Groupes spécialisés pour enfants autistes

UN CPE PAS COmme les autres

Les enfants qui reçoivent un diagnostic d’autisme peinent souvent à trouver un service de garde adapté à leurs besoins. Le centre de la petite enfance (CPE) Au Petit Talon, à Montréal, accueille dix de ces enfants dans deux groupes spécialisés. Or, 15 ans après leur création, la direction du CPE doit une fois de plus composer avec une réduction de son financement, qui compromet ce programme.

Un dossier de Marie-Eve Morasse

« On s’apprivoise, on apprend à les décoder, on observe »

« On a de la visite, Marie-Eve et François sont venus nous voir. Est-ce qu’on peut entrer, Barbara ? » Du haut de ses trois ans et demi, la petite Barbara n’est pas la terreur du centre de la petite enfance Au Petit Talon, tant s’en faut. Si ses éducatrices prennent la peine de lui dire qu’une journaliste et un photographe s’inviteront bientôt dans son local, c’est pour mieux la préparer.

« Pour Barbara, les visages, c’est envahissant, alors on n’arrive pas soudainement dans le local. C’est comme si elle faisait des photos : elle s’est fait une image du local, elle a enregistré une pensée et s’il y a trop de monde qui arrive en même temps, ce sont des stimuli », explique Korinne Bilodeau, éducatrice du groupe des Perroquets, dans ce CPE du quartier Villeray.

Les cinq enfants qui fréquentent ce groupe ont reçu un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme. Le centre de la petite enfance les accueille dans un local bien à eux, où travaillent à temps plein deux éducatrices.

C’est une rareté dans le monde des services de garde. Lorsqu’ils arrivent dans l’un ou l’autre des deux groupes de ce centre de la petite enfance, les petits ont souvent vécu des passages difficiles dans d’autres garderies, faute de services adaptés.

« Les enfants qu’on reçoit ont fait ailleurs ce qu’on appelle “du parallèle” : on leur donne des petites voitures et ils peuvent aligner des petites voitures toute la journée. On a aussi une autre clientèle qui ne trouvait tout simplement pas de milieu de garde. »

— La directrice du CPE, Audrey Desrosiers

Chez les Perroquets, les éducatrices ont davantage de temps à consacrer à chaque enfant. « On s’apprivoise, on apprend à les décoder, on observe », explique Korinne Bilodeau, qui travaille avec des enfants autistes depuis une dizaine d’années.

Bryan, trois ans et demi, aime regarder la lumière qui pénètre dans le local et les petites particules de poussière qu’on y voit flotter. C’est un enfant très « hop la vie » et « relax » à la fois, décrivent ses éducatrices.

Andreas, une « boule de joie », vient pour sa part d’un milieu de garde où il passait une bonne partie de ses journées à faire des casse-têtes. À presque 5 ans, il ne parle pas, mais se fait comprendre par des signes. Costaud, il est constamment en mouvement et semble occuper le local à lui seul.

« Avant, il résistait. Ça va beaucoup mieux, mais heureusement on est en forme », dit en riant son éducatrice Julie Langlois.

Inclure ces enfants dans des groupes ordinaires pourrait s’avérer difficile, de l’avis des éducatrices. La période du dîner est particulièrement intense. Bien que le repas soit fourni, chaque enfant apporte son lunch.

« C’est trop d’informations pour eux, les nouvelles couleurs, les textures… On a essayé avec la nourriture du CPE, mais les enfants faisaient des crises et passaient tout un après-midi le ventre vide, ça ne marche pas », explique Korinne Bilodeau.

Une éducatrice doit aider Andreas à manger parce que si toute la nourriture est posée devant lui, il l’avalera d’un trait. Pendant ce temps, Bryan miaule en jouant dans son spaghetti du bout de sa fourchette. Plus tôt, il avait surpris son éducatrice en la gratifiant d’un « merci » prononcé bien clairement parce qu’elle lui avait lavé les mains. « D’un enfant à l’autre, c’est tellement différent », observe Julie Langlois.

Bien qu’ils aient leurs propres groupes, les enfants autistes du CPE Au Petit Talon ne sont pas pour autant isolés des autres enfants. Ils partagent la cour avec les autres, ont des « amis » des autres groupes qui viennent les visiter. C’est une intégration à petits pas, qui les plonge dans la vie quotidienne de la garderie.

L’heure de la sieste sonnera bientôt, et comme les autres enfants, les Perroquets dormiront côte à côte dans le petit local. « C’est la vie de CPE », résume l’éducatrice Julie Langlois.

Un programme de nouveau menacé

Regrouper des enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) n’est pas le modèle d’intégration préconisé par le ministère de la Famille, reconnaît la directrice du CPE.

