Décrochage scolaire

Derrière les chiffres, une tragédie

Le Québec a un très sérieux problème de décrochage scolaire. Ses conséquences sont assez graves pour les jeunes décrocheurs et pour la société dans son ensemble pour qu’on puisse parler, sans exagérer, de tragédie nationale.

Ce problème est connu de ceux et celles qui se préoccupent des questions d’éducation, mais il n’a pas vraiment réussi jusqu’ici à percer le mur de l’indifférence collective. C’est donc une agréable surprise de voir qu’une étude sur la question que vient de publier l’Institut du Québec, qui a documenté le phénomène de façon méthodique, a provoqué de très nombreuses réactions. Enfin ! Cette fois-ci serait-elle la bonne ? Est-ce que cette étude frappera assez les imaginations pour qu’il ne soit plus possible de se mettre la tête dans le sable ?

Cette note de recherche, « Décrochage scolaire au Québec, Dix ans de surplace, malgré les efforts de financement », signée par Mia Homsy et Simon Savard, nous dit entre autres, et ce sont les chiffres qui ont le plus frappé, qu’entre 2008 et 2015, la proportion des élèves des écoles publiques qui ont réussi leur secondaire en cinq ans est passée de 65 % à 64 % au Québec, bref qu’elle n’a pas bougé. En Ontario, pour la même période, cette proportion est passée de 72 % à 84 %. Dans la province voisine, il y a eu progression, et l’écart avec le Québec est saisissant. Ça fesse.

Pourquoi ? L’étude n’a pas toutes les réponses, son but premier étant de documenter le phénomène, de dresser un état des lieux. Mais certaines de ses données, tout comme le débat qu’elle a suscité, me confirment dans la conviction que l’un des grands facteurs explicatifs est de nature sociale et culturelle. 

Ce n’est pas le système scolaire qui est malade, mais plutôt la société québécoise qui a un gros problème dans ses rapports avec l’éducation.

Partisanerie et corporatisme

À cet égard, les réactions étaient révélatrices. D’abord, celles du ministre, Sébastien Proulx, qui, tout en reconnaissant l’existence du problème, s’est employé à minimiser les différences avec l’Ontario, en disant qu’on comparait des pommes et des oranges. Celles des partis de l’opposition, en mode pré-électoral, qui en ont profité pour dénoncer les compressions en éducation du gouvernement Couillard. Celles du monde de l’éducation aussi, particulièrement la Fédération autonome de l’enseignement qui qualifie l’étude de « pamphlet », et « dénonce les conclusions erronées et méprisantes envers les profs ». Un ton militant et cassant qui rappelle qu’il y a quelque chose de toxique dans la culture syndicale du monde de l’éducation.

On se défend, on se protège, on attaque les autres, on en profite pour greffer ses croisades. Ce n’était pas nécessaire. Je sais bien que la politique de réussite scolaire du ministre Proulx vise à résoudre ces problèmes, tout comme les propositions de la CAQ en éducation – maternelle 4 ans, etc. –, et que les enseignants ont à cœur le bien-être des élèves. Mais on n’y arrivera pas sans élever le débat de plusieurs crans pour se dire qu’on a, collectivement, un gros problème, et qu’il faut se mettre ensemble pour s’y attaquer. Mais pour trouver les bonnes solutions, il faut un diagnostic lucide, et éviter les faux-fuyants.

Acceptation

D’abord, accepter le verdict. Le ministère de l’Éducation a déjà déployé beaucoup d’énergie pour masquer le problème avec ses certificats bidon et sa créativité statistique. Cette fois-ci, le ministre Proulx aurait dû oublier ses pommes et ses oranges. Il est possible que les différences structurelles entre le Québec et l’Ontario – notes de passage, âge des élèves, etc. – fassent en sorte que la comparaison ne soit pas parfaite, que le 84 % ontarien ne se compare pas tout à fait au 64 % québécois. Mais ça ne change absolument rien au fond des choses. 

Les taux de diplomation québécois se comparent parfaitement entre eux d’une année à l’autre, tout comme les taux ontariens entre eux. 

La question reste donc entière : pourquoi le taux a-t-il baissé d’un point ici en sept ans et augmenté de 12 points en Ontario ? Pourquoi aussi le taux de diplomation des garçons est de 14 points plus bas que celui des filles au Québec quand cet écart n’est que de 5 points en Ontario ?

Financement

Ensuite, écartons l’argument financier. Cette recherche analyse l’effort financier des différentes juridictions, notamment l’Ontario, pour écarter de façon convaincante l’explication du sous-financement. D’autant plus que ses données sur la diplomation portent sur des étudiants qui ont obtenu, ou pas, leur diplôme en 2015, et donc avant les politiques de rigueur libérales ! Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas investir davantage en éducation. Mais le véritable enjeu, c’est de dépenser de la bonne façon et au bon endroit.

Écartons aussi les scénarios de catastrophe. Il y a un grand paradoxe, car les élèves du système d’éducation québécois obtiennent des résultats qui sont parmi les meilleurs au monde. 

L’enquête internationale PISA montrait qu’en 2015, les jeunes Québécois de 4e secondaire ont obtenu de meilleurs résultats que tous les pays d’Occident membres de l’OCEE, en langue, en sciences et surtout en mathématiques. (L’Alberta, l’Ontario et la Colombie-Britannique sont également en tête des classements mondiaux). Ces résultats exceptionnels nous disent quand même quelque chose sur nos écoles, nos professeurs, nos programmes. Cela constitue une base très solide pour s’attaquer au problème que nous n’avons pas résolu, celui d’un système performant qui échappe des jeunes, surtout des garçons.

Culture

Mais il ne faut pas oublier la composante culturelle, le rapport à l’éducation de la société dans son ensemble. Elle s’explique en partie par le passé, celle d’une société traditionnellement méfiante du savoir, ce qui se mesure à un taux de littératie plus faible, surtout chez les Québécois plus âgés. Mais c’est encore présent. 

On le voit, par exemple, dans une autre donnée de l’étude, tout à fait troublante. Pour la cohorte qui a entamé son secondaire en 2009, le taux de diplomation a été de 66,7 % pour ceux qui étaient dans des écoles francophones et de 76,2 % pour ceux qui ont étudié en anglais, un écart de presque 10 points, avec les mêmes programmes, les mêmes budgets, le même système d’éducation. Le problème est là.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.