Le nombre d’évènements liés à l’extrême droite explose

L’opposition aux mesures sanitaires a grandement mobilisé les groupes radicaux en 2020

Les évènements violents et haineux liés à l’extrême droite ont atteint un niveau record en 2020 au Québec. Après une période de latence en 2019 due à leur désorganisation, les groupes radicaux ont décuplé leurs activités, tout en se réorganisant autour des groupes anti-mesures sanitaires.

C’est le constat établi par une étude publiée ce vendredi par le Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR), rattaché au cégep Édouard-Montpetit.

« C’est la première fois qu’on a un portrait réel des évènements liés à l’extrême droite au Québec, qui n’est pas lié à leurs activités sur l’internet. Je n’aurais jamais cru qu’il y aurait une augmentation aussi importante, remarque le chercheur Martin Geoffroy, coauteur de l’étude. Même si ça reste, somme toute, relativement marginal, l’augmentation dans les 10 dernières années est impressionnante. »

Le constat est basé sur un recensement de 521 évènements publics – manifestations, actions militantes, conférences, concerts et activités politiques – organisés par 45 groupes d’extrême droite depuis 10 ans. Il tient compte aussi des crimes pour lesquels certains de leurs membres ou sympathisants ont été officiellement accusés par les autorités.

Le rapport suggère que ces groupes, qui ont pour point commun une « haine de la démocratie libérale », de ses institutions et de ses valeurs, ont fortement tendance à se radicaliser. Seulement 2 % de leurs actions relèvent du « jeu politique » traditionnel, selon les chercheurs.

« Ils ne croient pas à la démocratie, et les partis desquels ils sont proches, comme celui de Maxime Bernier ou le parti Citoyens au pouvoir, ont des scores désastreux, alors ils glissent vers un autre mode d’action. »

— Martin Geoffroy, coauteur de l’étude et directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation

Ce nouveau mode d’action est plus violent. En 2020, le chercheur a observé une croissance « particulièrement marquée » des menaces et discours haineux (+225 %), du vandalisme (+500 %) et de l’intimidation ou du harcèlement (+700 %) de la part des groupes d’extrême droite. Cette situation s’explique par une « radicalisation » du mouvement, mais aussi, probablement, par une plus grande proactivité des policiers face au phénomène, tempère cependant M. Geoffroy.

Néanmoins, avec 35 évènements recensés impliquant de la violence, « l’année 2020 a été la plus violente de la décennie », souligne le rapport.

Plusieurs leaders de groupes relativement influents dans le mouvement identitaire, comme La Meute ou Storm Alliance, qui tenaient un discours « nativiste axé sur l’immigration », se sont métamorphosés pendant l’année 2020 en porte-voix des groupes d’opposition aux mesures sanitaires, souligne le rapport. Ces groupes « peuvent être rattachés à l’extrême droite dans la mesure où ils partagent une matrice idéologique commune », basée sur une « conception inégalitaire des rapports sociaux ».

Bien que ces groupes aient tenu un grand nombre de manifestations pacifiques au cours de l’année, les chercheurs estiment que 79 % des crimes associés à l’extrême droite étaient attribuables à ce mouvement d’opposition aux mesures sanitaires en 2020. La moitié des cas sont des menaces de mort ou de violence proférées sur l’internet, qui ont conduit à des accusations par les autorités.

« En l’espace d’un an, [ils] ont tenu davantage d’évènements que la majorité des autres groupes sur une période de dix ans », souligne le document.

« Rarement l’extrême droite québécoise était-elle parvenue à mobiliser à une si grande échelle. »

- Extrait de l’étude du CEFIR

De l’autre côté du spectre politique, les mouvements d’extrême gauche ont été bien moins actifs. « La seule mesure qu’ils ont contestée par rapport à la COVID-19, c’est le couvre-feu, alors que l’extrême droite a critiqué toutes les mesures. »

Des idéologies qui se rejoignent

L’étude a été financée par Sécurité publique Canada. Ses conclusions rejoignent en grande partie des résultats de recherche préliminaires de la chercheuse de l’Université de Sherbrooke Marie-Ève Carignan, qui a analysé des milliers de publications sur Twitter pour comprendre le phénomène du discours complotiste.

Sur 1065 comptes analysés qui ont créé ou fortement propagé des discours conspirationnistes relatifs à la COVID-19 en 2020, environ 28 % étaient liés à l’extrême droite, 19 % à des groupes anti-gouvernement, 16 % à des groupes religieux ou spirituels, 15 % au mouvement de l’alterscience, 12,5 % à des survivalistes et 8,5 % à la mouvance QAnon.

« Ces groupes sont liés entre eux. Les gens qui sont plutôt adeptes de pseudoscience ou de médecines alternatives partagent du contenu de gens qu’on a davantage liés à l’extrême droite, et vice versa. La pandémie a vraiment créé un moment où ces idéologies se rejoignent dans leur opposition au gouvernement, pour affirmer qu’on est face à un gouvernement qui veut prendre le contrôle de la société, ou dans une société autoritaire », précise la directrice du pôle médias de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.

« Nous avons constaté que l’extrême gauche aussi est très active dans le discours sur la COVID-19, mais c’est surtout pour dénoncer les figures complotistes et leurs propos », souligne Mme Carignan.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.