Christine Lewicki se revoit un soir, épuisée après avoir couché ses trois enfants et enduré les derniers verres d’eau et envies de pipi à répétition, s’effondrer sur son lit et se plaindre tout haut de sa « journée pourrie ». Encore.
Vous vous reconnaissez ?
En moyenne, souligne la coach et conférencière – dont le livre J’arrête de chialer arrive tout juste en librairie au Québec –, nous nous plaignons tous entre 15 et 30 fois par jour. Parce que nous sommes en retard, parce qu’il y a des bouchons, des cônes orange, parce que notre boîte de courriels (pourriels ?) déborde, encore. Parce que les frais bancaires, parce que les taxes, parce que l’auto, parce que le vélo, le chum, l’ex, les enfants, le poisson rouge et la perruche. Alouette.
Fait à noter, alors que nous nous plaisons à raconter à qui veut bien nous écouter notre énième contravention injustifiée, nos déboires avec notre compagnie d’assurances ou encore ce café imbuvable qu’on a osé nous servir, que nous nous défoulons sur les réseaux sociaux à coup de #jenpeuxplus, combien d’entre nous s’adressent une fois pour toutes aux principaux intéressés ?
Poser la question, c’est y répondre.
Le râleur occasionnel
C’est que se plaindre, une fois de temps en temps, défoule. Personne ne s’en cachera.
Mais à long terme ? Cultiver tout ce négativisme ne peut pas être franchement bon pour la santé. Le New York Magazine a souligné dans un numéro récent les résultats d’une étude de l’European Journal of Work and Organizational Psychology selon laquelle les gens qui se plaignent ont tendance à être moins satisfaits de leur journée, une insatisfaction qui déborde sur les jours suivants.
En gros, non, les râleurs ne sont pas les plus heureux.
« J’ai réalisé que je ne voulais plus me coucher comme ça. J’ai réalisé que j’allais mourir un jour, et que j’aurais passé ma vie à résister à ma vie. »
– Christine Lewicki, auteure française établie à Los Angeles
Arrêter de râler sans se faire marcher sur les pieds
Selon Will Bowen, conférencier de renom à qui l’on doit la fameuse campagne et le livre du même nom A Complaint Free World, cela ne fait aucun doute : râler, c’est mauvais pour la santé, tranche-t-il.
« Il y a énormément d’études qui lient le fait de se plaindre à une hausse de la pression sanguine, à une hausse du taux de divorce, à une moindre ascension au sein des organisations, etc. Et ça a un impact sur la santé globale. » Et cela tombe sous le sens : le conjoint qui se plaint de sa femme à son collègue ne fait rien pour sauver son couple. Idem pour l’employé qui râle en douce contre son patron. Il ne risque pas d’avoir une augmentation. Mais faut-il pour autant tout endurer les yeux fermés ?
Non, répondent les experts interrogés. C’est qu’il y a un monde entre hurler : « Comment osez-vous me servir une soupe froide ? » et demander poliment : « Ma soupe est froide, pouvez-vous la réchauffer, s’il vous plaît ? », illustre Will Bowen, dont le livre a été vendu à plus de 3 millions d’exemplaires et traduit dans une trentaine de langues.
« C’est le plus gros malentendu, renchérit Christine Lewicki. Arrêter de râler ne veut absolument pas dire tout accepter ! »
L’idée n’est donc pas d’enfiler des lunettes roses en cultivant l’art de voir le verre à moitié plein dans le meilleur des mondes. Au contraire, il s’agit plutôt de changer de posture : exit le statut de victime, on prend ici sa vie en main.
Ce faisant, la coach a fait trois constats : si vous n’aimez pas quelque chose dans votre vie, changez-le (bref, cessez de jouer les victimes) ; si vous voulez changer les choses, faites attention à la façon dont vous vous exprimez (si vous mettez l’autre dans la position du coupable, il ne risque pas d’avoir envie de coopérer, parlez plutôt au « je » en évitant le « tu ») ; et lâchez prise. Oui, parfois, c’est drôlement salvateur. « J’ai revisité mes attentes, résume-t-elle. Et j’ai choisi mes batailles. »
Et quand, parfois, elle sent tout de même que la pression monte et qu’elle va exploser, parce qu’elle a trop peu dormi ou que les irritants s’accumulent, et qu’en plus, les chaussettes traînent encore par terre, Christine Lewicki a un truc infaillible. « Je chante ! dit-elle en pouffant de rire. Ça sort l’énergie ! Et ça sort la tension ! »
Arrêter de se plaindre, un bracelet à la fois
Le défi lancé par Wil Bowen il y a plus de 10 ans, relevé par Christine Lewicki récemment, est tout simple : il s’agit de cesser de se plaindre pendant 21 jours. Parce que c’est le temps, dit-on, que cela prend pour défaire (ou prendre) une habitude. Pour ce faire, armé d’un bracelet mauve au poignet, à la moindre râlerie, au moindre chialage gratuit, on change le bracelet de côté. L’objectif étant de garder le bracelet intouché pendant 21 jours consécutifs. De son propre aveu, Will Bowen a mis six mois à y arriver, et Christine Lewicky, quatre.