Justice

Combien coûte un avocat ?

Cher, répondrez-vous. Mais les avocats sont aussi soumis aux lois du marché. Certains innovent. D’autres font du bénévolat. Preuve et témoignages.

Un dossier de Marc Tison

Justice

« Ce n’est pas vrai qu’un avocat, c’est inaccessible »

Dans un jugement rendu le 9 mars dernier, le Conseil de discipline du Barreau du Québec a condamné l’avocat R. S. pour avoir demandé des honoraires injustifiés et déraisonnables (et également pour avoir eu des relations sexuelles avec sa cliente, mais ce n’est pas la question qui nous intéresse ici).

Mme A. B. et son conjoint S. B. avaient fait appel aux services de cet avocat en 2006 pour une complexe histoire immobilière concernant la vente de leur propriété. Un solde de prix de vente de 100 000 $ non versé par l’acheteur faisait l’objet d’une partie du litige. Au passage, l’avocat a lié une relation sexuelle avec sa cliente – et l’a même conseillée pour le divorce subséquent !

Pour une réclamation de 100 000 $, l’avocat a exigé des honoraires de 52 000 $, dont 43 000 $ ont été contestés par Mme A. B. – après sa rupture avec l’avocat, toutefois.

Le Conseil d’arbitrage du Barreau du Québec a d’abord rendu une décision en novembre 2011.

Il considère alors que les services facturés sont « démesurés et exagérés », ordonne à l’avocat de rembourser à A. B. une somme de 375,45 $ et annule le solde de 43 000 $.

À la suite de cette sentence arbitrale, le Conseil de discipline a entrepris l’enquête qui a donné lieu à la condamnation de mars dernier. « A. B. n’aurait jamais accepté d’entreprendre autant de recours si elle avait su que les honoraires s’élèveraient à près de 53 000 $ pour une réclamation de 100 000 $ », a noté le Conseil de discipline.

En conclusion : les honoraires d’avocat peuvent être excessifs (on s’en doutait), un client lésé peut obtenir réparation (il faut être patient) et le félon peut être puni (quoique R. S. attende encore sa sentence).

Les avocats trop chers

Selon une enquête réalisée pour le ministère de la Justice du Québec en avril 2016, 69 % des répondants croient qu’ils n’auraient pas les moyens financiers de se défendre devant les tribunaux.

Chez les ménages mieux nantis, qui gagnent un revenu annuel brut de plus de 100 000 $, ils sont encore la moitié (50,8 %) à estimer qu’ils n’auraient pas les moyens de faire valoir leurs droits.

Pourtant, les besoins sont là. La même enquête révèle que 19 % des répondants ont fait appel aux services d’un avocat au cours des cinq années précédentes.

Au cours des cinq dernières années

19,1 % des répondants ont fait appel aux services d’un avocat

47,1 % des répondants ont fait appel aux services d’un notaire

Source : Enquête sur le sentiment d’accès et la perception de la justice au Québec, avril 2016

Pour 87,4 % des gens qui disent n’avoir pas les moyens de se défendre devant les tribunaux, ce sont les honoraires des avocats qui font barrage.

« De dire que les coûts du système de justice sont inaccessibles pour la classe moyenne, ça, je suis parfaitement d’accord », exprime le bâtonnier du Québec, Me Paul-Matthieu Grondin.

« Mais dire qu’un avocat, comme tel, c’est trop cher, inaccessible, ce n’est pas vrai. Il y a plusieurs façons de consulter un avocat, et ça, il faut que la population le sache. »

À combien s’élèvent-ils, ces honoraires ?

D’honorables honoraires

Parmi les avocats qui facturent leurs services à honoraires, 42 % demandent 100 $ ou moins l’heure – un tarif qui se compare aux services du mécanicien de votre concessionnaire.

Près du quart (23 %) exigent plus de 250 $… et 1 sur 20 se flatte de toucher plus de 500 $ pour chaque pénible heure de sueur (ou 8,33 $/minute).

« Pour beaucoup de gens, lors d’une première consultation, on peut en savoir beaucoup plus sur ses droits et être aiguillés dans la bonne direction, fait valoir Me Paul-Matthieu Grondin. Et une première consultation, il arrive que ce soit gratuit ou qu’il y ait des frais minimes. »

« Cette première consultation est théoriquement pas mal accessible à tout le monde. »

Il est intéressant de noter que la tranche de taux horaire médiane est plus élevée chez les hommes que chez les femmes.

