ÉDITORIAL

Qu’attend Ottawa ?

C’est plus accommodant de croire que ça ne se passe qu’ailleurs. Loin de nous. Malheureusement, la disparition médiatisée d’adolescentes nous touche en plein cœur et nous confronte à une forme d’esclavagisme moderne qui n’épargne pas le Québec.

Le problème des jeunes filles qui tombent dans les griffes de gangs de rue et de proxénètes est complexe. Mais il est possible d’agir. Un outil permettrait aux policiers d’intervenir plus efficacement. Il est prêt. Il ne manque que la signature du gouvernement Trudeau pour l’appliquer.

Qu’attend-on ?

Le projet de loi C-452 portant sur l’exploitation et la traite des femmes, piloté par l’ancienne députée Maria Mourani, a reçu la sanction royale en juin dernier. Il a fallu des années de travail et de documentation sur le terrain, puis quatre autres années encore pour que le projet de loi fasse son chemin dans le long processus parlementaire. Après la sanction royale, il aurait normalement dû entrer en vigueur dans les 30 jours suivants. Mais comme c’est parfois le cas, une clause prévoit plutôt que la loi s’appliquera par un décret.

Un décret, c’est une formalité, d’autant plus que le principe de la loi a été adopté à l’unanimité au Parlement. Le changement de gouvernement fait en sorte que bien des dossiers attendent les ministres du cabinet Trudeau. En voici un qui devrait être prioritaire parce que tout le travail a été fait. Il ne manque qu’une petite signature.

Cette loi, qui amende le Code criminel, facilitera le travail des autorités en prévoyant trois mesures importantes : 

Elle renverse le fardeau de la preuve qui est très difficile à établir actuellement, surtout qu’il est pénible pour les victimes de témoigner contre les proxénètes.

Les biens de l’accusé pourront désormais être saisis, à moins que ce dernier parvienne à démontrer qu’ils ne sont pas le fruit de la criminalité. L’exploitation et la traite de personnes pourraient donc être moins tentantes, sachant qu’actuellement, une seule fille « rapporte » entre 100 000 et 150 000 $ annuellement.

Les sentences pourront être cumulées (agression, voie de fait, proxénétisme, etc.) et seront donc plus sévères.

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Reste qu’aussi efficace et utile soit-elle, une loi n’est pas suffisante à elle seule pour endiguer un fléau qui touche tous les pays.

Au début de la semaine, Europol rapportait que depuis deux ans, on a perdu la trace de 10 000 enfants migrants. Un grand nombre d’entre eux pourraient être tombés aux mains d’individus sans scrupules qui les exploitent à des fins sexuelles.

L’organisation Walk Free estime qu’à travers le monde, 35,8 millions de personnes sont victimes d’esclavagisme – recrutement d’enfants, soldats aux mariages forcés en passant par l’exploitation sexuelle – et le tiers sont des mineurs.

Nous avons tendance à penser que ça se passe dans les pays en guerre ou dans des sociétés plus patriarcales. Mais on constate que ça touche aussi les pays occidentaux, dont la France, l’Angleterre, les États-Unis… et le Canada.

Au Québec, environ 15 jeunes fuguent chaque jour. La plupart reviennent d’eux-mêmes dans les 24 heures. C’est une minorité qui tombe sous l’emprise des gangs de rue. Mais pour cette minorité, la réalité devient vite atroce, comme en témoignait notre collègue Patrick Lagacé dans des chroniques poignantes relatant la spirale d’enfer qui a happé Noémie (nom fictif) et la détresse que vit sa mère.

En 2013, les élus à l’Assemblée nationale ont voté à l’unanimité une motion dénonçant la traite de personnes. Un plan d’action impliquant plusieurs ministères devait voir le jour. Il se fait toujours attendre.

Il est pourtant primordial de travailler sur plusieurs fronts : le législatif avec des lois qui ont une grande portée ; l’éducatif en parlant aux jeunes – garçons et filles –  d’hypersexualité, de relations égalitaires et de la banalisation du sexe ; et l’administratif, avec plus de ressources.

Mais une prise de conscience collective est aussi nécessaire pour ne plus fermer les yeux. Ce doit être une préoccupation pour tous les pays, toutes les sociétés. Comme on parle de changements climatiques ou de radicalisation des djihadistes, il faut aussi parler de la traite de personnes pour que cette forme d’esclavage prenne fin.

Et le premier pas, facile à franchir au Canada, est de mettre en place la loi qui est fin prête.

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