Chronique

Entre l’arbre et l’écorce

Vous avez été très nombreux à réagir à ma chronique sur l’avenir du Publisac. Ceci n’est pas du tout scientifique, mais très majoritairement, vous ne souhaitez pas que l’on applique la formule d’adhésion volontaire (opt-in) comme le recommande le récent rapport sur la gestion des circulaires. Très clairement, vous préférez la formule du retrait volontaire (opt-out), qui permet aux gens qui ne veulent pas recevoir le Publisac de l’exprimer.

Dans cette chronique, je disais en substance que la protection de l’environnement, une cause noble et capitale, ne devrait pas nous aveugler au point de mettre en péril plusieurs entreprises québécoises, dont Transcontinental et des dizaines d’hebdomadaires, qui gravitent autour du Publisac.

Au terme de cinq soirées d’audiences, d’autant de séances de travail, d’un sondage et d’une pétition, la Commission sur l’eau, l’environnement, le développement durable et les grands parcs de Montréal recommande donc la formule de l’adhésion volontaire. Mais elle précise que l’on doit s’assurer que cette formule s’applique également à Postes Canada.

Ce détail est venu me titiller. Est-ce qu’une municipalité peut imposer à Postes Canada, une société d’État indépendante, un tel règlement ? J’ai soumis la question à Jean Hétu, professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal, spécialisé en droit municipal. Il a été formel : c’est non ! « Ce serait illégal, m’a-t-il dit. Il faut savoir que Postes Canada est non seulement une société fédérale, mais une société de la Couronne. Je ne vois pas comment on pourrait l’obliger à respecter cette exigence de la Ville de Montréal. »

Une source proche de la Commission m’a confié que les élus de Projet Montréal qui en font partie (ils sont majoritaires) auraient souhaité ne pas « se badrer » de cet aspect. On ne voulait pas trop entrer dans les considérations politiques ou juridiques. Tout ce qu’on visait, c’était la recommandation de la formule de l’opt-in à Montréal. Au bout du compte, on a créé une entourloupette plutôt habile. Dans le rapport, on demande plutôt au gouvernement du Canada de « faire des représentations » afin d’obtenir un engagement de la part de la société d’État afin qu’elle adapte ses pratiques au modèle d’adhésion (opt-in) pour la distribution de matériel publicitaire sur le territoire montréalais.

J’ai évidemment voulu savoir comment on voyait les choses chez Postes Canada. Un attaché de presse anonyme m’a envoyé un message aussi insignifiant que prudent. « Postes Canada a suivi les consultations publiques à Montréal et examinera les recommandations de la commission au conseil municipal. Depuis les 20 dernières années, Postes Canada est fière d’offrir aux clients une option efficace qui leur permet de ne pas recevoir de courrier publicitaire s’ils n’en veulent pas. Il s’agit du programme Choix des consommateurs. Grâce à ce programme, la décision des clients qui choisissent de ne pas recevoir des circulaires ou autres livrées par Postes Canada est respectée. »

En d’autres mots, on se contente fort bien de la formule opt-out chez Postes Canada. J’ai récidivé avec d’autres questions. Mais l’inconnu(e) de la société d’État n’a pas daigné y répondre. Postes Canada a sans doute « suivi » les consultations de loin, mais n’a pas voulu se mouiller davantage.

La raison est fort simple : à l’ère du numérique, cette société a besoin de nouveaux revenus. On apprenait il y a quelques jours qu’elle croulait sous les livraisons liées au commerce en ligne. Pour elle, c’est la manne !

Postes Canada serait trop heureuse d’obtenir plus de contrats de livraison de matériel publicitaire. En résumé, la formule de l’opt-in étoufferait des entreprises québécoises pour donner de l’air à une société fédérale. Voyez-vous l’aberration de la chose ? On va se donner bonne conscience en imposant l’adhésion volontaire à des entreprises québécoises, mais les citoyens vont quand même continuer de recevoir du matériel publicitaire en formule opt-out de Postes Canada, qui va toucher le pactole et détenir le monopole.

Accepter un tel règlement de Montréal reviendrait à ouvrir un véritable panier de crabes pour Postes Canada. Vous imaginez un instant les milliers de facteurs de Postes Canada travailler avec la formule de l’adhésion volontaire dans des centaines de villes canadiennes ? Quel paquet de troubles ce serait pour eux.

On me dit que tout le monde au sein de la Commission était conscient de la possibilité de ce transfert de contrats. Les membres sont également conscients des fortes probabilités que Postes Canada refuse cette exigence. Mais sans aucune assurance que ce règlement puisse être respecté à la lettre, on a quand même recommandé la formule de l’opt-in à Montréal.

J’ai tenté d’obtenir une entrevue avec Valérie Patreau, présidente de la Commission sur l’eau, l’environnement, le développement durable et les grands parcs de Montréal. Mais cette dernière ne m’a pas rappelé.

Comprenez-moi bien. Je ne suis pas en train de dire que je veux sauver le Publisac à tout prix. Je dis que si nous adoptons des mesures pour le contrer ou restreindre sa diffusion, assurons-nous d’obtenir un impact réel et de ne pas faire de dommages que l’on pourrait regretter.

Quelle décision prendra l’administration de Valérie Plante dans ce dossier ? Entre les enjeux environnementaux et la perte appréhendée de milliers d’emplois (selon Transcontinental), le choix n’est pas facile. De son côté, en se laissant tenter par l’appât du gain, Postes Canada décevrait les écologistes.

Finalement, dans cette affaire, tout le monde se retrouve entre l’arbre et l’écorce.

P.-S. Beaucoup de lecteurs m’ont parlé de ces sites web où l’on peut consulter les circulaires, incluant les coupons. Je partage leur avis quand ils me disent que c’est la meilleure avenue pour l’environnement. Mais il faut se rappeler que les personnes démunies qui utilisent les coupons n’ont pas toutes un ordinateur, une tablette, un téléphone intelligent, du WiFi à volonté ou un forfait 3G…

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