Opinion

Le peuple n’est pas un One size fits all

Avec la postmodernité et la mondialisation, la lutte des classes et la désignation claire de classes sociales bien précises ont foutu le camp

Comme le retour du refoulé freudien, le peuple, ce grand oublié, vient de refaire irruption. Il s’est invité dans la vie des nations, dans les textes des éditorialistes, dans les analyses savantes des intellectuels. Il a voté pour le Brexit, pour Donald Trump, a sauté à pieds joints dans la bouette du retour de l’identitaire, a grogné très fort contre l’establishment. C’est clair, le peuple sera LA chose à comprendre en 2017.

Le peuple a longtemps été une affaire entendue, une idée reléguée aux oubliettes de l’Histoire. Il fleurait bon le réalisme soviétique, les masses à embrigader à volonté. Être le peuple était une vertu en soi, à défaut d’être une richesse. Ici, aujourd’hui, en Occident, le peuple est une catégorie beaucoup plus mystérieuse et difficile à saisir. On dit « la majorité silencieuse » (alors qu’elle s’exprime comme jamais dans les réseaux sociaux), ou bien « le monde ordinaire ». Mais ordinaire par rapport à qui, à quoi ?

Au Québec, le peuple a eu droit à ses Deux minutes, sorties de la tête du brillantissime François Pérusse. C’est aussi celui qui attend à genoux son rédempteur dans notre imaginaire catholique noëllien. Je me souviens également de ma grand-mère, elle-même femme d’ouvrier, décrétant, les lèvres pincées, à propos de quelque chose d’un peu vulgaire : « Ça fait peuple… »

Le peuple est une très vaste catégorie sociologique, on en conviendra.

Avec la postmodernité et la mondialisation, la lutte des classes et la désignation claire de classes sociales bien précises ont foutu le camp. La seule classe sociale encore nommée, courtisée, portée aux nues par les politiciens en mal de votes est la classe moyenne, pourtant implosée depuis plusieurs années.

Le sens des mots

Alors c’est quoi, c’est qui, le peuple ?

Une appartenance économique ? Une catégorie sociale, politique ? Nous avons perdu nos repères lexicaux. Les catégories ne sont plus adéquates, la réalité et les concepts ont trop bougé, nous sommes incapables de faire entrer le peuple dans un moule.

Remarquez que nous avons les mêmes problèmes avec les mots dérivés de peuple. « Populaire » est en soi un statut enviable, mais il prend une moyenne débarque quand on l’accole à certains autres mots. Ainsi, une vedette populaire, de la culture populaire ou de la télé populaire, c’est louche ! Quant au « populisme », il est vu comme une dérive politique absolue, de légère (François Legault) à systémique (Marine Le Pen).

On (les politiciens, les apôtres de la mondialisation, les faiseurs d’image, les façonneurs d’opinion publique) a voulu aseptiser le politique. Le vider de son jus, de ce qui fait problème. Le peuple, cet exclu des grands enjeux, revient donc ces années-ci, et on s’apercevra qu’il est tenace. Multiple, complexe. Il n’est pas UN peuple, masse informe, fulminante et frustrée. Le peuple a des particularités régionales ou nationales (comme celles des Noirs aux États-Unis), il a aussi des dénominateurs communs un peu partout en Occident (comme être contre les excès du multiculturalisme à outrance).

Issu de différentes classes sociales, de différents groupes ethniques, le peuple n’est pas un One size fits all. Il a souvent raison, parfois tort, mais il a surtout une intuition extraordinaire.

La responsabilité des élites

On a bien vu, ces derniers mois, contre quoi ce peuple si indéfinissable, si flou, s’est construit. Contre les élites, l’establishment, eux assez bien cernés : les politiques aseptisés, l’argent insolent, les médias bien-pensants. Curieusement, les mêmes partout… Les élites vont devoir, c’est impératif, se questionner, s’ouvrir. Elles vont devoir accepter de se repositionner, de voir leurs pouvoirs redéfinis, voire partagés. Elles ont une responsabilité, même si en ce moment elles sont perplexes et choquées.

Pour l’instant, qu’un populiste talentueux ou ratoureux surgisse, à gauche comme à droite, il peut récolter les voix de la colère. Or, cette colère mérite mieux. Elle mérite une attention, une action politique qui aille dans le sens du bien commun. Car nous sommes tous le peuple de quelque part.

Gageons, espérons que ces nouvelles et dérangeantes manifestations populistes ne soient que les premières salves maladroites d’un réinvestissement du politique, absolument nécessaire. Les modèles politiques sont à réinventer. La figure du leader charismatique populiste appartient à un siècle révolu. C’est une fausse réponse à un réel besoin. Soyons imaginatifs ensemble.

En tous cas, le constat est clair : le peuple n’est plus à genoux, et la tour d’ivoire des élites est pas mal amochée…

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