Science

L’intelligence de la musique

Isabelle Peretz est guitariste. Elle aime tellement la musique qu’elle y a consacré sa carrière de psychologue, à l’Université de Montréal. Le printemps dernier, elle a vulgarisé 30 ans de recherches dans son livre Apprendre la musique – Nouvelles des neurosciences. La Presse s’est entretenue avec Mme Peretz.

Pourquoi avez-vous consacré votre carrière à la musique ?

Le cerveau musical est très spécifique, il remplit d’importantes fonctions neurobiologiques. Ce n’était pas du tout dans l’air du temps quand j’ai commencé. Maintenant, ce l’est plus. J’ai commencé avec les amusies, en étudiant ce qui est anormal afin de comprendre le fonctionnement normal. Les amusies touchent de 2 % à 3 % de la population, c’est un extrême du continuum, des personnes qui peinent à développer des habiletés musicales normales. Maintenant, je me tourne vers les prodiges, les 1 % les plus doués parmi les musiciens. C’est plus difficile à trouver que les cas d’amusie.

Vous limitez-vous aux prodiges québécois ?

Pas seulement. Je demande aussi aux prodiges qui passent par Montréal si je peux faire un scanneur de leur cerveau. Mais dans mon livre, je parle davantage des bénéfices de faire de la musique que du cerveau musical en soi.

Y a-t-il un lien entre les prodiges et l’oreille absolue ?

Je m’explique mal l’engouement que les gens ont pour le phénomène de l’oreille absolue, soit la capacité d’identifier ou de produire une note sans référence à une autre note. Je pense qu’à l’heure actuelle, l’oreille absolue constitue davantage une anomalie d’élagage des synapses entre neurones qu’un bénéfice. Ça ressemble beaucoup aux phénomènes de synesthésie, voir les chiffres et les lettres en différentes couleurs. L’oreille relative est suffisante pour les prodiges.

La musique a-t-elle d’autres avantages que l’appréciation des œuvres ?

Il n’y a pas de coûts à développer des habiletés musicales. Au contraire, il n’y a que des bénéfices cognitifs et sociaux. J’aimerais que les gens comprennent qu’il y a un coût à ne pas développer le cerveau musical. On utilise toutes les facultés d’autres activités, la concentration, la discipline. Et il ne faut pas oublier que c’est une source de plaisir inégalée. On devrait s’en servir davantage à l’école.

Vous écrivez que jouer dans un orchestre est bénéfique sur le plan social. Ne serait-ce pas simplement que la musique adoucit les mœurs ?

Apprendre à se synchroniser avec l’autre mène à davantage de coopération. On est en train de comprendre pourquoi. Il se peut que ça active la région du cerveau liée à l’empathie, peut-être aussi en lien avec le circuit de récompense dans le cerveau. Peut-être qu’un mécanisme similaire est à l’œuvre dans les sports.

Est-ce plus facile d’apprendre la musique à l’enfance ?

Comme pour tout, le cerveau est plus plastique avant l’âge de 7 ans. Mais il y a des bénéfices à tous les âges.

Peut-on avoir des effets cognitifs positifs si on n’est pas bon musicien ?

En principe oui, mais ça devient un problème de persévérance. Le bénéfice provient du contrôle de façon motrice du son qu’on produit. Il vaut mieux s’attaquer à des choses plus faciles.

La musique a-t-elle un avantage plus positif sur l’apprentissage des mathématiques ?

C’est une croyance générale, qui provient du fait qu’on peut étudier la physique du son. Mais il n’y a pas plus de musiciens chez les mathématiciens. Pour la lecture, la musique a des avantages sur le plan rythmique, par exemple pour la dyslexie.

La musique sous trois angles

Suis-je musical ?

Le livre d’Isabelle Peretz propose plusieurs échelles d’évaluation des capacités musicales. La plus prometteuse selon elle est le Goldsmiths Musical Sophistication Index, mis au point en Angleterre.

La dopamine

En 2013, le psychologue Robert Zatorre de l’Université McGill a montré que le plaisir de la musique était lié à la sécrétion de dopamine, molécule du cerveau qui est liée au bien-être. La dopamine n’est pas uniquement relâchée quand on réécoute une pièce que l’on aime, mais aussi quand on découvre une nouvelle œuvre.

Avant la naissance

Toujours en 2013, des chercheurs finlandais ont montré qu’un bébé dont la mère avait écouté souvent une chanson au troisième trimestre la reconnaît après sa naissance, même après un délai de quatre mois. Et cela vaut pour n’importe quel musicien, pas seulement si la future maman écoute du Mozart – Mme Peretz juge que l’étude de 1993 qui a mené au mythe de l’« effet Mozart » sur l’intelligence des bébés prête le flanc à la controverse et qu’elle est difficile à reproduire.

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