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L’Hexagone met son gilet vert

Maires ramenés à l’ordre par le préfet et par les tribunaux pour avoir signé des arrêtés anti-pesticides, mouvement national d’analyses d’urine pour traquer le glyphosate, pétitions, mouvements de résistance pacifique. La France des grèves massives et celle des gilets jaunes ne se sont jamais autant mobilisées pour une agriculture naturelle. La chroniqueuse Marie-Claude Lortie est allée voir ce qui s’y passait.

La Presse en France

Un problème qui est sur toutes les lèvres

VALLIÈRES-LES-GRANDES — Amélie Gidoin voulait s’installer dans un coin de pays tranquille, pour être au calme avec sa famille. C’est ainsi qu’elle s’est posée dans un hameau entre Blois et Amboise, dans la vallée de la Loire, dans une jolie maison avec un immense terrain pour y faire pousser des légumes, et même du blé. 

Elle y est depuis six ans. 

Ce qu’elle ne savait pas en choisissant ce lieu, cependant, c’est qu’elle se réveillerait parfois le matin avec un goût âpre dans la bouche et des maux de tête.

Elle sait alors que ses voisins immédiats, agriculteurs, viennent de traiter leurs champs avec des pesticides chimiques. « Et je ne sais pas ce qu’ils mettent », dit-elle. « Mais ce que je sais, c’est que je ne me sens pas bien du tout. »

Quand elle a entendu parler à la radio du mouvement Nous voulons des coquelicots, mouvement apolitique lancé entre autres par le journaliste Fabrice Nicolino, qui milite pacifiquement pour l’interdiction des pesticides chimiques en France, elle n’a donc pas hésité à s’engager. Ainsi, comme des milliers d’autres Français un peu partout au pays, tous les premiers vendredis du mois, à 18 h 30, elle va sur la place devant la mairie, avec d’autres résidants du village. Ensemble, ils demandent l’interdiction de tous les pesticides de synthèse en France et encouragent leurs concitoyens à signer une pétition.

« C’est modeste, mais dès la première fois, on était 60, dans un village de 500 personnes. C’est pas mal. » — Amélie Gidoin 

Avec plusieurs de ses concitoyens, elle est aussi allée faire un test d’urine de détection du glyphosate, une autre grande campagne qui a cours actuellement dans l’Hexagone.

En effet, pendant que les amis des coquelicots font de la résistance pacifique au milieu de leur village, cet autre mouvement parallèle, lui, fait pipi.

La Campagne glyphosate – Pour une agriculture sans pesticide est en effet un autre mouvement national, où l’action contestataire consiste cette fois à faire des tests d’urine sous la surveillance d’huissiers.

Et malgré des coûts élevés, les gens le font. Selon checknews.fr, la plateforme de vérification de faits du quotidien Libération, le mouvement a pratiqué depuis le 17 avril 2018 plus de 5200 tests ; chacun de ces « pisseurs » a « ainsi découvert la présence de glyphosate dans ses urines ». Les résultats s’échelonnent de 0,075 μg/L (microgramme par litre), la limite de détection du glyphosate par Biocheck (le test utilisé), à 7 μg/L. La moyenne des résultats serait de 1,2 μg/L selon « les pisseurs involontaires ».

Or, la norme dans l’eau potable est au maximum de 0,1 μg/L.

Quelque 1500 personnes testées ont posé le même geste civique : elles ont porté plainte devant les tribunaux contre ceux qui fabriquent et distribuent le glyphosate. Un procès collectif aura lieu.

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En France, la question des pesticides est constamment dans les conversations et dans l’actualité. 

La semaine dernière, Paulette Deschamps, la maire du Perray-en-Yvelines, une commune au cœur de la forêt de Rambouillet à l’ouest de Paris, s’est retrouvée devant le tribunal pour défendre sa décision d’interdire le glyphosate dans sa ville. 

« Tout a commencé un dimanche quand, en me promenant, j’ai vu un champ avec de l’herbe toute rouge », explique-t-elle en entrevue avec La Presse. Les plantes étaient mortes, desséchées, sous l’effet du glyphosate. « Des habitants sont aussi venus me voir pour m’en parler. Et c’est là qu’on a commencé à poser des questions et qu’on a appris qu’il y avait eu épandage. »

Puis des bénévoles de sa ville ont passé le fameux test d’urine et certains avaient jusqu’à 35 fois plus de glyphosate dans leurs urines que le taux permis dans l’eau…

Mme Deschamps a donc décidé d’aller de l’avant et de prendre les grands moyens. Un règlement, un « arrêté », interdisant le glyphosate dans une zone tampon de 150 mètres de large entourant Le Perray. Résultat : elle s’est retrouvée devant les tribunaux la semaine dernière, parce que le préfet de son département estimait qu’une telle interdiction ne pouvait relever de la compétence des communes. (Selon Paris, seuls les ministères nationaux sont habilités à imposer une telle interdiction.)