Hommes : entre 201 $ et 250 $

Femmes : entre 101 $ et 150 $

Combien coûte une démarche complète ?

« Dès que vous rencontrez un avocat, vous avez le droit de poser toutes les questions que vous voulez, sur tous les modes de tarification, sur l’argent qu’un dossier peut coûter », indique Me Grondin.

L’ennui, bien sûr, c’est que plus vous additionnez les questions sur les coûts, plus les coûteuses minutes s’additionnent elles aussi.

« La vaste majorité des avocats sont des gens très responsables qui vont prendre au sérieux leur obligation de vous expliquer, par exemple, les coûts possibles d’un procès versus les coûts d’un règlement », défend le bâtonnier.

Combien risquez-vous de débourser si vous faites appel à la compétence et à l’expertise d’un conseiller juridique ? Voici les plus récents résultats d’un sondage mené chaque année par un magazine de droit canadien.

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Payer autrement… et moins si possible

Vous serez peut-être surpris de l’apprendre : la tarification horaire chez les avocats est un phénomène relativement récent.

Durant la première moitié du XXe siècle, les cabinets facturaient leurs services sur une base forfaitaire ou sous forme d’abonnement mensuel. C’est ce que rappelle le rapport La tarification horaire à l’heure de la réflexion, qu’a publié le Barreau du Québec en février 2016.

Ce n’est qu’au milieu des années 60 que la tarification à un taux horaire appliqué aux heures travaillées a commencé à se répandre au Canada. Elle est devenue la norme quasi exclusive au cours des années 80.

Mais la tendance pourrait s’inverser, si on en juge les nouvelles formules apparues au sud de la frontière : des services juridiques offerts chez Walmart, un site de demande de soumissions d’avocats comme s’il s’agissait d’entrepreneurs en rénovation, des systèmes intelligents qui font les vérifications diligentes en préparation de procès…

Les nouvelles technologies juridiques sont en train de bouleverser la pratique. La tarification horaire n’y est pas adaptée et devra céder sa place à des modèles d’affaires plus souples. Les clients, de leur côté, veulent savoir au départ combien leur coûtera le mandat qu’ils confient à leur avocat.

« Tout le monde est dans cette voie-là, la modification des tarifications, et tout le monde essaie fort d’en arriver à une meilleure prévisibilité », soutient le bâtonnier du Québec, Me Paul-Matthieu Grondin.

Les modes alternatifs de tarification (MAT) sont connus, mais encore peu répandus.

Des modes alternatifs de tarification (MAT)

Forfait : le coût du service est fixé au départ  – un peu comme pour une vidange d’huile chez le concessionnaire automobile

Prix plafond : un taux horaire s’applique, à concurrence du plafond convenu avec le client

Gestion de projet : un prix global est fixé pour l’ensemble des activités du dossier

Tarif conditionnel au succès : le prix dépend des résultats obtenus

Provision : entente de paiements à intervalles réguliers, au mois, par exemple

Hybride : plusieurs modes combinés selon les services rendus

Source : La tarification horaire à l’heure de la réflexion, Barreau du Québec, février 2016

C’est dans le segment des petits cabinets et avocats autonomes qu’ils sont le plus répandus : le tiers (32 %) les utilisent. Des cabinets comme le Palier juridique.

Un exemple

En 2010, Frédéric Lacoste et son associé Maxime Tremblay, alors jeunes avocats avec deux ans d’expérience sous la toge, ont fondé leur cabinet sur le principe d’une tarification variable selon le revenu du client. Ils lui ont donné un nom qui reflétait ce principe de tarification en escalier : le Palier juridique.

« Lorsqu’on a pensé au concept, on avait identifié la nécessité de pouvoir participer à l’accessibilité à la justice, explique Frédéric Lacoste. N’étant pas législateurs, une des façons qu’on pouvait mettre sur la table, c’était de jouer sur la tarification. »

Un rabais sur le tarif horaire courant de 128,86 $ s’applique en fonction des revenus des clients.

« Plus les revenus seront faibles, plus le rabais sera important », précise l’avocat.

Depuis 2010, trois succursales se sont ajoutées à Québec, Laval et Longueuil. L’entreprise compte maintenant 12 avocats.

