OPINION POLITIQUE D’AFFIRMATION DU QUÉBEC

L’espoir du grand soir constitutionnel

Réunis à Edmonton, les premiers ministres des provinces et des territoires ont accueilli favorablement la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes publiée le mois dernier par le gouvernement du Québec.

C’est du moins ce qu’a soutenu lundi le premier ministre, Philippe Couillard, tout en admettant que sa présentation du document a suscité moins d’intérêt que les autres sujets à l’ordre du jour.

Cet intérêt relatif de ses homologues ne devrait pas surprendre le premier ministre québécois. En effet, ne lit-on pas dans le document qu’« une démarche qui viserait à permettre l’adhésion complète du Québec à l’ordre constitutionnel canadien doit être empreinte de réalisme et de prudence » ?

Pourtant, on est frappé par l’optimisme qui se dégage de ladite Politique d’affirmation du Québec.

Les auteurs sont apparemment convaincus qu’en multipliant les occasions de dialogue dans les milieux politiques, d’affaires, universitaires et dans la société civile, les Québécois finiront par transmettre aux autres Canadiens leur vision plurinationale (binationale plus les autochtones) du pays.

C’est bien mal connaître le Canada anglais que croire cela. On se demande d’ailleurs où le gouvernement Couillard est allé pêcher que « le Québec et le Canada semblent prêts pour un changement de paradigme » ; le Québec, peut-être, mais le reste du pays est à mille lieues de telles préoccupations.

Le mot « dialogue » revient à plus de 40 reprises dans le texte. Cependant, à la lecture, on voit bien que c’est un monologue, un prêche qu’on envisage : « Il s’agit de nous faire plus entendre pour nous faire mieux comprendre ». Un dialogue authentique passe par l’écoute. Le Québec, a écrit Claude Ryan, doit « être en dialogue avec ses partenaires à ce sujet, et ce autant pour se faire mieux connaître d’eux que pour mieux les connaître ». Malheureusement, la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes s’intéresse peu aux conceptions (il n’y en a pas qu’une) que les autres Canadiens se font de leur pays. Or, pour comprendre à quel point est forte la résistance à la constitutionnalisation de notre vision du pays, il faut passer par là.

J’applaudis à la publication de Québécois, notre façon d’être Canadiens, parce qu’il s’agit d’un document de réflexion complet et rigoureux qui reflète fidèlement la conception que se font de la fédération canadienne la plupart des Québécois. Je suis enthousiaste, aussi, à l’idée que le gouvernement de la province annonce sa volonté d’engager la province dans la vie politique, économique et intellectuelle de la fédération.

Je m’inquiète, toutefois, de voir cette politique se proposer le même objectif que toutes celles du passé : le grand soir constitutionnel, quand un accord ultime verra triompher la vision québécoise de la fédération canadienne.

Or, il se peut que ce triomphe ne se produise jamais, qu’au lieu de se réconcilier lors d’une grand-messe politique, les deux principales visions concurrentes du Canada soient plutôt appelées à coexister de manière pragmatique, en tension pacifique, comme elles le font depuis 150 ans. Ainsi que le reconnaît le document du gouvernement Couillard, cette coexistence a permis au Québec d’avancer sur plusieurs fronts, notamment quant aux revendications qui étaient les siennes à l’époque de Meech. Ces avancées sont tangibles et solides ; elles ont comme seul défaut de ne pas être cristallisées dans la Constitution.

Ce n’est pas une faiblesse insignifiante. Il ne s’agit pas de renoncer à ce que la Constitution soit un jour ajustée pour tenir compte de notre réalité nationale moderne. Mais peut-être est-il temps d’admettre que les progrès en cette matière se feront à la manière canadienne, à coups d’évolutions graduelles et d’ententes pragmatiques.

Dans les années récentes, cette façon de faire, empreinte de prudence et de sens pratique, a bien servi le Québec. « L’histoire démontre que le fédéralisme peut s’adapter à la réalité nationale du Québec », souligne à juste titre la Politique d’affirmation. Si bien que le gouvernement Couillard a bien du mal à trouver des exemples où l’absence de reconnaissance constitutionnelle pose problème concrètement.

La valeur pédagogique de Québécois, notre façon d’être Canadiens et de la démarche qui en découle ne fait pas de doute. Je souhaite seulement que les acteurs québécois en profitent pour apprendre, eux aussi, de leurs partenaires. Et qu’ils ne se bercent pas d’illusions sur les possibilités d’un aboutissement constitutionnel dans un avenir prévisible.

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