Tragédie aux Îles-de-la-Madeleine

Un avion surnommé « Kill You 2 »

Les appareils Mitsubishi MU-2B, comme celui qui a été impliqué dans l’accident de mardi aux Îles-de-la-Madeleine, ont connu une histoire turbulente, au point où ils avaient été rebaptisés « Kill You 2 » par certains pilotes aux États-Unis. Plus du quart des avions de ce modèle immatriculés au sud de la frontière ont subi au moins un accident, selon un rapport de la Federal Aviation Administration (FAA).

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Série d’accidents mortels

La FAA s’est penchée en 2005 sur la sécurité des appareils Mitsubishi MU-2B après une série d’accidents mortels. Son rapport a révélé que 28 % des 675 appareils ayant volé à un moment ou un autre aux États-Unis avaient subi au moins un accident. C’est deux fois et demie plus que les autres appareils de même type, notait le document. Le nombre d’appareils impliqués dans des accidents mortels était aussi nettement plus élevé que pour les autres avions de la même catégorie. De 1983 à 2005, la FAA a recensé 45 accidents mortels. Ceux-ci ont provoqué le mort de 120 personnes aux États-Unis.

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Sensible au gel

Cet appareil est particulièrement sensible au gel en vol quand les conditions météo sont mauvaises, a constaté la FAA. « Le type d’accident le plus fréquent des MU-2B est la perte de contrôle durant la descente dans des conditions de gel », écrit l’organisation qui veille à la sécurité aérienne au sud de la frontière. En fait, le taux d’accidents en raison de la glace est quatre fois plus élevé que pour les autres appareils de même type. En 1996, on recensait 22 accidents dans lesquels la formation de glace sur les ailes avait été jugée responsable. Huit accidents n’avaient coûté aucune vie, mais 14 avaient provoqué la mort de 46 personnes au total.

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« Un avion pour pilotes de ligne »

Propriétaire du seul autre MU-2B à voler au Québec, Éric Fauteux convient que cet appareil ne s’adresse pas à tous. « Ça prend des qualifications de pilote de ligne. Après tout, ça va aux mêmes altitudes, à la même vitesse. C’est comme un cheval de course : ce n’est pas fait pour faire des promenades », dit le propriétaire de l’entreprise Aéro-Fax. Le MU-2B est différent des autres appareils puisqu’il ne dispose pas d’ailerons pour naviguer ; il mise plutôt sur des casseurs de portance. « Ce n’est pas un avion conventionnel. » Si Éric Fauteux a opté pour cet avion, c’est principalement en raison de son long rayon d’action et aussi parce que ses hélices sont éloignées du sol, ce qui convient aux pistes rocailleuses du nord du Québec qu’il dessert.

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Le pilote était qualifié

Éric Fauteux estime que le pilote Pascal Gosselin, mort mardi aux commandes de son MU-2B-60, détenait toutes les qualifications pour piloter son appareil. À sa connaissance, il avait même suivi la formation spéciale imposée aux États-Unis pour piloter cet appareil. Sous le choc d’apprendre la mort de son collègue, il s’explique mal les circonstances ayant mené à la catastrophe. Selon les images qu’il a pu voir, il ne croit pas que la formation de glace sur les ailes ait pu provoquer la chute de l’appareil. Il pense plutôt que les conditions météo, qui semblaient belles au moment du décollage, ont pu jouer un mauvais tour au pilote en se détériorant plus rapidement que prévu.

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Baisse des accidents

Depuis l’imposition de cette formation aux États-Unis par la FAA, le nombre d’accidents a considérablement diminué, note l’analyste américain en aviation Robert Breiling, qui compile des statistiques sur les écrasements. « C’est même rendu l’un des appareils avec les plus bas taux d’accidents », dit-il. Dans un communiqué publié hier, Mitsubishi a tenu à souligner l’amélioration de son bilan. La Presse n’a trouvé que deux accidents mortels aux États-Unis depuis l’introduction de la formation, en 2008. Le 18 janvier 2010, un Mitsubishi MU-2B-60 s’est abîmé alors qu’il s’apprêtait à atterrir à Elyria, en Ohio. Le pilote a raté un premier atterrissage et a décroché en tentant de se repositionner pour un deuxième essai. L’autre accident mortel est survenu en novembre 2013 quand un pilote s’est écrasé en forêt à son premier vol en solo.

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Trois révisions

Les problèmes récurrents du MU-2B ont entraîné trois révisions de sa certification – en 1984, en 1997 et en 2005. L’appareil a conservé son droit de voler à chacune de ses révisions, la FAA se contentant d’ajouter quelques restrictions. La dernière révision a notamment imposé aux pilotes de ces appareils de suivre un cours de 36 heures spécifiquement consacré aux particularités du MU-2B. Insatisfait de ces mesures, un élu américain a tenté de clouer au sol ces appareils en adoptant une loi, mais sans succès. Il rapportait que des pilotes avaient rebaptisé le MU-2 « Kill You 2 ».

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Appareil puissant à bas coût

Le MU-2B a été conçu dans les années 50 et produit de 1963 à 1984. En tout, un peu plus de 800 appareils ont été construits, dont 275 volent encore aux États-Unis, selon Mitsubishi. Son (relatif) bas prix fait en sorte qu’il s’est souvent retrouvé entre les mains de pilotes moins expérimentés, note Robert Breiling. Divers sites affichent des MU-2B-60 à vendre pour des prix variant de 700 000 $ à 900 000 $. S’il est relativement abordable, cet appareil est nettement plus puissant que les autres dans sa catégorie.

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Un « cas complexe », selon Transports Canada

Alors que des enquêteurs du Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) sont à pied d’œuvre aux Îles-de-la-Madeleine, deux inspecteurs de Transports Canada ont été envoyés à l’aéroport de Saint-Hubert « pour vérifier si l’exploitant agissait conformément au Règlement de l’aviation civile au moment de l’accident », précise le Ministère dans un courriel. Les autorités fédérales soutiennent qu’elles sont en « étroite collaboration » avec leurs homologues américains « pour examiner tous les renseignements concernant ce cas complexe ». Les inspecteurs détermineront notamment si l’avion a été utilisé selon le certificat d’exploitation de l’article 703 du Règlement de l’aviation canadien.

— Louis-Samuel Perron et Pierre-André Normandin, La Presse

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