« Ça va bien, constate Me Lacoste. On a une belle réponse de la clientèle. Je pense que manifestement, on répondait à un besoin. »

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Une facture de 100 000 $… gratuite

« Ma facture s’élevait à plus de 100 000 $. »

C’est ce que lui aurait coûté sa défense… si elle avait eu à la payer.

Mais Marie-Ève Maillé n’a rien déboursé.

Elle a obtenu le soutien de Pro Bono Québec, organisme qui met en lien des avocats de bonne volonté avec des justiciables qui n’ont pas les moyens de faire appel à leurs services.

Sa cause en valait la peine. Dans le cadre de sa thèse de doctorat, l’étudiante avait étudié les dissensions sociales que provoquait un projet de parc éolien dans deux petites localités du Centre-du-Québec. Les citoyens de l’endroit ont intenté en 2014 un recours collectif contre le promoteur, en appelant la chercheuse comme témoin expert. À l’automne 2015, l’avocat du promoteur a demandé que les données de recherche lui soient livrées pour préparer sa défense.

Mais ces données – les témoignages des citoyens sur les délicates relations entre voisins – avaient été fournies à la chercheuse sous le sceau de la plus stricte confidentialité.

Elle a refusé de les fournir.

La thèse et le témoignage de la chercheuse ont été retirés de la preuve dans l’espoir que les avocats du promoteur renoncent à réclamer les données, mais en vain.

En janvier 2016, en l’absence de Mme Maillé et sans qu’elle soit représentée, le juge a ordonné qu’elle livre ses données de recherche.

Sans soutien de son université, Marie-Ève Maillé a requis l’Aide juridique, mais les revenus de son ménage excédaient tout juste le plafond autorisé.

C’est alors qu’elle a fait appel à Pro Bono Québec.

Un brillant avocat, associé dans un important cabinet de droit commercial de Montréal, a accepté de défendre sa cause, avec l’assistance d’une collègue.

« Son tarif habituel est de 520 $ de l’heure », souligne Mme Maillé.

« Pour moi, ça a fait toute la différence, confie-t-elle. Chaque fois qu’on reçoit une lettre d’avocat où il est écrit en bas : veuillez agir en conséquence en lettres majuscules, c’est vraiment rassurant de pouvoir prendre le téléphone pour savoir ce qu’on doit faire afin de ne pas se retrouver avec un huissier à la porte. »

La cause, suivie avec attention par la communauté scientifique, a été entendue en mai 2017.

Neuf avocats ont plaidé ce jour-là. « Même si je suis scolarisée, je n’aurais pas été en mesure de me représenter seule », constate-t-elle.

« À plusieurs moments, je ne savais ce que j’avais le droit de faire. C’est très intimidant, la justice. On se demande si on a le droit de prendre la parole, d’intervenir, de poser des questions… »

Dans la décision rendue au début du mois de juin, le juge lui a donné raison.

« Le délai d’appel est expiré, conclut Marie-Ève Maillé. Je dors sur mes deux oreilles, c’est derrière moi. »

Les services Pro Bono

Pro Bono est une expression latine qui signifie « pour le bien public ». Le fait de consacrer chaque année une cinquantaine d’heures au conseil juridique bénévole est une tradition bien installée en Amérique du Nord.

Pour faciliter l’accès à cette réserve de bonne volonté, Pro Bono Québec « offre des services bénévoles pour des gens qui sont trop riches pour l’Aide juridique », mais qui n’ont pas les moyens de payer les services d’un avocat, décrit sa directrice générale, Me Nancy Leggett-Bachand. Les causes acceptées par l’organisme sont proposées aux quelque 2500 avocats inscrits dans sa banque.

Pro Bono Québec reçoit environ 300 demandes de particuliers chaque année, dont un tiers sont rejetées, un autre tiers sont « maillées assez rapidement » avec un avocat, et un dernier tiers plus longues à attacher en raison de leur complexité.

Le demandeur doit démontrer qu’il a d’abord essuyé un refus à l’Aide juridique. Passé ce seuil, l’acceptation « est assez discrétionnaire », informe Me Leggett-Bachand. Les litiges qui opposent David à Goliath, les causes sociales ou celles qui impliquent un dommage irréparable reçoivent un accueil sympathique.

Pro Bono Québec aide aussi des groupes communautaires et des organismes à but non lucratif, au travers desquels « on sert beaucoup plus de citoyens », explique Nancy Leggett-Bachand.

D'autres ressources gratuites ou à bas prix

Une boussole juridique...

