Chronique

Plaidoyer pour l’éducation

Dimanche, alors qu’elle participait à une manifestation pour dénoncer la réforme de l’aide sociale du ministre Sam Hamad, la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé, Régine Laurent, disait la chose suivante : « Il y a une façon, effectivement, qui peut aider les gens à sortir de la pauvreté, particulièrement les jeunes, c’est par l’éducation. »

Lundi, l’économiste Robert Gagné, professeur à HEC et directeur du Centre sur la productivité et la priorité, le CPP, en quelque sorte à l’autre bout du spectre idéologique, affirmait dans La Presse+ que « si le gouvernement souhaite implanter durablement une culture de l’innovation, il devra faire de l’éducation sa principale priorité ».

Qu’est-ce qui se passe ? Une dirigeante syndicale et un économiste membre de la Commission permanente sur la révision des programmes, la commission Robillard, qui voient tous deux l’éducation comme solution ?

Ce rapprochement, on le retrouve dans les pages mêmes de La Presse. Je ne sais plus combien de chroniques j’ai pu écrire – sur les CPE, le décrochage, le sous-financement universitaire, l’analphabétisme – dont la conclusion était invariablement l’importance de faire de l’éducation notre grande priorité. Mon collègue Patrick Lagacé, avec des sensibilités et un cheminement différents, a tapé lui aussi sur ce clou avec les huit chroniques qu’il a écrites jusqu’ici sur ce thème, dont le titre commun est « Si l’école était importante ».

Comment expliquer cette convergence ? Pour une raison bien simple. L’éducation est l’outil le plus puissant pour sortir les gens du cycle de la pauvreté. En même temps, c’est aussi le principal outil pour assurer la prospérité et augmenter le niveau de vie. Miser sur l’éducation, c’est à la fois lucide et solidaire.

Mais pourquoi, alors, si l’éducation est aussi essentielle, les gouvernements qui se sont succédé au Québec n’en ont-ils jamais fait la priorité des priorités ? C’est plus visible avec le gouvernement Couillard, qui a choisi de ne pas épargner l’éducation dans ses politiques de rigueur. Une erreur stratégique, selon moi, parce ces coupes paramétriques affaiblissent le réseau et parce qu’elles envoient un très mauvais message.

Mais le gouvernement libéral n’est pas le seul. Aucun politicien québécois, depuis des décennies, n’a vraiment misé sur l’éducation, sauf André Boisclair, lorsqu’il dirigeait le PQ, et François Legault, à la tête de la CAQ. Ceci explique cela.

Manifestement, ce n’est pas un thème gagnant, en grande partie parce que les Québécois n’y accordent pas une grande importance.

Les conséquences sont lourdes. Le CPP, dans son rapport Productivité et prospérité au Québec, bilan 2015, estime que les dépenses budgétaires en éducation par habitant n’ont augmenté que de 4 % entre 2002-2003 et 2012-2013, pour une croissance annuelle moyenne de 0,43 %. Pendant cette décennie, elles ont augmenté de 18 % en Ontario.

L’organisme calcule que si le Québec dépensait autant que le reste du Canada pour chaque personne de moins de trente ans, soit la clientèle scolaire potentielle, cela représentait 1,6 milliard de plus. Ce sous-investissement se reflète dans certains retards du Québec, notamment un taux de décrochage trop haut et un taux de diplomation universitaire trop bas.

Si le rôle de l’éducation dans la lutte à la pauvreté tombe sous le sens, pourquoi est-ce aussi important pour l’économie ? Parce que le retard du Québec pour son niveau de vie, l’un des plus bas de l’OCDE, tient essentiellement à la faible progression de la productivité du travail et parce que l’amélioration de cette productivité passe par l’innovation dans son sens large. Et comment peut-on encourager l’innovation ? Par une politique économique cohérente qui en fait le cœur de son action, et par l’éducation, pour augmenter le nombre de chercheurs, de professionnels, de spécialistes, de diplômés universitaires, pour augmenter les compétences techniques de la main-d’œuvre et le niveau général de connaissances, un élément essentiel dans notre société où le niveau de littératie est trop faible.

Ce qui est intéressant dans l’étude du CPP, c’est que les deux mesures qu’il propose pour renforcer notre système d’éducation ont clairement une dimension sociale et cherchent à s’attaquer à la source du problème. D’abord, instaurer la maternelle obligatoire à 4 ans, pour être certains que tous les enfants, peu importe leur milieu, ont toutes les chances de leur côté dans leur parcours scolaire. Ensuite, rendre l’école obligatoire jusqu’à 18 ans pour réduire le décrochage et mieux préparer les jeunes au marché du travail.

Mais c’est le genre de solution qui ne peut porter des fruits que si les Québécois sont prêts à participer à une croisade pour l’éducation, à en faire un projet collectif dans lequel ils sont prêts à consacrer de l’énergie, de la passion et des ressources.

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