« On se plaint souvent, elle, elle agit », commente Fabrice Habigand, un résidant du village rencontré au café central du Perray, où Mme Deschamps reçoit bien des accolades. « On est tous inquiets. C’est très bien que les maires prennent position », ajoute Michèle Morin, retraitée.

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La France est-elle particulièrement mobilisée quand vient le temps de parler de pesticides ?

« C’est sûr que le principe de précaution est plus établi en Europe et que bien plus de pesticides sont interdits ici », répond Alexandre Guertin, architecte-paysagiste spécialiste de la permaculture, qui travaille actuellement à un projet agricole dans les jardins de Chambord. 

« On a des réflexes de révolutionnaires », ajoute en riant Baptiste Saulnier, le jardinier en chef, français, du potager.

« Oui, il y a actuellement une mobilisation », ajoute Hélène Menou, l’un des piliers du mouvement Nous voulons des coquelicots de la ville de Blois. « Un alignement des planètes. »

Le film Demain, document écologiste, a eu beaucoup de succès auprès de la population, qui a aussi été marquée par l’affaire des « fichiers Monsanto », sur les manœuvres de la multinationale pour manipuler l’opinion publique au sujet de ses produits. « On a aussi toujours été méfiants à l’endroit des OGM. D’ailleurs, on ne peut pas en faire pousser ici », dit-elle.

La France, rappelons-le, est le pays de José Bové, militant antimondialisation et pro-paysans. 

Le pays a des racines militantes profondes pour la défense de son agriculture. 

« Je trouve formidable leur capacité de s’indigner et de monter aux barricades », dit Trish Deseine, cuisinière d’origine irlandaise, très populaire autrice de nombreux livres de cuisine, qui s’est installée récemment tout près du Perche. 

« Mais ils ne se rendent pas compte de tout ce qu’ils ont déjà », ajoute-t-elle.

On pense ici aux interdictions déjà en place de certains pesticides, à l’interdiction des OGM, aux appellations contrôlées qui encadrent strictement les productions de centaines de produits du terroir. 

Un grand nuage plane toutefois au-dessus du vaste vignoble français, où on retrouve une grande part des pesticides utilisés en France, une part démesurée par rapport au nombre d’hectares de culture. Cela dit, même les plus grands crus se mettent aux approches naturelles, en commençant par le Château d’Yquem et Château Angélus.

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Le terrain de la maison de la famille de Mme Gidoin est collé sur les grandes étendues des plaines de la vallée de la Loire où on cultive du blé, du trèfle, du colza, du lin, du maïs. 

Quand elle a ouvert une grande porte-fenêtre pour admirer les couchers de soleil sur les collines, Mme Gidoin a aussi ouvert la porte à tout ce que le vent apporte des champs avoisinants. 

Elle rêve qu’un jour tout cela soit donc en culture biologique et qu’elle n’ait plus peur d’ouvrir la fenêtre ou de manger les baies qui poussent de ce côté-là de son jardin.

Elle rêve de champs de sarrasin, par exemple, pour faire du pain et des galettes.

Et elle espère que les agriculteurs comprennent que s’ils font ce changement, ils auront la population de leur côté.

« Je leur dis : demain, si vous faites du sarrasin en bio, je vous l’achète », dit-elle. « Ce qui est triste, c’est qu’actuellement, je n’ai rien des alentours dans mon assiette. »

La France mobilisée contre les pesticides en deux mots : 

Coquelicot

Nous voulons des coquelicots est le nom du mouvement informel antipesticides. Il vient du fait que les coquelicots sont un peu comme nos pissenlits au Québec : de jolies fleurs envahissantes dont les agriculteurs ne veulent pas dans leurs champs et qui disparaissent avec les herbicides.

Loi Labbé

Actuellement, la loi interdit l’utilisation des pesticides par les communes, sauf pour les terrains de sport et les cimetières, notamment. Mais les agriculteurs des alentours peuvent les utiliser. C’est pourquoi de plus en plus de maires ont pris des arrêtés demandant des zones tampons allant jusqu’à 150 mètres. Devant la multiplication des arrêtés, l’État central a décidé de faire une consultation nationale à ce sujet. 

Agriculture

Le savoir-faire québécois pousse dans le potager de Chambord

CHAMBORD — « Attention, ceci n’est pas un potager décoratif », avertit Baptiste Saulnier, maraîcher en chef du potager du domaine de Chambord, debout devant d’impeccables rangées de carottes, de chou frisé, de coriandre, de betteraves, mais aussi de rosiers et de plants de soucis, puisque les fleurs font partie de tout jardin biologique.