« Le modèle, c’est d’intégrer les enfants dans des groupes réguliers avec du soutien supplémentaire, des accompagnateurs. Mais quand on connaît bien la clientèle TSA, on sait que pour ces enfants, être intégré en groupe régulier, ça peut être super anxiogène. Notre modèle d’intégration est toléré, mais le Ministère n’en fait pas la promotion », explique Audrey Desrosiers.

Lorsque le programme a été menacé de fermeture il y a trois ans, le précédent gouvernement libéral a consenti une somme qui n’a pas été reconduite par le gouvernement caquiste. « Au ministère [de la Famille], on nous a dit que c’était notre choix d’accueillir des enfants TSA et qu’il fallait l’assumer », soutient Audrey Desrosiers.

Le ministère de la Famille explique avoir « analysé la situation financière du CPE Au Petit Talon et déterminé que celui-ci dispose des fonds nécessaires pour lui permettre de continuer d’offrir ce service ». Québec estime aussi que le CPE pourrait demander une subvention comme la « Mesure exceptionnelle de soutien à l’intégration ».

« Ça ne veut pas dire qu’on va l’avoir, cette subvention, et il faut la redemander chaque année. Je dis quoi aux parents si j’apprends qu’on ne l’a pas ? C’est de la gestion de fonctionnaire. »

—Nicole Sanschagrin, directrice générale adjointe du CPE

Les finances du CPE vont bien, reconnaît-elle, mais les trois bâtiments qui accueillent les enfants demandent des rénovations qui exigeront que le centre de la petite enfance pige dans ses surplus.

Il est important de détecter les enfants TSA le plus tôt possible, mais encore faut-il leur assurer un accès aux ressources adaptées, dit la directrice de la Fédération québécoise de l’autisme. « La prévalence de l’autisme double tous les quatre à cinq ans. Les enfants continuent d’arriver, on ne sait pas pourquoi, mais ça continue. Quand on réussit à avoir un nouvel investissement pour les enfants autistes, les besoins sont déjà rendus plus grands », explique Johanne Lauzon.

Le conseil d’administration d’Au Petit Talon entend bientôt se pencher sur l’avenir de ses groupes spécialisés et les moyens possibles de les maintenir.

Une fermeture pure et simple pourrait-elle survenir  ? « En 2016, ç’avait été envisagé : soit on recevait du financement, soit on fermait. Mais on ne veut pas se rendre là », dit Audrey Desrosiers.

« Une chance phénoménale »

Quand Maximilien Bouchard et sa conjointe ont appris que leur fille Barbara était autiste, le choc a été considérable.

« Ça a fait émerger des craintes. On se fait dire que l’intervention précoce est importante pour le développement et le futur de notre enfant, mais on tombe sur de longues listes d’attente pour les services publics. C’est stressant, angoissant et frustrant », dit Maximilien Bouchard.

L’arrivée de Barbara dans le groupe des Perroquets après un passage dans un service de garde en milieu familial a été un soulagement pour sa conjointe et lui.

« Savoir que ce sont des éducatrices spécialisées et qu’elles comprennent bien les TSA, c’est rassurant. »

— Maximilien Bouchard

Intégrée dans un groupe ordinaire, Barbara ferait peut-être le choix de se tenir à part des autres, avance son père. « Une des choses qu’on avait remarquées avant, c’est qu’elle faisait des crises assez intenses, elle se cognait la tête assez fort, relate Maximilien Bouchard. Elle en fait considérablement moins, j’ai l’impression que Korinne et Julie [les éducatrices] savent bien gérer ça. Elle peut avoir pas mal plus d’attention. »

Le fils de Sidonie Bigarré, aujourd’hui âgé de 9 ans, est entré au CPE Au Petit Talon à la pouponnière. À la suite de son diagnostic d’autisme, on a tenté de le laisser dans un groupe ordinaire avec une accompagnatrice.

« Ça ne fonctionnait pas du tout, Milo perturbait le fonctionnement du groupe, se souvient sa mère. Il avait des besoins particuliers au quotidien et les activités n’étaient pas adaptées pour lui. »

Tout a changé pour Milo à son arrivée dans le groupe des Renards, qui accueille des enfants avec un TSA.

« Ç’a été une chance phénoménale. Ça lui a permis de comprendre le fonctionnement de groupe, d’avoir un accès aux modes de communication comme les pictogrammes, le respect des consignes, ç’a été le tout début de l’enseignement. »

— Sidonie Bigarré

« Et ça m’a permis de continuer une vie professionnelle, ce n’est pas la moindre des choses », poursuit Sidonie Bigarré.

Elle décrit son fils comme hyperactif, impulsif et dépendant « pour tous les actes de la vie quotidienne ».

« [Les politiciens] ne se rendent pas compte que des enfants ne peuvent pas être intégrés, ils ne connaissent pas la pathologie, la lourdeur, dit Sidonie Bigarré. Pour être intégré, il faut que les enfants acquièrent une base de fonctionnement. Si le ministre débarquait chez nous, il comprendrait. »

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