OPINION SOCIÉTÉ

Le guêpier des accommodements : comment s’en sortir ?

La question des accommodements refait constamment surface. On l’a liée à la protection de notre culture, à un problème de droits et de valeurs (principalement l’égalité homme-femme), au thème de la laïcité et à l’intégrisme religieux.

Depuis peu, on l’associe également à la radicalisation et aux risques de terrorisme. Parallèlement, les sondages réalisés depuis une dizaine d’années révèlent qu’environ les deux tiers des Québécois sont hostiles aux accommodements. C’est pourtant un mécanisme nécessaire dans une société de droit pour combattre diverses formes de discrimination dont sont victimes certains citoyens.

Selon les opposants, la pratique des accommodements a été confisquée par les minorités religieuses. Les demandeurs, censément des fondamentalistes, profiteraient du laxisme des institutions pour obtenir des privilèges leur permettant de rejeter nos valeurs fondamentales, d’établir la prépondérance de la religion, de transgresser nos lois, d’étendre dangereusement l’intégrisme religieux et de vivre en ghettos.

Mais existe-t-il des données rigoureuses confirmant tous ces énoncés ? La réponse est non.

Même l’ex-ministre Bernard Drainville, qui s’était fait une croisade de pourfendre les accommodements, a dû avouer qu’il s’appuyait non pas sur des résultats d’enquête, mais sur des perceptions prédominantes dans la population.

Les défendeurs des accommodements, dont je suis, ne sont guère mieux pourvus. Certes, il est établi que les demandeurs se recrutent, pour une part, parmi la majorité québécoise de tradition chrétienne. On sait aussi, sur la foi d’études fiables, que le phénomène des ghettos est peu prononcé à Montréal. Mais qu’en est-il des autres énoncés ?

L’effort d’enquête le plus poussé est celui que Charles Taylor et moi avons fait en 2007-2008. Ce travail est toujours utile, mais il est insuffisant. Bien des choses se sont passées depuis. En plus, ce que nous avons pu réaliser à l’époque, au sein d’un agenda trop chargé, a surtout pris la forme d’un large aperçu.

Ce dont le Québec a besoin maintenant, c’est une recherche en bonne et due forme qui embrasse la totalité du sujet et l’analyse en profondeur. Ce besoin est criant. Car entre-temps, les perceptions en vigueur sèment du ressentiment parmi les minorités et compromettent leur rapport avec la majorité, un rapport déjà mis à mal par le projet de charte du Parti québécois.

Le gouvernement Couillard aurait pu prendre une telle initiative à l’occasion du projet de loi 62. Comme ses prédécesseurs, il s’en est gardé.

Pourquoi les dirigeants politiques rejettent-ils l’idée d’une recherche rigoureuse qui, enfin, ferait la lumière sur l’ensemble de cette question et sans laquelle ils sont contraints de légiférer sur un terrain mal connu ?

Le profit d’une telle enquête serait pourtant assuré, quelles qu’en soient les conclusions. Première hypothèse : les perceptions courantes s’avèrent fondées. Il presse alors de redresser la pratique des accommodements en s’éclairant des résultats de la recherche. Seconde hypothèse : il y a peu à corriger. Il faut alors que la population le sache. Dans un cas comme dans l’autre, on pourrait passer à autre chose.

Une telle recherche, cependant, ne pourrait atteindre ses buts que si sa réalisation était soumise à de strictes conditions : un financement suffisant, un ou une responsable crédible faisant autorité dans les milieux scientifiques, des professionnels compétents et impartiaux opérant à distance de l’État et jouissant d’une indépendance complète.

Il importerait aussi que le déroulement de l’enquête s’entoure de discrétion. Il n’y aurait ici aucun besoin d’assemblées publiques ou de contacts suivis avec les médias. Enfin, le gouvernement devrait s’engager à médiatiser largement les résultats de la recherche et à prendre au sérieux les recommandations formulées.

Qu’est-ce qu’on attend donc pour passer à l’action ? Une autre crise ?

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