Chronique

Genre, pas rapport…

Dans le métro de Londres, l’expression « ladies and gentlemen » ne résonne plus dans les haut-parleurs. Des groupes se plaignaient que ce n’était pas assez inclusif.

Pourtant, on a cru longtemps que mesdames et messieurs, ça faisait pas mal le tour de la population. Autant les messieurs qui aiment les mesdames, que les mesdames qui aiment les messieurs, que les messieurs qui aiment les messieurs, que les mesdames qui aiment les mesdames, que les messieurs qui aiment les messieurs et les mesdames, que les mesdames qui aiment les mesdames et les messieurs. Ça interpelle même les messieurs qui sont à la fois des messieurs et des mesdames, que les mesdames qui sont à la fois des mesdames et messieurs. Qui donc ne s’y retrouve pas ? Ceux qui ne sont ni des messieurs ni des mesdames. C’est ça, la nouveauté. Dorénavant, on peut se réclamer d’aucun des deux sexes.

On n’est plus défini par ce qu’on a dans nos culottes. C’est secondaire. Maintenant, avec les progrès de la chirurgie, on peut avoir ce que l’on veut dans nos culottes. Un pénis, un vagin, les deux. On peut même avoir un genou. Quel est ton sexe ? Genou.

Pendant des millénaires, l’humanité a divisé l’univers en deux. Le bord des hommes. Le bord des femmes. C’est fini. Maintenant l’univers se divise en 8 milliards. Chaque individu est un cas à part.

En anglais, la fin des genres, ça se règle facilement. Dans le métro de Londres, on dit « Good morning everyone ». Everyone, c’est everyone. Ni masculin ni féminin. Mais nous, en français, tous les mots ont un genre. Si on dit bonjour tout le monde, des groupes peuvent s’offusquer que l’on ait choisi un mot masculin. Si on dit bonjour la gang, des groupes peuvent s’offusquer qu’on ait choisi un mot féminin.

Nous, francophones, sommes tellement obsédés sexuels qu’on a donné un sexe à tout ce qui existe. Une chaise est féminin. Un mur est masculin. Une saucisse est féminin. Un tournevis est masculin. On rit des anglophones quand ils disent un chaise et une tournevis. Y’a pas de quoi. Comment un étranger est-il censé savoir le sexe des chaises et des tournevis ?

Diviser l’ensemble des choses en féminin et masculin, c’est tellement dépassé. Ça va prendre une réforme majeure de la langue française. Les amis de Dany Laferrière ont une méchante job devant eux. Ou devrais-je dire devant elles ? Ou devrais-je dire elles et eux ? Ou eux et elles ? Ou devrais-je dire devant rien ?

On ne peut pas écrire une phrase en français sans attribuer un féminin ou un masculin à tous les mots. Et si la phrase veut être un phrase ? Et si la phrase veut être ni une phrase ni un phrase ? Faudrait donc juste dire phrase.

On ne peut pas écrire phrase en français sans attribuer un féminin ou un masculin à chaque mot. Et si un féminin voulait être une féminin, ce serait logique. Et si un masculin voulait être une masculin, ça se peut. On castre les pronoms.

On ne peut pas écrire phrase en français, sans attribuer féminin ou masculin à tous les mots. Pourquoi pas à toutes les mots. Est-ce qu’on lui a demandé, au mot, comment il se sentait intérieurement ? C’est peut-être une mot. Alors tous devient toutes. Mais si tous devient toutes, ça exclut les toutes qui se sentent tous. On coupe. On coupe.

Il ne faut plus dire : je veux une poutine. Faut dire : je veux poutine. Si on ne peut plus définir un homme ni une femme par son sexe, encore moins une poutine. J’adapte ma phrase au français du futur : si on ne peut plus définir homme ni femme par sexe, encore moins poutine. Ce serait de même, genre. Ça fait plus court. Ça fait plus moderne.

Bien sûr, la langue française sera moins poétique. Terminé les élans à la Ronsard : 

« Mignonne, allons voir si la rose,

Qui ce matin avoit desclose

Sa robe de pourpre au Soleil,

A point perdu ceste vesprée

Les plis de sa robe pourprée,

Et son teint au vostre pareil. »

Pour que ce poème soit satisfaisant pour tous les groupes, faudrait qu’il se lise ainsi : 

« Mignonne ou mignon ou ni mignonne ni mignon, allons voir si la rose ou le rose ou juste rose,

Qui ce matin avoit desclose ou desclos,

Sa robe ou son robe de pourpre au Soleil,

A point perdu ceste ou cest, de toute façon, on ne dit plus ça, vesprée avec un e ou pas

Les plis de sa robe, ou son robe, ou juste robe, pourprée avec un e ou sans,

Et son teint ou sa teint ou juste teint, au vostre pareil ou à la vostre pareil, ou pareille ou pas pareille. »

Bien sûr, ça gâche un peu la rime. Mais au moins, c’est respectueux.

C’est bien d’accorder autant d’importance aux mots. De les vouloir inclusifs. Mais on s’attarde toujours aux noms. Aux appellations. Quand ce qui compte le plus ce sont les actions. Ce sont les verbes.

Remplacez haïr par aimer.

Et vous pourrez m’appeler comme vous voulez.

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