OPINION DEMANDEURS D’ASILE

Pour une politique cohérente

Aborder différemment la crise des migrants ne rimerait pas avec l’abandon de toute initiative humanitaire

La réaction de la population québécoise face à l’afflux de migrants a été généreuse jusqu’à présent, surtout si on la compare aux autres pays où les migrants ne sont pas les bienvenus.

Cependant, il y a raison de s’inquiéter par rapport à l’entrée illégale et la crise qui se développe à la frontière américaine.

Ce problème de l’illégalité du passage à la frontière risque d’ébranler la confiance de la population. Si les migrants se présentent au poste frontalier de Lacolle, leur entrée sera refusée et ils n’auront pas le droit de demander l’asile.

Selon l’Entente sur les tiers pays sûrs, les États-Unis sont considérés comme un « pays sûr » où les demandes d’asile sont traitées correctement. Les militants ont contesté devant les tribunaux la désignation des États-Unis comme « pays sûr », mais ils ont perdu en appel il y a une décennie.

Malgré la nouvelle contestation intentée cet été, le ministre fédéral de l’Immigration ainsi que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés affirment que la situation n’a pas changé concernant la désignation des États-Unis.

Pour des raisons opaques, Ottawa avait décidé que l’Entente ne s’appliquerait pas aux migrants qui traversent de manière illégale en évitant les postes officiels. D’où la situation déroutante des migrants qui traversent illégalement sur le rang Roxham à quelques kilomètres à l’ouest du poste de Lacolle et qui sont autorisés par la suite à demander l’asile au Canada.

Il ne faut pas s’étonner que même des citoyens ouverts à l’immigration soient laissés perplexes.

Si on tient à des principes cohérents, la nature du passage n’est pas pertinente, car on reconnaît que les États-Unis sont un « pays sûr ». Ces migrants se trouvent déjà dans un pays où ils ne font pas face à la persécution et où ils auraient pu demander l’asile selon des procédures qui n’ont pas changé avec la nouvelle administration à Washington (les contrôles judiciaires sont toujours effectués par des tribunaux indépendants, etc.).

Les migrants qui passent par le rang Roxham sont en majorité des Haïtiens ayant vécu plusieurs années aux États-Unis et dont le statut spécial à la suite du séisme de 2010 pourrait expirer l’année prochaine. Le Canada a révoqué un statut similaire l’été dernier. Les demandes d’asile provenant de ce groupe particulier seraient plus difficiles à défendre que les demandes typiques impliquant des Haïtiens.

Une politique cohérente obligerait les autorités à empêcher l’entrée illégale ainsi que les demandes d’asile de la même manière qu’elles le font déjà aux postes officiels.

Évidemment, les agents frontaliers ne seront pas déployés tout au long de la frontière continentale : l’idée serait plutôt de décourager des groupes importants de migrants qui utilisent des passages notoires comme celui du rang Roxham. Le mot se répandra rapidement que le Québec n’est pas une passoire, comme le prétend François Legault, sans qu’une militarisation générale de la frontière soit nécessaire.

Ceci ne veut pas dire qu’on abandonne toute initiative humanitaire. Si la population veut véritablement accueillir des migrants qui ont peur d’être renvoyés par l’administration Trump, rien n’empêche le gouvernement d’adopter un programme similaire à celui des réfugiés syriens récemment réinstallés au Canada. Comme le programme serait discrétionnaire, les critères et le nombre de bénéficiaires pourraient être établis selon les intérêts économiques et démographiques du Québec.

Les Haïtiens francophones seraient potentiellement d’excellents candidats, surtout s’ils acceptent de s’installer initialement en région afin d’encourager une répartition géographique de l’immigration. Une telle approche permettrait au Québec d’augmenter ses capacités d’accueil et ainsi de préserver son poids démographique dans un contexte canadien où l’élite torontoise considère que l’avenir économique du pays dépend de l’augmentation massive de l’immigration.

* L’auteur a rédigé plusieurs rapports gouvernementaux et onusiens sur les réfugiés.

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