Opinion Gérard Bouchard

Relancer le débat sur la laïcité

La laïcité revient à l’ordre du jour. On a pu lire dans La Presse+ du 14 mars un texte de Nadia El-Mabrouk et, le lendemain, plusieurs réactions à son intervention. Un autre texte sur le niqab, signé par un groupe de féministes musulmanes, y avait paru le 8 novembre 2017. 

De son côté, le dernier numéro de la revue L’Inconvénient (No 72) revient longuement sur le sujet avec quelques textes d’analyse et d’opinion. D’autres textes sont parus ces jours-ci dans les médias montréalais. Enfin, un groupe de militants souhaitent rouvrir ce débat (Le Devoir du 13 mars 2018, A3).

Est-ce une bonne idée ?

Ce débat avait connu une accalmie après les années 60, pour resurgir au tournant du siècle avec la crise des accommodements. Après des années de controverses et quelques initiatives gouvernementales infructueuses, le débat, trop polarisé, s’est enlisé. Il serait même devenu un « dialogue de sourds », une « foire d’empoigne » (Alain Roy), et nous aurait conduits au « royaume de la confusion » (Daniel Jacques).

En effet, nous avons été incapables de nous entendre sur l’essentiel, c’est-à-dire : un véritable régime de laïcité, avec toutes ses composantes (la séparation État-Église, la neutralité de l’État, l’égalité des cultes, la liberté des croyants, le statut patrimonial), un régime aussi qui ferait une part équitable aux droits individuels et aux prérogatives collectives – notamment les valeurs fondamentales qui définissent une société et assurent son intégration.

On observe une même incapacité d’entente, un même « embâcle » sur les sujets annexes, à savoir : le port des signes religieux, les accommodements, la reconnaissance de la non-croyance, la portée symbolique et idéologique du hidjab, le crucifix à l’Assemblée nationale, le cours d’éthique et de culture religieuse, les écoles confessionnelles, sans parler de thèmes devenus récemment controversés comme l’islamophobie, la discrimination et le racisme.

Une source de blocage réside dans l’extension à donner au principe de la séparation de l’État et de l’Église : une interprétation restreinte (l’autonomie de chacun de ces acteurs dans le champ de leur juridiction) ou une interprétation large (interdiction de toute présence ou manifestation religieuse dans l’aire de l’État et ses prolongements parapublics) ? La première interprétation s’inspire de la tradition libérale, l’autre, de la tradition républicaine. 

Mais ce qui fait véritablement obstacle au débat, c’est une conception radicale des deux traditions qui ferme la voie à toute formule de compromis (comme celle que présentait le rapport Bouchard-Taylor).

Une deuxième source de paralysie met en cause la perception du religieux : un corpus de croyances et de règles qui élève l’humanité ou qui la maintient dans des illusions nocives ? Une troisième source provient des désaccords sur la marge d’autorité dont devrait disposer l’État pour assujettir les Églises aux dispositions de la charte des droits, les enjeux les plus importants étant ici l’égalité homme-femme et la liberté individuelle. Une autre cause de blocage est liée à la question nationale : selon plusieurs, il serait impossible d’instaurer un régime québécois de laïcité sans la souveraineté politique.

Sur cet arrière-plan, quels sont les éléments neufs qui ressortent des interventions récentes et qui seraient de nature à faire avancer les choses ? À l’exception de certaines clarifications théoriques et idéologiques, je n’en vois aucun.

J’en prends à témoin l’appel lancé dans Le Devoir. Ses auteurs affichent une position très radicale qui ouvre tout de suite une tranchée : ils souhaitent que les membres de l’Assemblée nationale ne puissent y porter de signes religieux. Des citoyens se trouveraient ainsi empêchés d’exercer la prérogative démocratique la plus fondamentale, celle permettant de participer au plus haut niveau à la délibération publique alors même qu’ils auraient été dûment élus par les citoyens.

Cet appel à rouvrir le débat me semble donc survenir mal à propos. Dans le contexte actuel de dissension profonde, il est improbable qu’il mène à des consensus.

Ce qui est cependant prévisible, c’est que, comme il est arrivé dans le passé, ces déchirements stériles se feront aux frais des minorités et des immigrants et aggraveront la fracture déjà créée par le projet de charte Marois-Drainville. C’est, pour moi, un important facteur à prendre en compte.

En somme, s’il n’y a rien de neuf à proposer, pourquoi raviver les braises ?

Note : Parmi les textes de L’Inconvénient, celui de G. Lamy me semble se démarquer par sa réflexion réaliste sur une façon de briser l’« embâcle ».

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