Chronique

Pour revaloriser les métiers et les techniques

Il n’y a plus d’emploi intéressant sur le marché du travail si l’on n’a pas au minimum un diplôme du secondaire. D’où l’intérêt de prolonger la fréquentation scolaire jusqu’à ce qu’un élève, en tenant compte des redoublements, ait obtenu un diplôme.

Il fut un temps où les garçons sans instruction pouvaient trouver un bon emploi syndiqué en usine ou dans les mines. Or, les mines ferment, les usines sont délocalisées…

Les programmes de formation professionnelle, au secondaire ou au collégial, ne servent pas seulement à accueillir les jeunes qui ne sont pas attirés par un parcours universitaire. Leur fonction première est de former les techniciens de haut vol dont le Québec a désespérément besoin. Encore faut-il revaloriser ces filières, expliquer aux ados et à leurs parents qu’elles peuvent mener à des occupations intéressantes et rémunératrices.

Entre un sociologue au chômage et un bon plombier, un roboticien ou un technicien en aéronautique, qui aura la carrière la plus gratifiante ?

L’Europe a des choses à nous apprendre. L’Allemagne, par exemple, est réputée pour son excellent système de formation professionnelle. La France aussi forme des techniciens très qualifiés – c’est pourquoi ses entreprises ont un taux de productivité très élevé malgré les embûches de son marché du travail trop réglementé.

La France, justement, a créé en 1924 une institution extraordinaire, qui constitue encore aujourd’hui un formidable stimulant pour les jeunes attirés par les métiers : le concours du Meilleur ouvrier de France.

Tous les quatre ans, les meilleurs ouvriers et artisans reçoivent ce titre après avoir créé une œuvre maîtresse dans une multitude de domaines, de la boulangerie à la maçonnerie en passant par la fonderie, le verre ou la ganterie. La cérémonie de remise des titres a lieu à la Sorbonne, le symbole du haut savoir, et est suivie d’une réception à l’Élysée.

Certaines des œuvres primées sont exposées au Musée national des meilleurs ouvriers de France, à Bourges, de même qu’au Musée du compagnonnage, à Tours : un étalage fascinant des plus belles choses que peut créer le génie humain dans une foule de domaines où se conjuguent l’intelligence de la matière, le savoir-faire et l’habileté manuelle. Ce sont des artisans comme ceux-là qui ont construit les impérissables chefs-d’œuvre que sont les cathédrales.

Encore aujourd’hui, quand on voit à la devanture d’une boulangerie ou d’un atelier de plomberie le titre de Meilleur ouvrier de France, suivi de l’année de sa promotion, on sait d’emblée qu’il s’agit d’un gage de qualité. Dans la restauration par exemple, c’est parmi ces lauréats que les chefs étoilés vont chercher leurs apprentis.

Au Canada, il existe une institution analogue depuis 22 ans, les Olympiades de la Formation professionnelle, qui récompensent les meilleurs artisans des métiers et de la technologie. Les lauréats de chaque province participent au concours pancanadien, et les champions se retrouvent aux Olympiades internationales, qui ont eu lieu l’an dernier à Sao Paolo. C’est malheureusement une initiative peu connue. Il y manque la touche de glamour des MOF.

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Un film intéressant à l’affiche : La loi du marché, mettant en vedette l’excellent Vincent Lindon, vu et admiré dans Welcome, où il incarnait un maître-nageur de Calais qui accepte d’entraîner un jeune migrant résolu à traverser la Manche à la nage. Une histoire bouleversante.

La loi du marché ne l’est pas moins, quoique dans un registre beaucoup plus sobre. Ce drame social est réalisé dans un style proche du documentaire, tourné avec la caméra à l’épaule, et tous les acteurs sauf Lindon sont des amateurs.

Thierry, la cinquantaine, ancien grutier, est au chômage depuis un an. Les démarches classiques (cours de formation, entrevues de reclassement, etc.) ne donnant rien, il s’embauche comme agent de sécurité dans un supermarché. Il deviendra délateur, traquant les clientes qui auraient dérobé un morceau de viande ou les caissières qui auraient mis la main sur quelques bons de rabais.

Ce film décrit sans pathos la condition du chômeur qui passe de la petite classe moyenne à l’insécurité financière. Il ravale sa colère, baisse la tête, résigné à sa situation d’humilié jusqu’à en perdre ses repères moraux. Jusqu’à ce que…

L’épisode où Thierry et sa femme tentent de vendre la modeste maison préfabriquée qui leur sert de « chalet » est un bijou de finesse. Il y a, à côté des scènes déchirantes où des « voleurs » pris en flagrant délit sont impitoyablement humiliés, des scènes hilarantes, comme cette entrevue d’embauche par Skype entre Thierry et un conseiller de Pôle Emploi (l’assurance emploi).

Comme dénonciation de cette plaie sociale qu’est le chômage, ce film de peu de mots vaut plus que tous les discours.

Ma seule réserve est la description un peu trop mièvre de la vie familiale paisible, quasi idyllique, de Thierry. Il aurait été plus réaliste de laisser entrevoir les tensions qu’amènent nécessairement, même dans les ménages les plus unis, le chômage et le spectre de la pauvreté.

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