Chronique

La maison brûle ? Arrosons les plantes

Le Canadien traverse une crise. Une vraie. La plus grave depuis longtemps.

L’équipe ne gagne plus. Les partisans sont frustrés. Les joueurs sont accablés. L’entraîneur-chef Claude Julien – reconnu pour son calme – est à fleur de peau. Dans la dernière semaine, il a affirmé être « extrêmement frustré » de la situation, puis « en cr… » contre le travail des arbitres. On se serait crus dans le confessionnal d’Occupation double.

Et depuis 15 jours, que fait la haute direction du Canadien ?

Presque rien.

Le directeur général Marc Bergevin travaille. Loin. Très loin. Très, très loin de la tempête. En Russie, où il observe des espoirs de l’organisation. Un voyage planifié depuis longtemps.

Je sais, c’est difficile d’annuler un séjour comme ça à la dernière minute. N’empêche, quand la maison brûle, on n’arrose pas les plantes.

On éteint le feu.

Et pas avec des arrosoirs.

Avec de gros boyaux.

***

Mike Carson n’a jamais dirigé une équipe de la LNH. Mais il connaît deux ou trois trucs sur la gestion. Son travail ? Conseiller en transformation d’entreprises.

En 2013, il s’est intéressé au fonctionnement des équipes sportives. Il a rencontré 30 grands entraîneurs de soccer. La crème de la crème. Sir Alex Ferguson. José Mourinho. Arsène Wenger. Roy Hodgson.

Il leur a posé plein de questions. Comment créer une équipe gagnante ? Comment réussir sous pression ? Comment gérer les vedettes ? Il a recensé leurs réponses dans un essai instructif, The Manager. Un chapitre entier est consacré aux crises.

Sa conclusion ? Lorsque le feu est pris, les dirigeants doivent réagir rapidement.

« Une crise laisse très peu de temps pour prendre une décision, écrit-il. C’est pourquoi la crise est souvent associée à un style de gestion autoritaire. Il n’y a pratiquement aucun doute sur ce qui doit être fait. Ce n’est pas le temps d’engager des processus ou de poser des questions. Le dirigeant doit trouver une réponse au problème. »

Et vite.

« Seule une action radicale mènera à un revirement réussi. »

— Mike Carson, conseiller en transformation d’entreprises, dans l’essai The Manager

Depuis 15 jours, le Canadien a fait exactement le contraire. Il a adopté une position passive. Était-ce la bonne approche ?

Visiblement, non.

Le Tricolore s’enlise. Il est aujourd’hui à la croisée des chemins. À l’heure des choix. Pour sortir de la crise, ça lui prendra plus que de la chance. Ça lui prendra du courage. Voyons quelles « actions radicales » ses dirigeants pourraient prendre dans les prochains jours.

CLAUDE JULIEN

Dès le camp d’entraînement, Claude Julien a demandé des renforts à ses patrons. Il n’en a jamais eu. Aujourd’hui, il se retrouve menotté. Contraint de trouver une nouvelle recette avec les mêmes ingrédients.

Depuis une semaine, il fait des expériences. Jeudi, il a inséré Brett Kulak dans sa formation. Le défenseur a terminé la soirée avec un différentiel de - 3. Ce week-end, Julien a utilisé un joueur du club-école : le défenseur Gustav Olofsson, 25 ans, aucun but en 58 matchs dans la LNH. Le pauvre a appris à la dure que David Pastrnak patine pas mal plus vite que le meilleur attaquant des Phantoms de Lehigh Valley.

Les fans reprochent à Julien de surutiliser Jordan Weal, Nate Thompson et Nick Cousins, tous blanchis depuis huit parties. OK. Mais qui voulez-vous qu’il mette à leur place ? Le Canadien n’avait même pas d’attaquant réserviste depuis deux semaines ! Le rappel de Matthew Peca, lundi, va enfin permettre à Julien d’apporter des changements.

Vous aurez compris que Julien est à court d’options. La seule action radicale qu’il lui reste, c’est d’alterner entre Carey Price et la recrue Cayden Primeau. Pour créer une compétition à l’interne entre ses deux gardiens. Une situation casse-gueule. Je doute que ses patrons acceptent de payer un joueur plus de 10 millions US pour le voir ouvrir la porte au banc des joueurs un match sur deux.

