Opinion : Fabrice Vil 

Au-delà des dreads

Une coop a refusé à un humoriste blanc la participation à deux soirées d’humour parce qu’il porte des dreads. Mon avis ?

Selon moi, il y a appropriation quand une personne en position de pouvoir détourne l’essence des pratiques culturelles de personnes opprimées. Ou lorsque cette personne utilise ces pratiques pour son bénéfice, sans donner le crédit aux personnes qui en sont la source. Imaginez une poutine à Toronto appelée The English Canadian.

Démontrer de l’amour pour une pratique, avec respect, me semble une marque d’appréciation et non d’appropriation.

Normal d’être curieux au sujet de l’appropriation culturelle, sujet d’actualité. Mais les dreads ?

Ce cas a généré de l’inquiétude (« Où sont les limites ? ») ou de l’indignation (« On peut pu rien faire ! ») en raison d’une interdiction, une fois, à une personne. Vous pensez à votre ami blanc qui porte des dreads. Il va lui arriver quoi ? Désagréable, n’est-ce pas ?

Ça, c’est un aperçu du fait d’être noir, tous les jours.

Ne sortons pas les violons. Regardons simplement la réalité : tous les week-ends, des hommes se font refuser l’accès à un bar parce qu’ils sont noirs, dreads ou pas. D’autres, un emploi. Et demandez à une femme noire combien il est complexe de soutenir son estime de soi quand on a les cheveux crépus. Dans une société qui les veut lisses et blonds.

L’auteur Ta-Nehisi Coates a dit que comme Noir, on navigue à travers le monde en regardant les autres faire des choses qu’on ne peut pas faire. Il a raison. L’injustice existe au travail, en logement, en justice, en culture.

Pourquoi n’êtes-vous pas plus sensibilisés ? Entre autres raisons, ces enjeux ne font pas partie de votre expérience. Personne ne devrait s’en flageller.

Le problème principal se situe au niveau du pouvoir. Le pouvoir journalistique, plus particulièrement, détient la responsabilité de décider de ce qui importe dans l’actualité, et de nous éclairer sur les questions qu’elle soulève.

Ce pouvoir fait généralement bien son travail au Québec, mais il est imparfait.

Victimes de leurs propres partis pris et priorités, les médias jugent important de déceler des histoires isolées de gens ordinaires qui, au nom de la justice, prêchent par excès de rectitude politique.

Ces mêmes médias font peu de place aux injustices massives comme l’incarcération disproportionnée des Noirs.

Il arrive aussi que des médias détournent les débats. Au cœur des discussions concernant le racisme systémique en 2017, Marie-France Bazzo a consacré une chronique au mot « systémique ». Elle a affirmé que ce mot était « pour intimider », que ceux qui l’utilisent « noient le poisson » et que ce mot sert à « démasquer les fumeux et les fumistes ». Pourtant, en 2018, lorsqu’un bâtiment du patrimoine québécois a été démoli, Mme Bazzo a tweeté : « Le ticounisme culturel systémique frappe encore. » Deux poids, deux mesures.

Fabriquer des crises

Parfois, comme l’a souligné Émilie Nicolas sur Facebook, les médias fabriquent des crises. Est-ce qu’une mesure d’accommodement a déjà été un problème concret dans votre vie ? Pourtant, à la fin des années 2000, plusieurs médias ont monté à partir d’histoires isolées une controverse au point où la notion d’accommodement raisonnable, déjà balisée dans la jurisprudence depuis des décennies… signifie « déraisonnable » pour plusieurs !

La réflexion sur l’appropriation culturelle ne menace pas le Québec.

Enfin, il arrive que des médias attaquent la réputation de personnes racisées qui osent prendre parole.

À la fin décembre, la militante Amel Zaazaa a publié une lettre ouverte dénonçant le racisme systémique. Denise Bombardier lui a répondu en deux chroniques, dont l’une associant sans fondement Mme Zaazaa à Adil Charkaoui. Rien de moins.

Mme Bombardier a de plus agité un épouvantail contre les « immigrants canadiens de première et de seconde génération » ainsi que les personnes racisées qui dénoncent le racisme systémique. Les gens comme moi. Le début de la chronique de Mme Bombardier est particulièrement troublant : « [c]e n’est pas sans un pincement douloureux au cœur que je rédige cette chronique. Je suis consciente que certains lecteurs à la tête brûlée et aux préjugés violents peuvent instrumen­taliser mes propos ».

Pensez-y. Denise Bombardier sait que son texte peut générer de la violence, mais elle l’écrit quand même, affirmant en plus que nous sommes « dangereux ». À la lecture de son texte, il m’est passé par la tête qu’en raison de mes origines et de la couleur de ma peau, écrire pourrait me coûter la vie.

Mais je continue à le faire. Parce que je crois que nous pouvons vivre ensemble et honorer la dignité de chaque personne.

Ne lisez pas ici un procès de tous les médias, tout le temps. Seulement quelques phénomènes qui rendent le racisme moins visible. Mais vous êtes capables de porter votre attention sur ce qui compte.

Le débat des dreads est une distraction. Par solidarité, je vous demande de repenser ce qui constitue des « controverses », de vous intéresser aux injustices écrasantes et de les dénoncer haut et fort.

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