Chronique

Le cauchemar du CIO

Dans ses révélations au New York Times la semaine dernière, Grigory Rodchenkov, ancien directeur du Laboratoire antidopage des Jeux de Sotchi, décrit un système de dopage rendu possible grâce à la participation du ministère des Sports et des forces de sécurité russes.

S’il se confirme, ce maquillage d’échantillons d’urine, qui aurait permis à des médaillés russes dopés d’éviter les tests positifs, constituerait un abominable complot. Le mouvement olympique devrait alors imposer des sanctions exemplaires à la Russie.

Mais nous n’en sommes pas encore là. Le récit de Rodchenkov, aussi choquant soit-il, représente pour l’instant des allégations. Sans surprise, le gouvernement russe a affirmé que ces faits étaient sans fondement. Des menaces de poursuite envers le quotidien américain ont été évoquées.

De son côté, pour démontrer la véracité de ses dires, Rodchenkov propose à l’Agence mondiale antidopage (AMA) d’examiner les échantillons « B » prélevés durant les Jeux. Et cela, même s’il affirme avoir lui-même remplacé l’urine « souillée » par de l’urine « propre », obtenue des mêmes athlètes des mois plus tôt.

Quelle serait l’utilité de l’opération ? Réponse de Rodchenkov au New York Times : les bouteilles en cause porteront de légères marques de manipulation suspecte, comme des égratignures près du bouchon sécurisé par des crochets métalliques. Et des résidus de sel de table seront trouvés dans certains échantillons, puisqu’il dit avoir utilisé ce produit pour équilibrer leurs spécifications chimiques.

L’AMA, par la voix de son président Craig Reedie, a affirmé qu’elle examinera « immédiatement » les allégations de Rodchenkov. L’urgence est en effet nécessaire. Et la transparence absolue aussi. Car cette histoire met carrément en cause l’intégrité des Jeux de Sotchi. Ce n’est pas un scandale de dopage parmi d’autres.

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Pour le Comité international olympique (CIO) et son président Thomas Bach, le dossier du dopage en Russie est devenu un cauchemar. L’histoire, rappelez-vous, a commencé en décembre 2014 avec un reportage de la télé allemande démontrant que les champions russes d’athlétisme étaient « fabriqués » grâce au dopage institutionnalisé.

L’AMA a alors ordonné une enquête, présidée par l’avocat montréalais Richard Pound. Son rapport dévastateur, démontrant l’étendue du stratagème et la complicité des autorités sportives de ce pays, a été déposé en novembre dernier. Du coup, la participation des athlètes russes (uniquement en athlétisme) aux Jeux de Rio a été liée à la mise en place d’une politique crédible et efficace de lutte contre le dopage.

Cette nouvelle à peine annoncée, Thomas Bach, pour qui l’absence d’une partie de la délégation russe aux Jeux de Rio serait un immense problème diplomatique, a indiqué qu’il avait bon espoir que les autorités du pays donneraient le coup de barre nécessaire, une remarque ressemblant plus à un vœu qu’à une certitude.

À moins de trois mois des Jeux, l’attitude des Russes laisse songeur. Le quotidien anglais The Guardian a révélé vendredi que l’Agence antidopage britannique, chargée de tester les athlètes russes depuis novembre dernier, déplorait le manque de collaboration de leurs hôtes. Près d’une centaine de tests n’ont pu être réalisés, l’athlète visé étant introuvable. En matière de dopage, cette faute est grave.

Parallèlement à cette opération, l’AMA a accordé un mandat de deux ans à un Australien et à une Lithuanienne pour reconstruire l’Agence russe antidopage.

Dans ce contexte effervescent, une nouvelle pièce s’est ajoutée au dossier le week-end dernier. Vitaly Mutko, ministre russe des Sports, a signé une tribune dans le Sunday Times de Londres demandant l’indulgence au monde entier.

Évoquant le scandale de l’athlétisme russe, il a affirmé que de « sérieuses erreurs » avaient été commises par des dirigeants de la Fédération d’athlétisme de son pays, ainsi que par des entraîneurs et des athlètes.

« Soyons clairs, a écrit le ministre. Nous avons honte d’eux. Nous sommes très déçus que des athlètes ayant voulu nous tromper, ainsi que le reste du monde, n’aient pas été pris plus tôt. »

Non, le ministre n’a pas parlé des allégations de Rodchenkov à propos de Sotchi 2014. Mais il a affirmé que punir tous les représentants de l’athlétisme russe en les privant des Jeux de Rio était injuste. Des athlètes propres seraient ainsi sanctionnés pour des fautes commises par d’autres, a-t-il expliqué, ajoutant que la Russie veut « éradiquer » le dopage et que ce problème touche aussi d’autres pays.

Un avertissement se retrouve aussi dans le texte. Et soyons sûrs que Thomas Bach l’a noté : « Les Jeux olympiques devraient être un facteur d’unité, a déclaré Mutko. Empêcher les athlètes russes d’y concourir risquerait de déchirer cette unité. »

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Le pays des steppes, une puissance mondiale, est devenu depuis 10 ans un partenaire majeur des grandes organisations sportives internationales : Jeux de Sotchi, Coupe du monde de soccer de 2018, Grand Prix de Formule 1...

Durant les Jeux de Sotchi, Thomas Bach, fraîchement élu à la tête du CIO, a ainsi multiplié les compliments à l’endroit du gouvernement Poutine.

Si toutes les parties prenantes passent l’éponge sur les énormes dérives de l’athlétisme russe, elles auront l’air de céder devant les pressions de ce pays. Et si elles jouent la ligne dure, elles se feront un ennemi de taille.

Une décision est attendue le 17 juin, lors d’une réunion de la Fédération internationale d’athlétisme. Parions que l’apaisement triomphera, même si le ministre Mutko sent la soupe assez chaude pour écrire au Sunday Times et promettre que son pays sera plus vigilant à l’avenir.

En revanche, si les allégations de Rodchenkov concernant Sotchi 2014 se confirment, le problème posé par la présence des porte-couleurs de l’athlétisme russe à Rio laissera alors place à une crise aux proportions épiques.

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