Opinion Jean-François Chicoine

C’est pour mieux te manger…

Un loup pénètre dans la maison d’une grand-mère. Après l’avoir dévorée en moins de deux, il pénètre sous ses couvertures. Se pointe un chaperon. Impossible de la sauver, rien n’y fera, la bobinette opère depuis des siècles : la fillette va inévitablement s’introduire dans la chambre à coucher.

Elle apporte du beurre et une galette, mais l’histoire dit aussi que la petite se retrouve vite déshabillée.

Comme tous les contes, celui du petit chaperon rouge se veut une pratique des choses de la vie. Les images imposent, mais les histoires supposent, respectant ainsi les compréhensions de chacun/chacune. La conclusion sanglante, dont il ne faut pas les épargner, est connue des enfants. 

En Occident, où tout semble dit sans que rien ne soit dit en somme, il aura fallu le puissant salut des réseaux sociaux pour que les adultes puissent s’en ressouvenir.

« En télé, les gens d’influence sont peu nombreux. Si on veut avoir des contrats, vaut mieux ne pas trop faire de vagues », commente, dans Urbania, Rose-Aimée Automne T. Morin, une ex-employée de Gilbert Rozon et d’Éric Savail.

Une adulte, Rose-Aimée.

Si elle avait 7 ans : « Dans ma famille, je n’ai qu’un oncle. Si je veux qu’il continue de m’aimer beaucoup, vaut mieux ne pas lui faire la baboune quand il embrasse ma sœur après notre crème en glace. »

Un conte n’est pas une fable, il n’a pas de morale, il rappelle combien c’est difficile de vivre dans un monde immoral. À peine enfilée dans le lit, la pauvre enfant du conte de Perrault est mangée par le méchant loup. Chez les frères Grimm, une variante de l’histoire nous arme d’un chasseur qui tue le loup et libère de son ventre la famille candide.

Que l’enfant trouve son compte est l’essentiel, il faut qu’il se sente écouté et en confiance. Le loup n’est-il pas un animal social, alors de quoi a-t-on privé ce méchant-ci pour qu’il s’éloigne tant de son clan ? D’une famille aimante, de discipline, de grand air, d’une égalité des chances ?

Avec les 6 à 8 ans, que la magie délaisse un peu ou pour faire place à la logique, on s’accroche au réel : « Je suis un docteur, on va examiner tes fesses et ta vulve. Ta maman va dézipper ton pantalon parce que moi, je n’ai pas à le faire, d’ailleurs je ne saurais pas comment faire, d’accord ? Ensuite, tu vas pouvoir me montrer comment tu es capable de te rhabiller. »

En Amérique du Nord, on estime qu’environ une fille sur 4 à 5 et un garçon sur 6 à 10 auront subi du harcèlement, une agression ou des abus sexuels avant de devenir de jeunes adultes.

Une étude de 2014 du sociologue David Finkelhor, dont les travaux s’intéressent aux violences commises sur des enfants, rapporte qu’une concentration importante des attaques sexuelles survient maintenant chez des filles de 17 ans. Dans une bonne moitié des cas, les intrusions sont commises par des jeunes du même âge qu’elles.

Du cégep au milieu de travail, qu’un pas à franchir.

Le cerveau moderne, avec ses 1500 grammes de matière utilisable, est apparu 100 000 à 200 000 ans avant Jésus-Christ. En développant les zones antérieures de son cortex frontal, Sapiens aura ainsi livré sa plus belle réussite : la compassion humaine comme nouveau critère de sélection naturelle. Des plus brillants parmi les hommes auront cependant raté le virage évolutionniste en perpétuant ouvertement la grossièreté, l’intimidation et l’agression.

L’inculture du viol existe. Elle se forge jeune sur une animalité naturelle encombrée de neurones primitifs qu’un environnement social approprié aurait normalement détruits.

Plus largement encore, c’est l’inculture de l’intrusion qui existe, la pénétration subversive dans la zone de l’autre. L’instinct de pouvoir, cru, désinhibé, parfois médié par la sexualité. Ce n’est pas la représentation de l’acte sexuel qui va précipiter une victime dans la honte, mais la violence avec lequel il est exécuté.

Éduquer à la sexualité ne suffit pas 

Il y a des enfants à risque de devenir des intimidateurs qui s’accommodent mal de leurs hormones et de leurs désirs. Leurs pulsions pourtant légitimes sont disgraciées par leur incapacité de considérer l’autre comme une personne, et d’ensuite s’en émouvoir.

Bien d’accord pour dire que les cours d’éducation sexuelle tardent, mais leur déploiement aurait des résultats décevants sans réciprocité préalable dans les liens parents-enfant, sans encadrement, sans le travail des psychoéducateurs en garderie ou en maternelle auprès des 4-5 ans dérégulés ou déjà rejetés par leurs pairs. Des rencontres familiales avec des professeurs engagés, des référents dans la cour de récréation, du mentorat, toutes ces interventions ont montré qu’elles pouvaient prévenir l’indécence.

Prévenir l'intimidation ne suffit pas 

Les jeunes imitent, prennent modèle sur des adultes, sur leurs parents qui se querellent, sur les hommes politiques qui nous brutalisent, sur les figures culturelles ou médiatiques qui leur enseignent que l’intrusion narcissique est payante et glorieuse.

La sexualité ne deviendrait jamais du cul sans territoires nourriciers pour les loups.

Des exemples ?

Occupation double, dans sa première mouture, qui était l’émission la plus regardée par les 2-11 ans, une version quotidienne étant actuellement diffusée à 18 h 30, vers l’heure du souper. Hunger Games, premier opus, qui mettait en scène des adultes pervers jouissant de voir des enfants s’assassiner dans des joutes funestes, et a obtenu un visa « général » de la Régie du cinéma du Québec. Le gala Les Olivier qui couronnait récemment un humoriste, malgré le fait qu’il ait pratiqué son « art » de harceler sur un mineur atteint d’une déficience génétique.

Des riens qui, à force, pénètrent.

Au-delà de tout ce qui a été dit sur les rapports de force entre adultes, le couperet électronique des derniers jours pourrait aussi devenir une grâce pour les pourfendeurs d’intrusions commises contre des enfants.

L’idée n’est pas d’empêcher l’exploration, la drague en ville ou les libertés de parole. L’idée, c’est de canaliser nos libidos en armes puissantes contre les transgressions.

L’idée, c’est de civiliser la prédation.

C’est cela, l’évolution.

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