« Il y a une claire dimension entrepreneuriale. »

Cette année, pendant que des touristes venus du monde entier admiraient les tours et les escaliers du château imaginé par François Ier et aux plans duquel aurait collaboré Léonard de Vinci, M. Saulnier a vendu par exemple 300 kg de tomates, chapeauté quatre emplois, trouvé des clients pour ses paniers hebdomadaires et fourni des épiceries bios à Blois, la ville la plus proche.

« On visait 42 000 euros en légumes, on va les faire », dit le maraîcher, qui vend aussi ses produits aux visiteurs du château, à des chefs.

On est collé sur un des sites patrimoniaux les plus visités de France – un million de personnes l’an dernier –, mais aussi au milieu d’une vraie société agricole.

Et ce qui est encore plus étonnant, c’est que ce projet a été rendu possible en partie grâce au savoir-faire québécois.

En effet, s’il est difficile d’imaginer plus français et plus historique que Chambord, dans la vallée de la Loire, au milieu d’un parc rempli de cerfs, de faisans et de sangliers que les rois chassaient jadis, c’est aussi maintenant une propriété moderne, biologique, un peu québécoise.

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Tout a commencé quand, pour aller chercher des revenus supplémentaires essentiels à la bonne gestion de ce site patrimonial, le directeur de la chasse et des forêts de Chambord, Étienne Guillaumat, a proposé à son directeur Jean d’Haussonville d’utiliser l’espace naturel disponible pour créer un vaste projet agricole biologique commercial : potagers, vignes et donc vins, arbres fruitiers, pâturages…

« Notre stratégie depuis 10 ans est de valoriser le site pour permettre son autofinancement, explique M. Guillaumat en entrevue. Et réinventer le modèle économique. »

Donc, comme le domaine de Chambord compte plus de 5000 hectares, que l’agriculture fait partie des activités traditionnelles des grands châteaux et qu’un tel projet biologique, éducatif, voire technique, pouvait cadrer parfaitement avec la mission éducative et culturelle du monument, l’idée a rapidement fait son chemin.

Et c’est pour cela qu’ils sont allés chercher de l’expertise québécoise.

Baptiste Saulnier, le maraîcher en chef, a été envoyé à Hemmingford, à la Ferme des Quatre-Temps, où Jean-Martin Fortier forme des agriculteurs et se spécialise dans la production biologique intensive et rentable.

Alexandre Guertin, un Québécois architecte paysagiste spécialiste de la permaculture – et de ses besoins spécifiques –, a aussi été embauché.

Ainsi, les Québécois ont apporté leurs connaissances : une planification minutieuse des espaces qui permettent l’agriculture biologique, sans impact environnemental – il faut des étangs, de la diversité de culture, que tout soit proche pour que le travail ne soit pas mécanisé, que l’irrigation soit facile, etc. – et une standardisation des techniques, les moins coûteuses possible, qui maximisent la productivité.

« Ce qu’on cherche, c’est à obtenir la quintessence de nos mètres carrés », résume Baptiste Saulnier, qui est aussi allé chercher des idées chez le légendaire Eliot Coleman dans le Maine et à la ferme Bec Hellouin, pionnière normande de la permaculture.

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Pour le Québec, c’est un peu une boucle qui est bouclée, croit Jean-Martin Fortier, qui est le « parrain » des potagers, avec Julie Andrieu, animatrice et productrice d’émissions culinaires. Les meilleures techniques de maraîchage – culture de proximité, intensive, naturelle – sont françaises à l’origine. Ce sont ces techniques qui ont été reprises en Amérique du Nord, modernisées, qui maintenant reviennent en France.

André Desmarais, l’homme d’affaires et mécène derrière la Ferme des Quatre-Temps, qu’il a fondée pour en faire un pôle de formation et de rayonnement de la culture biologique rentable, voit ainsi un des aspects de son projet se concrétiser à Chambord. L’idée, a-t-il toujours dit, est de disséminer le savoir agricole mis au point à Hemmingford. Ça se fait déjà ailleurs dans la province, au Canada et même en France. Mais Chambord est la première ramification aussi prestigieuse.

Selon M. Desmarais, c’est même un peu le projet de François Ier qui se réalise, puisque, pour ces potagers, on a réuni des gens venus de partout avec leur savoir-faire, « dans l’esprit de la Renaissance », a-t-il expliqué dans un texte préparé pour le baptême officiel du potager.

Et cet esprit a plus que jamais sa place aujourd’hui, car, dit l’homme d’affaires, c’est ici « celui de la découverte d’une nouvelle liberté de s’alimenter », une découverte « qui renouvelle le lien de l’homme avec la terre que nous avons appris à mieux connaître, à respecter dans toutes ses ressources pour une vie meilleure, plus libre, plus digne et plus respectueuse du cycle naturel ».

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