Sport étudiant et réfugiés

Unis autour du ballon rond

L’école secondaire des Pionniers accueille de plus en plus de nouveaux arrivants, dont des réfugiés. Pour faciliter l’intégration de ces élèves et favoriser leur réussite, on a lancé, il y a six ans, un programme de soccer qui leur était destiné. Aujourd’hui, 150 élèves d’ici et d’ailleurs portent avec fierté le maillot des Gothics et fraternisent autour du ballon rond.

Trois-Rivières — Pour plusieurs élèves réfugiés, la vie tourne autour du soccer. Depuis qu'ils sont tout petits. Dès qu’ils ont une pause, ils ont un ballon au pied. « Plusieurs jouaient près de l’entrée. Ils envoyaient des ballons dans les fenêtres du bureau du directeur », raconte l’enseignant Jonathan Levasseur. Pourquoi ne pas leur offrir un programme de soccer ? a suggéré le directeur. « On cherchait une façon de les accrocher à l’école. On voulait augmenter la diplomation chez ces élèves. On réalisait qu’on ne scorait pas fort de ce côté, surtout chez les garçons. » La solution était toute trouvée. Le programme de soccer intérieur (futsal) a été mis sur pied dans ce but. Dès la première année, 60 jeunes se sont joints aux Gothics.

C’est journée pédagogique aujourd’hui. Une trentaine de jeunes – les plus mordus ! – se sont levés au son de leur réveille-matin afin d’être au poste à 8 h 30. Ils s’entraîneront sur le terrain extérieur toute la matinée. La séance s’ajoute aux trois entraînements hebdomadaires, à l’intérieur ou à l’extérieur. Les troupes suivront les consignes de l’entraîneur Nicolas Lesage, enseignant d’éducation physique et ancien joueur de l’Attak de Trois-Rivières. « Moisi, as-tu eu une crevaison sur ton vélo ? », lance-t-il à un retardataire.

Le ballon au pied, Valère Doh, 13 ans, se déplace avec aisance entre ses coéquipiers. Il drible, il court. Il sourit. Sur le grand terrain de gazon synthétique, il est plus heureux que partout ailleurs. Il y a un an, Valère était voleur de mangues. Natif de Côte-d’Ivoire, il séjournait alors dans un camp de réfugiés en Guinée. Agile, il grimpait aux plus hautes branches des arbres pour y cueillir les fruits mûrs. Des complices faisaient le guet. Quand le fermier tirait, le groupe s’enfuyait à travers champ. C’était pour lui l’unique façon de manger à sa faim.

L’an dernier, à son arrivée à Trois-Rivières, les défis ont été tout autres pour Valère. Au camp de réfugiés, où il a été coincé pendant plusieurs années, il a reçu un enseignement approximatif. Il accusait un retard scolaire. « À son entrée à l’école, il était intenable en classe, il ne voulait pas travailler. Il avait de la difficulté à entrer en lien avec les autres. Au moindre conflit, il se battait », dit M. Levasseur, responsable du programme de soccer et enseignant en classe d’accueil.

Le garçon s'est joint à l’équipe de soccer et ça a été le déclic. « Cette année, il a une moyenne de 82 %. Quand je le vois feuilleter le dictionnaire, ça m’émeut. Il met des efforts et il devrait passer en classe régulière d’ici Noël », se réjouit son enseignant. « Faire partie du club, ça me rend très fier », confie Valère en sautillant, impatient d’aller sur le jeu.

« Je prête des ballons pour la fin de semaine, comme une bibliothèque. Ils les traînent partout. Sans ballon, plusieurs ont horreur des congés », indique M. Levasseur. Chikuru Mutudu, 13 ans, fait partie des insatiables. « Le soccer est une grande chose pour moi. Je jouerais du matin au soir. Je rêve de devenir un joueur professionnel. J’aimerais jouer pour Chelsea, mon idole est Didier Drogba », dit le garçon, réfugié de Tanzanie. Il est considéré comme un des meilleurs espoirs de la Mauricie.

Les élèves-athlètes s’amusent, mais ils ont des responsabilités. « Ils signent un contrat. Il doivent être assidus en classe et sur le terrain, avoir un bon comportement », dit M. Levasseur. Et les résultats scolaires ? « S’ils présentent des difficultés, on les rencontre et on les aide, mais l’échec n’est pas un critère d’exclusion. On ne veut pas perdre ce lien qu’on a tissé. » Ce lien créé par le soccer est réutilisable en classe, en société. Plusieurs en viennent à trouver en l’école un repaire tranquille. « On en voit qui passent leur soirée ici, jusqu’à ce que la gardienne de sécurité ferme les portes. Ils sont bien ici. » Les nouveaux arrivants habitent en grand nombre à proximité de l’école, dans des habitations à loyer modique. Ils y vivent nombreux. Comme Valère, qui a six frères et sœurs.

