourage » du premier ministre pour les dérapages embarrassants.

Avec ce départ, Philippe Couillard perd son paratonnerre.

Le chef de cabinet sert toujours de catalyseur pour les mécontents, ces « nervous Nellies », ironisait Dufresne. C’est devenu un cliché de dire qu’un chef de cabinet est toujours détesté ; pourtant, John Parisella ou Daniel Gagnier ont servi leur patron sans écraser d’orteils.

Ennemis et doléances 

Avec son attitude ferme dès son arrivée dans l’opposition, il laissait prévoir un bon équilibre avec son patron, Philippe Couillard, moins prompt à prendre une décision. Mais au premier test, Dufresne, cassant, n’avait pu retenir Fatima Houda-Pepin, en rupture de ban sur les questions identitaires. Elle s’en est plainte amèrement… et publiquement. 

Au pouvoir, une longue liste de décisions lui ont valu des ennemis tenaces.

La mise au rancart de Robert Poëti, de Jacques Daoust, par exemple. La dérive autour de la perte du contrôle de Rona, le cafouillage aux Transports, des cachotteries sur la santé de Pierre Paradis : la liste des doléances est longue. Bien des ministres se sont sentis « largués ». François Blais, envoyé inutilement au combat à l’Éducation avec une réforme toute fraîche, passée à la déchiqueteuse. Carlos Leitão a aussi vu son projet de réforme de la fiscalité mis sur une voie de garage.

Pour mettre au rancart Sam Hamad, un sondage avait même été commandé par le PLQ sur « l’intégrité » du député libéral. Cela a été le début d’une réaction en chaîne qui a débouché sur l’élection complémentaire dans Louis-Hébert.

Anthropologue, arrivé en politique au cabinet de Robert Bourassa, Dufresne a toujours eu « l’abrasif » Mario Bertrand comme modèle. Pourtant, son vrai mentor politique était John Parisella, bien plus conciliant. Souvent impatient, Dufresne ne faisait pas dans la dentelle, mais n’a jamais pris un ministre à partie lors des réunions du Conseil des ministres.

Autre chef, autre style

Les ministres ne se risquaient pas à l’affronter. Certains étaient heureux « de toujours avoir l’heure juste », mais la plupart seront soulagés de pouvoir discuter avec son successeur, Jean-Pascal Bernier, bien plus conciliant. À 38 ans, M. Bernier, proche de Couillard dès la course à la direction de 2012, n’aura pas le même ascendant. Il a toutefois traversé l’épreuve du feu : il a pendant longtemps pu composer avec Michelle Courchesne, ex-présidente du Conseil du trésor.

Les autres changements dans l’entourage de M. Couillard étaient prévus et ont même été annoncés dès la semaine dernière. Johanne Whittom, chef de cabinet adjointe souvent en opposition avec son patron, avait depuis un moment planifié son départ comme sous-ministre adjointe. Harold Fortin, jusqu’ici porte-parole du premier ministre, avait aussi fait connaître la semaine dernière son changement de responsabilité : il remplacera Whittom comme responsable de l’international. Dufresne a aussi dû lutter contre un autre ami de Philippe Couillard, le secrétaire général du gouvernement, le Dr Roberto Iglesias. Le médecin de Sherbrooke n’a jamais été tendre envers Dufresne devant les hauts fonctionnaires.

La longue amitié entre Couillard et Dufresne a probablement conforté et prolongé son règne. Il est rare qu’un premier ministre choisisse un ami comme principal conseiller. Brian Mulroney avait opté pour Bernard Roy, un ami de la faculté de droit à Laval. Pauline Marois avait Nicole Stafford, une complice de 30 années à ses côtés. Gerry Butts, du cabinet du premier ministre à Ottawa, est un ami de longue date de Justin Trudeau.

Aux beaux jours, ces tandems se soudent très rapidement, mais aux heures difficiles, les ruptures sont d’autant plus délicates.

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