Un marathon chaque semaine
Comme un hamster dans sa roue, nous n’allons nulle part. Mais pourquoi s’en soucier lorsqu’on avale un marathon par semaine ?
Inutile de posséder le don d’ubiquité pour franchir de 8 à 14 kilomètres par jour sans quitter son poste de travail. Il suffit de pianoter sur son clavier d’ordinateur tout en marchant sur un tapis roulant. Et de savoir tolérer les regards éberlués…
« Je ne savais pas qu’on t’avait demandé de produire l’électricité de la salle ! », a lancé le premier comique d’une longue série.
« Tu prépares des arguments musclés ? »
Remède extrême à la sédentarité extrême du XXIe siècle, les postes de travail actif ont beau déclencher encore l’ironie, ils font de plus en plus d’adeptes.
En Amérique du Nord, une dizaine d’entreprises fabriquent des tapis de marche destinés aux travailleurs – qui en achètent des dizaines de milliers par an et s’en bricolent au moins autant.
Au Canada, une poignée de ministères fédéraux et d’entreprises en offrent déjà (voir onglet 4). « Nos clients ne viennent plus seulement du secteur des technologies, confirme Peter Schlenk, président de LifeSpan, qui nous a prêté l’un de ses appareils pour un mois. Ce sont maintenant de grandes entreprises du secteur manufacturier, des assurances ou des banques, qui font toutes des efforts pour offrir un environnement de travail plus sain. »
« Cette année, j’ai appris qu’une bonne quinzaine d’écoles s’équipaient de vélos-pupitres. Il faut se soucier des élèves, qui vont bientôt entrer sur le marché du travail en réclamant ce genre de possibilités. »
—Marie-Ève Mathieu, professeure au département de kinésiologie de l’Université de Montréal
Intriguée, nous avons décidé d’en faire l’essai avec l’aide d’une équipe du Centre ÉPIC de l’Institut de cardiologie de Montréal, qui a évalué notre état de santé avant et après notre expérience. En 24 jours de travail, nous aurons finalement marché pendant 107 heures et franchi 276 kilomètres, soit la distance entre Montréal et Québec.
Mais ce sont plutôt les résultats de nos tests de santé qui ont étonné le directeur de la prévention à l’Institut, le Dr Martin Juneau. « Je suis impressionné, dit-il, qu’une expérience d’un mois ait pu produire un tel effet… »
Depuis une décennie, les études démontrent que faire du sport dans ses temps libres ne suffit pas à annuler les ravages du travail sédentaire.
« Le corps humain est fait pour que les muscles se contractent. Il a besoin d’être sollicité constamment pour fonctionner de façon optimale. »
— La kinésiologue Marie-Ève Mathieu
En moyenne, les Canadiens sont assis près de 10 heures par jour, a découvert Statistique Canada, grâce à des moniteurs d’activité ayant enregistré les mouvements quotidiens de presque 3000 adultes. L’utilisation de ces appareils a révélé du même coup combien les répondants s’illusionnent : 52 % des personnes suivies s’étaient déclarées « modérément actives », alors que seulement 15 % faisaient bel et bien assez d’exercice (soit au moins 150 minutes par semaine) pour tomber dans cette catégorie.
« On pourrait remplir le Stade olympique avec les études montrant les bienfaits de l’exercice. L’enjeu, c’est de l’incorporer dans la vie de tous les jours », constate le Dr Juneau avec ses patients.
Comment faire pour pallier le manque de motivation, souvent conjugué au manque de temps ? En 1999, un endocrinologue de la célèbre clinique américaine Mayo, James A. Levine, a commencé à marcher au bureau, en plaçant une table de lit d’hôpital au-dessus d’un tapis roulant traditionnel. Une fois raffinée, son invention a été testée en laboratoire et en entreprise. Chaque fois, le participant moyen perdait du poids et améliorait sa santé – souvent de plusieurs façons.
En utilisant notre appareil de deux à trois fois plus assidûment que les participants aux études – soit de quatre à cinq heures par jour plutôt que de une à trois heures, puisque notre expérience était brève –, notre niveau d’énergie a monté en flèche. Les mesures prises par le Dr Juneau ont facilement permis de comprendre pourquoi. « Certaines améliorations sont d’une ampleur suffisante pour éviter la prise éventuelle de médicaments », s’est réjoui le cardiologue.
« Plusieurs médecins ne sont pas assez conscients du fait que l’exercice et l’alimentation affectent tous les système en profondeur et ont un impact beaucoup plus global que les médciaments. »
5 Améliorations en 1 mois
Réduction de la fréquence cardiaque au repos 11,4 %
C’est le signe que notre travail cardiaque s’est amélioré, tout comme le tonus de notre système nerveux autonome parasympathique (qui régule les fonctions neurologiques inconscientes liées au coeur, aux artères et au système digestif).
Réduction de la pression artérielle maximale à l’effort : 12,5 % (pression systolique) et 18,2 % (pression diastolique)
Cela réduit de façon majeure les risques cardio-vasculaires (infarctus, accidents vasculaires cérébraux, démence, etc.)
Augmentation de la capacité aérobie maximale (en METs) 13,6 %
C’est un indice important de meilleure santé et un des meilleurs indicateurs de survie.
Réduction de la consommation d’oxygène pour le même effort sous-maximal : 12,5 %
C’est le signe d’une meilleure efficience – l’équivalent d’une voiture qui consomme moins d’essence pour parcourir la même distance à la même vitesse.
Réduction des lipides dans le sang : 7,1 % (cholestérol total) et 10,4 % (triglycérides)
C’est une amélioration bénéfique, même si leur niveau était déjà normal.
Des tests complémentaires ont démontré que nous avons par ailleurs amélioré notre « contrôle cognitif », un ensemble d'aptitudes mentales mobilisées pour élaborer des stratégies, planifier, se souvenir de détails, faire preuve de flexibilité mentale, etc. (voir onglet 3).
En parallèle, nos maux de tête matinaux se sont faits rarissimes. La léthargie de fin d’après-midi a disparu, tout comme l’envie de grignoter ou de bien arroser notre souper. Résultat : 7 kilos perdus, même si la dépense énergétique correspondant au nombre d’heures passées à marcher représente tout au plus de 2 à 3 kilos. « L’exercice peut réduire l’appétit chez certaines personnes, explique Maxime Boidin, doctorant en sciences de l’activité physique à l’Institut de cardiologie. Mais d’autres vont manger plus. Des chercheurs cherchent à découvrir ce qui fait la différence. »
Peut-être avons-nous bénéficié du fait que le stress s’envole pas à pas au fil des heures ? Difficile à dire. Chose certaine, au terme d’une expérience pareille, on a envie de faire sienne cette devise tirée d’une célèbre fable : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point… »