Tous n’ont pas l'argent pour l’inscription, pour les chaussures. « On a dû trouver des solutions pour financer le projet. On ne pouvait pas leur demander de vendre du chocolat ou des bas, ils n’ont pas de réseau pour les vendre. » On exige de chacun une vingtaine d’heures de bénévolat. Pour financer le programme, l’école organise des tournois. Chaque joueur est mis à contribution : confection des horaires, accompagnement, etc. « Ça ne leur tente pas toujours de travailler. Je dois parfois les réveiller le matin. » M. Levasseur s’est déjà pointé devant leur domicile, à bord d’un autobus jaune, avec un porte-voix. « Ça les surprend, mais ils ne sont plus jamais en retard après. Et ils comprennent qu’ils sont importants, qu’on a besoin d’eux. »

Dieu-Règne Makoumbou, 16 ans, est un modèle de réussite. Aujourd’hui, il assiste l’entraîneur. « Apprendre aux jeunes ce qu’on sait, voir leur progression, c’est une fierté », dit-il. Petit, il a vécu quelques années dans un camp de réfugiés en République du Congo. À son arrivée au Québec, il se battait, il mordait. C’est du passé. Le programme de soccer l’a complètement changé, c’est la meilleure chose qui lui soit arrivée, dit-il. « Ça m’a aidé à canaliser mon énergie. » Il contrôle maintenant ses impulsions, plonge le nez dans ses livres et donne du temps sans compter. « C’est une motivation à l’école, j’aime préparer mon équipement pour le soir. Si je décroche, je ne pourrai plus jouer. » Il est en troisième secondaire, il travaille fort en vue d’obtenir un diplôme. « Certains sont gênés parce qu’ils ont un retard scolaire, ils ont aussi beaucoup de pression de leurs parents, dit M. Levasseur. On n’a pas à juger du chemin, certains ont traversé de grosses épreuves, il faut regarder la destination. » 

Les Québécois d’origine se mêlent désormais aux élèves immigrants. « On a ouvert le club à tous. Ça devient le seul endroit où il n’y a pas de différence. Ils sont considérés comme des joueurs de soccer, pas comme des immigrants. Ils sont appréciés, en tirent une valorisation », dit M. Levasseur. Ce mélange se remarque dans les couloirs de l’école et même dans les gradins. « Les parents crient et encouragent dans un but commun. Ils fraternisent, s’entraident. Vous n’avez pas d’auto ? Je vais aller reconduire votre fils. »

« Notre programme permet aux nouveaux arrivants de s’intégrer plus facilement, croit l’entraîneur Nicolas Lesage. C’est bon aussi pour les Québécois d’origine qui ont l’occasion d’apprendre, de voir la vie autrement, avec une nouvelle ouverture d’esprit. Ça aide à diminuer les préjugés qu’on entend trop souvent. » Les Gothics (futsal) disputent 12 matchs dans le RSEQ, en plus des tournois et championnats.

Avec le recul, M. Levasseur estime que le programme est un franc succès. « Auparavant, plusieurs jeunes immigrants se retrouvaient en adaptation scolaire. Maintenant, je les intègre tous au régulier. Ils ont plus d’ambition, ils apprennent plus rapidement le français. J’en diplôme chaque année, j’en fais mes vedettes. » Le programme a fait des petits. Des jeunes, qui préfèrent pratiquer un autre sport, peuvent bénéficier d’une aide si nécessaire.

Certaines batailles sont perdues, d’autres se gagnent à coups de persévérance, de patience. Moisi Tembele, 13 ans, réfugié de la République du Congo, a longtemps rêvé de porter le maillot des Gothics. Il a tenté de convaincre ses parents, des musulmans conservateurs. L’école et le Service d’accueil des nouveaux arrivants (SANA) sont intervenus pour les sensibiliser aux bienfaits du sport chez leur fils. « Je les ai tellement achalés. Quand je bouge, je me sens mieux. Je joue depuis l’an dernier. Je fais aussi du basket et de la danse. » Comme il est timide, ça lui permet de s’exprimer autrement.

Le prochain défi ? « On a de la difficulté à mettre les filles sur le terrain. Plusieurs n’ont pas été habituées à pratiquer des sports, on doit convaincre les papas, les communautés. Chaque fois qu’une fille se joint au club, c’est une petite victoire. » Comme l’arrivée de Maria, il y a deux semaines. C’est la sœur de Valère. Elle martelait : « Les filles sont égales aux garçons au Québec, non ? » « Ça a pris un an avant de convaincre ses parents, dit M. Levasseur. Elle voyait son frère jouer et trouvait injuste de ne pas avoir ce droit. » Sur le terrain, elle discute avec des amies, elle joue avec le sourire. « J’aime le soccer, ça me permet de pratiquer le français, de me faire beaucoup d’amies. »

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