Je tiens à souligner que dans la défaite, Julien affiche une attitude positive avec ses joueurs. C’est l’une des clés de sortie de crise, selon Mike Carson. Lundi, Julien a cité en exemple la réussite des Blues de St. Louis, qui sont passés du dernier rang à la conquête de la Coupe Stanley en six mois. C’est vrai. Pas sûr toutefois que c’est l’exemple que j’aurais donné.

Car les Blues ont eu recours à des actions radicales pour retrouver le chemin du succès.

Ils ont changé leur gardien… et leur entraîneur-chef.

MARC BERGEVIN

Le directeur général du Canadien a déjà vécu une crise semblable, au début de la saison 2017. Il avait alors essayé de réaliser une transaction. Sans succès.

« Après 10 matchs, j’ai eu un feeling qu’il se passait de quoi », m’a-t-il expliqué dans une entrevue cet automne. « Mais tu ne peux pas changer une équipe sur le fly de même. C’est impossible. J’ai essayé de faire des choses. Je le voyais. Je le savais. Je n’avais pas de fun. J’ai essayé à l’interne de régler ça. Mais c’était impossible. J’ai pris les décisions à la fin de l’année. »

Le scénario semble se répéter cette année. Depuis l’été dernier, Bergevin a lancé plusieurs lignes à l’eau. En vain.

Si au moins le Canadien avait de la profondeur à l’interne. Mais non. Le club écope pour cinq séances de repêchage bousillées, entre 2011 et 2015. Ces joueurs ont aujourd’hui entre 22 et 26 ans. Ils sont dans la fleur de l’âge. Et presque totalement absents avec le grand club. Seuls Artturi Lehkonen et Charles Hudon sont dans l’alignement. On peut ajouter Max Domi, acquis en retour d’Alex Galchenyuk, sélectionné en 2012. Seulement trois titulaires sur 20. C’est nettement insuffisant.

Si Bergevin est incapable de conclure une transaction majeure à très court terme, l’autre action radicale qu’il peut poser, c’est de congédier son entraîneur-chef. Ce serait injuste. Claude Julien n’est pas responsable de la léthargie. Sauf qu’il est le bouc émissaire parfait. Ça calmerait la grogne pendant quelques semaines. Et ça donnerait la fausse illusion que le problème est mécanique, et non structurel.

GEOFF MOLSON

Comme Marc Bergevin, lui aussi a l’autorité nécessaire pour faire un geste d’éclat. Il a deux options d’actions radicales : 

– remplacer Marc Bergevin et Claude Julien ;

– réviser leur mandat.

Depuis le début de la saison, l’objectif est clair : se qualifier pour les séries éliminatoires. Après la série de défaites, les probabilités ne sont plus que de 25 %, selon les sites spécialisés en la matière. Geoff Molson pourrait imiter les propriétaires des Rangers de New York. Ceux-ci ont envoyé une lettre à leurs partisans pour annoncer leur intention de « rebâtir » l’équipe – en échangeant les vétérans, notamment.

Sauf que Montréal n’est pas New York. À l’interne, on me dit que Geoff Molson s’est toujours opposé à cette stratégie. Aussi, vider le club de ses vétérans et terminer dans le fond du classement pour repêcher plus haut est loin d’être un gage de succès.

Prenez les Sabres de Buffalo. Ils ont souvent repêché parmi les deux premières équipes. Mais ils n’ont toujours pas participé aux séries avec Rasmus Dahlin, Jack Eichel et Sam Reinhart. Les Oilers d’Edmonton, qui misent sur Connor McDavid, Leon Draisaitl et Ryan Nugent-Hopkins, ne se sont qualifiés qu’une seule fois pour le tournoi printanier depuis 2006.

Autre enjeu : une équipe en reconstruction peine à attirer les joueurs autonomes. Or, dans 18 mois, le premier trio du Canadien au grand complet sera libre comme l’air. Phillip Danault, Brendan Gallagher et Tomas Tatar voudraient-ils poursuivre leur carrière avec un club condamné à des années de vaches maigres ? Et Jeff Petry ? Est-ce que ça forcerait le Canadien à aligner trop rapidement des espoirs qui ne sont pas prêts ? À tirer sur des fleurs qui n’ont pas fini de pousser ?

Et avant de penser à arroser les fleurs, est-ce que quelqu’un pourrait prendre le boyau et éteindre le feu ?

Ça commence à presser.

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