Opinion  Industrie agroalimentaire

Démocratiser l’agriculture

L’accaparement des terres agricoles n’est pas un problème ; les gérer et assurer une meilleure relève en est un

Les terres agricoles, c'est comme de l'or : il est impossible d'en créer davantage. Il n’est donc pas surprenant que certains s’inquiètent du phénomène d’accaparement de terres agricoles.

C’est pourquoi la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles a décidé de se saisir d’un mandat d’initiative sur le sujet. Les audiences auront lieu les 16 et 17 mars prochains à Québec. De mémoire, c’est la première fois qu’une province canadienne se penche sérieusement sur le sujet. Par contre, en comparant le Québec à d'autres juridictions sur le globe, il n’y a pas de quoi s’énerver.

Dans certaines régions du monde, des groupes financiers achètent déjà des terres agricoles sans aucune considération pour le patrimoine et la souveraineté alimentaire d’un pays. À regret, l’intention primaire sous-jacente à ces transactions est la culture spéculative, purement et simplement. Entre 2000 et 2011, selon la Coalition internationale pour l’accès à la terre, il y a eu au-delà de 2000 transactions majeures impliquant plus de 203 millions d’hectares de terres agricoles, une superficie qui dépasse largement celle de la province de Québec.

Le phénomène de l’accaparement des terres en est un qui préoccupe plusieurs gouvernements. Tout récemment, par exemple, les États-Unis ont accusé la Russie d’accaparer des terres agricoles en Ukraine. Même l’Afrique montre des signes d’inquiétude ces derniers temps.

Évidemment, le contrôle et la possession de terres agricoles s’inscrivent toujours dans une stratégie de sécurisation alimentaire pour un peuple. L’État qui néglige cet aspect de l’agriculture agit de façon irresponsable.

Or, au Québec, la situation est très différente. D’abord il existe depuis fort longtemps des mécanismes afin de protéger les terres agricoles du territoire québécois. Ainsi, grâce à la Commission de protection des terres agricoles, en vertu de la Loi sur l’acquisition de terres par des non-résidents, l’achat de terres agricoles par des groupes étrangers est hautement surveillé. Par exemple, il faut séjourner au Québec pendant un minimum de 3 à 4 ans avant d’avoir le droit d’acquérir des terres agricoles dans la province. La Belle Province a déjà l’une des lois les plus restrictives au sein de la fédération canadienne.

Le phénomène demeure donc extrêmement marginal au Québec. Selon le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ), seulement 0,2 % des terres agricoles de la province appartiennent à des investisseurs étrangers. Par contre, le ratio des terres exploitées par leurs propriétaires diminue d’année en année, et pas seulement au Québec. Pour la première fois au Canada, plus de 40 % des terres agricoles sont exploitées par des locataires exploitants. La valeur des terres et l’âge des agriculteurs y sont pour quelque chose. À la retraite, plusieurs agriculteurs louent leurs terres à des exploitants qui tentent de rentabiliser leurs opérations par l’entremise d’économies d’échelle.

Puisque la valeur des terres agricoles augmente sans cesse, l’accessibilité financière en agriculture est de plus en plus difficile. Ce n’est donc pas un hasard si plusieurs fonds d’investissement locaux ont vu le jour ces dernières années. Ces fonds répondent à un réel besoin de sécurisation alimentaire et représentent une occasion pour plusieurs investisseurs locaux qui, normalement, n’ont pas accès au monde agricole. Ces investisseurs ont souvent une autre façon de voir les choses, ce qui amène l’agriculture à innover et développer de nouvelles méthodes de gestion.

Afin d’assurer une meilleure intendance de nos terres à long terme, il faut y réfléchir collectivement. En focalisant ses efforts sur l’accaparement des terres agricoles, la Commission rate la cible et s’intéresse à un faux problème. Il faut plutôt trouver des moyens pour démocratiser l’agriculture afin de permettre à ceux ayant les compétences nécessaires de mieux gérer notre richesse agricole et d’assurer une meilleure relève.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.