Comme promis depuis samedi, Québecor a mis à exécution, hier soir à 19 h, sa menace de retirer le signal de TVA Sports aux abonnés de Bell Télé. Cette dernière a répliqué en offrant gratuitement à ses clients touchés le signal de la chaîne anglophone Sportsnet, qui diffuse elle aussi les séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey.
Québecor avait laissé entendre dès mercredi dernier qu’elle pourrait s’en prendre aux abonnés de Bell. « Ce sont les abonnés de Bell qui seront pénalisés » ou « Bell met en péril ses abonnés, amateurs de hockey », avait par exemple écrit l’entreprise dans un message diffusé sur les réseaux sociaux. Elle avait précisé sa menace samedi, pendant la diffusion du dernier match de la saison du Canadien de Montréal.
« Après avoir accueilli favorablement la proposition présentée par le service de médiation du CRTC [hier] après-midi et à la suite de négociations entre les parties, Québecor déplore qu’aucune entente n’ait pu être conclue, malgré sa ferme volonté d’en arriver à une solution qui reflète l’équité entre RDS et TVA Sports, a expliqué Québecor dans un communiqué diffusé hier en soirée. Dans les circonstances, Québecor n’a malheureusement d’autre choix que d’aller de l’avant avec le retrait du signal de TVA Sports pour les abonnés de Bell. »
De son côté, Bell a rapidement dénoncé la décision de son rival, la qualifiant d’illégale. Selon elle, environ 400 000 de ses abonnés payent pour TVA Sports et s’en trouvent ainsi privés.
Avertissement du CRTC
Plus tôt dans la journée, le secrétaire général du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), Claude Doucet, avait envoyé une lettre aux deux parties pour leur rappeler que l’organisme considérait le geste proposé par Québecor comme étant illégal. Il s’agissait du deuxième avertissement, le premier ayant été envoyé lundi.
Les règles du CRTC prévoient qu’en cas de dispute commerciale, il est interdit à une partie de priver le public d’un signal.
« Le Conseil a déterminé que Bell et Québecor sont engagées dans un tel différend et qu’alors, la règle du statu quo s’applique, peut-on lire. Par conséquent, Bell et Québecor sont tenues de fournir leurs services respectifs à l’autre partie, et sont tenues de distribuer ces services, aux mêmes tarifs et selon les mêmes modalités qu’avant le différend, jusqu’à ce que les parties règlent leur différend ou que le Conseil rende une décision concernant cette question non réglée. »
Après la mise en application de la menace de Québecor, une porte-parole du CRTC, Patricia Valladao, a indiqué que l’organisme prenait le geste « très au sérieux » et avait l’intention d’« agir rapidement ».
Parmi les options à la disposition du CRTC se trouve celle d’émettre une ordonnance obligeant Québecor à se conformer à ses règlements.
« Cette ordonnance serait enregistrée à la Cour fédérale et deviendrait une ordonnance de la Cour, a expliqué Mme Valladao, par courriel. Le non-respect de l’ordonnance impérative pourrait donner lieu à des poursuites pour outrage au tribunal et le tribunal aurait le pouvoir d’infliger des amendes ou d’autres mesures correctives s’il le jugeait approprié. »
Pour la deuxième journée de suite, nos demandes d’entrevue avec le président et chef de la direction de Québecor, Pierre Karl Péladeau, sont restées lettre morte, hier.
« Facebook et Google pourraient en profiter »
La décision de Québecor, qui entraînera logiquement une baisse des cotes d’écoute de TVA Sports durant les séries éliminatoires, pourrait rediriger des revenus publicitaires vers Google et Facebook.
« Comme un peu tout le monde, les annonceurs sont pris en otage par cette prise de bec entre les deux entreprises », estime Axel Dumont, vice-président principal et directeur général, Québec et Est canadien, de l’agence de placement Cossette Média.
Qu’arrive-t-il aux NAPA, Loto-Québec et Chevrolet qui annoncent sur une chaîne pour un auditoire estimé et qui ne l’obtiennent pas pour une émission ? Normalement, les annonceurs reçoivent une compensation. Ils payent pour ce qu’ils obtiennent et les chaînes rediffusent ailleurs leurs pubs, dans d’autres émissions par exemple, pour combler le manque à gagner.
« Québecor devrait être capable de compenser sur les ondes de TVA Sports, donc de rejoindre toujours un téléspectateur qui aime le sport, explique Michèle Savard, vice-présidente principale de l’agence de placement média Carat. Si l’annonceur recherchait un environnement spécifiquement hockey, il pourrait augmenter la fréquence de diffusion durant les matchs, si l’inventaire est disponible. On s’entend que Bell a 35 % des parts des câblos au Québec et que ce ne sont pas tous les abonnés de Bell qui payent pour TVA Sports. La perte d’auditoire sera d’un maximum de 35 %. »
L’annonceur, qui ne perd pas d’argent dans de telles situations, veut quand même des résultats.
« Mais en fin de saison, ce n’est pas toujours facile de replacer des pubs », soutient Mathieu Bédard, président de l’agence de pub Camden.
« Contrairement à ce qu’on croit, la télé est encore hautement considérée par les annonceurs, ajoute Axel Dumont. Mais présentement, les inventaires sont rares. On avait réservé de la pub pour ce soir [hier]. L’auditoire des séries intéresse les annonceurs et les téléspectateurs même si le Canadien n’y est pas. »
M. Dumont souligne que les agences médias devront se retourner rapidement pour trouver d’autres endroits où placer les publicités de leurs clients-annonceurs. « Des Google et Facebook risquent d’en profiter, car elles ont de l’inventaire, dit Axel Dumont. On va aller sur des valeurs sûres. Ça va contribuer à appauvrir le soutien à la création de contenus de qualité francophones. C’est contre-productif et dramatique. »
« En fin de compte, ça vient miner la télé comme choix média », juge Mathieu Bédard.
Cela dit, le stock d’espaces publicitaires d’avril et de mai sur TVA Sports n’est pas en rupture, au dire de Carat. « Les annonceurs sont pris là-dedans, mais l’impact n’est pas si grand, comme le Canadien ne fait pas les séries, juge Michèle Savard. Québecor nous a dit : attendons les résultats d’écoute de ce soir [hier] pour voir comment on va compenser. Reste que l’impact serait plus grand sur une chaîne principale. »