Mis sur pied par Pro Bono Québec, le site web Votre boussole juridique regroupe près de 400 ressources juridiques gratuites ou à faible coût.

... et des cliniques juridiques

Plusieurs facultés de droit ont ouvert des cliniques juridiques, qui offrent des services de consultation gratuite aux employés et étudiants, et quelquefois à la population de l’endroit.

Forfaits pour les Petites créances

Dans les régions de Montréal, de Québec, de Montmagny et de la Beauce, le site JurisRéférence propose un Service d’aide à la préparation d’un dossier aux petites créances. Ces services sont offerts à forfait : 

Rédaction d’une mise en demeure : 250 $

Préparation d’un plan de déroulement de l’audition : 150 $

Rencontre d’accompagnement avant l’audition : 250 $

L’Aide juridique

L’Aide juridique offre des services juridiques gratuits ou au rabais aux personnes à faible revenu. Les services peuvent être fournis par l’avocat d’un des bureaux d’Aide juridique ou par un cabinet privé. Pour les revenus supérieurs à ces plafonds, d’autres échelles établissent une contribution qui variera de 100 à 800 $.

Les Centres de justice de proximité du Québec

Les six centres de proximité du Québec procurent des services gratuits d’information juridique de soutien et d’orientation. Ils sont situés dans les régions de Montréal, Québec, Bas-Saint-Laurent, Outaouais, Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et Saguenay–Lac-Saint-Jean. Ces centres peuvent répondre aux questions liées à la vie courante, telles : comment annuler la pension alimentaire de mon enfant majeur, ou quelles sont les obligations du vendeur de ma voiture d’occasion. Ils n’offrent toutefois aucun service juridique.

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Une assurance qui couvre vos frais d’avocat

Vous devez consulter un avocat pour régler un problème de clôture avec votre irascible voisin ? Hop ! un appel à votre assureur, qui va couvrir les frais.

Quoique méconnue, cette ressource existe : l’assurance frais juridiques a été mise sur pied à l’instigation du Barreau du Québec.

Pour une prime annuelle d’environ 50 $, le contrat typique couvre les honoraires d’avocat, les expertises et les frais connexes jusqu’à concurrence de 5000 $ par litige, pour un maximum cumulatif de 15 000 $ par année. Vous choisissez vous-même votre avocat.

Des faiblesses

On reproche généralement à l’assurance frais juridiques ses domaines d’intervention limités : la consommation, les dommages corporels ou matériels, la propriété et l’habitation, le revenu et le travail.

« Si je veux divorcer, ou pour une garde d’enfant, ce n’est possiblement pas couvert, commente l’avocate Jannick Desforges, directrice des affaires constitutionnelles et de la conformité à la Chambre de l’assurance de dommages. Si je me fais arrêter pour alcool au volant non plus. »

Le plafond standard de 5000 $ par litige est également jugé trop bas.

« Au taux moyen d’un avocat, il faut savoir que pour se rendre à un procès de deux jours, ça peut coûter facilement le double », rappelle l’avocate.

« Ce sont des critiques que nous entendons », répond le bâtonnier du Québec, Me Paul-Matthieu Grondin.

Neuf assureurs offrent l’assurance frais juridiques, mais uniquement sous forme d’avenant à une assurance auto ou habitation.

« Ça nous prend des compagnies qui l’offrent bien, c’est notre défi, en ce moment, poursuit Me Grondin. On aimerait que l’assurance frais juridique soit plus viable et que ça puisse mieux se vendre. »

La salinité de la facture de votre avocat vous déplaît ?

La facture de votre avocat est trop salée à votre goût ? Elle ne correspond pas au travail effectué ? Vous n’êtes pas sans ressources. Si vous n’arrivez pas à vous entendre avec votre avocat, vous pouvez faire appel au service de conciliation du Barreau du Québec. Vous demande de contestation doit être déposée au Bureau du syndic dans les 45 jours civils qui suivent la réception du compte. Une simple lettre suffit, qui expose vos motifs. Un avocat conciliateur tentera d’amener les deux parties à une entente. Ce service est gratuit.

L’arbitrage

La conciliation a échoué ? Le conciliateur vous transmettra son rapport, ainsi qu’un formulaire avec lequel vous pourrez faire une demande d’arbitrage dans les 30 jours. Un arbitre entendra les arguments – et même les témoins ! – des deux parties, qui peuvent se faire représenter par un avocat. Sa décision est irrévocable et sans appel.

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