Sibérie

Les spécialistes s’étonnent de l'apparition de trous géants

Les changements rapides que vivent les régions polaires avec le réchauffement climatique sont peut-être à la source des mystérieux trous qui sont apparus dans la péninsule de Yamal, en Sibérie.

Les trous – il y en aurait au moins deux – se sont formés en raison d’un dégagement de méthane, selon des scientifiques russes qui se sont rendus sur place, cités par la revue britannique Nature.

Le méthane est un gaz qui se forme quand la matière organique se décompose. Or, il y a beaucoup de matière organique emprisonnée par le gel dans le sous-sol arctique.

La zone où les trous sont apparus est l’un des endroits où le pergélisol – cette couche de sol gelé très riche en glace – est le plus profond, explique Serge Payette, titulaire de la Chaire de recherche nordique en écologie des perturbations à l’Université Laval.

« Le sol sibérien a été la proie du gel intense pendant des dizaines de milliers d’années et le pergélisol peut atteindre des centaines de mètres d’épaisseur », dit-il.

MYSTÈRE

M. Payette juge le phénomène russe « assez impressionnant », mais l’explication demeure un mystère pour lui.

« L’hypothèse d’une bulle de méthane qui éclate pour donner quelque chose comme ça, ce serait tout à fait extraordinaire, dit-il. Ça reste des hypothèses et il y a très peu de données de terrain. »

Une chose est sûre : cette zone, comme le reste de l’Arctique, connaît un réchauffement accéléré. Les températures moyennes des étés 2012 et 2013 y ont été supérieures de 5 °C à la moyenne.

Le réchauffement se fait sentir en profondeur : depuis 20 ans, la température du pergélisol a crû de 2 °C, selon la revue Nature.

Mais le phénomène observé n’en est pas moins étonnant, selon Daniel Fortier, directeur du Laboratoire de géomorphologie et géotechnique des régions froides à l’Université de Montréal.

« C’est vraiment mon domaine de recherche, a-t-il dit, quand La Presse l’a joint au Brésil, où il était en vacances. L’hypothèse, c’est qu’il y aurait eu une fuite de méthane, mais sans explosion. Mais je n’ose pas me prononcer. »

« C’est très particulier et je n’ai jamais vu ça, ajoute-t-il. Je commence un congé sabbatique et je vais essayer de me rendre sur place au cours de la prochaine année. »

Les scientifiques russes ont écarté toutes les hypothèses parmi les plus farfelues, dont celle d’un impact de météorite ou de l’œuvre d’extraterrestres.

Mais cela ne veut pas dire qu’ils comprennent ce qui s’est passé.

TAUX DE MÉTHANE ÉLEVÉ

Un indice : ils ont mesuré un taux de méthane de 9,6 % à 50 mètres de profondeur dans le trou, ce qui est supérieur à la concentration explosive minimale. Et 5 millions de fois supérieur à la concentration de méthane dans l’atmosphère, qui est de 0,000179 %.

Mais rien n’indique que le trou s’est formé à la faveur d’une explosion, remarque M. Fortier.

Mais selon lui, et les autres experts, ce n’est pas le gaz lui-même qui a formé le trou. « Dans le pergélisol, qui est gelé depuis des dizaines de milliers d’années, il y a des masses de glace présentes dans le sol en forme de lentille, dit-il. C’est comme un noyau de glace qui a fondu. Quand la glace fond, il y a un effondrement. »

« Le truc qui est particulier, c’est qu’il y a du sol qui s’est effondré vers le haut, ce qui impliquerait qu’il y a eu une éjection de matière. Mais ça n'a pas été explosif, parce que sinon, il y aurait eu des éjectats plus loin. »

— Daniel Fortier, directeur du Laboratoire de géomorphologie et géotechnique des régions froides à l’Université de Montréal

Il est possible qu’on observe ce phénomène en Amérique du Nord. « On a des sols similaires dans l’Arctique canadien, au Yukon, dans le delta du Mackenzie et dans certaines îles de l’archipel arctique », dit-il.

Il explique qu’il faut des conditions estivales particulièrement chaudes pour déstabiliser des masses de glace qui sont là depuis des dizaines de milliers d’années. Mais on le sait, le réchauffement dans l’Arctique est deux fois plus rapide que sur le reste de la planète.

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