Entrevue avec Claude Chagnon

« On ne peut pas se substituer à l’État »

Chaque année, la Fondation André et Lucie Chagnon verse 70 millions à différents organismes de proximité afin de remplir sa mission : prévenir la pauvreté par la réussite éducative des jeunes. Malgré des investissements considérables, la Fondation ne veut pas se substituer à l’État, mais bien travailler avec lui, explique le président de l’organisme, Claude Chagnon. Entretien.

Vous publiez aujourd’hui un grand sondage sur les aspirations des Québécois en matière de politiques sociales. Qu’est-ce qui vous a amenés à faire ce sondage ? Vouliez-vous lancer une mise en garde au gouvernement en cette période de restrictions budgétaires ?

Pas du tout. Avec la Fondation, nous faisons régulièrement ce genre de sondage. L’hiver dernier, La Presse a fait un dossier pour savoir à quoi rêvent les Québécois. On a été surpris de voir que beaucoup rêvaient d’un monde sans pauvreté. On a voulu creuser la question. Comme Fondation, on veut travailler avec tout le monde. On a sondé la population pour échanger l’information et permettre de faire les choix collectifs les plus judicieux pour le futur.

Quelle est la principale surprise de ces résultats, selon vous ?

La crainte des gens de devenir pauvres. Ça m’a frappé. Ça va jusqu’à 59 % chez les parents de jeunes enfants. C’est élevé.

Selon votre sondage, 72 % des gens croient que nous ne faisons pas assez collectivement pour soutenir les aînés et 67 % estiment qu’on ne fait pas assez pour prévenir la pauvreté. À l’inverse, 51 % estiment qu’on fait assez collectivement pour assurer le développement harmonieux des tout-petits. Votre fondation est très active auprès des 0-5 ans. À quel point cela vous interpelle-t-il ?

Ça m’interpelle beaucoup. Il y a un bout de chemin à faire pour mieux diffuser les connaissances sur l’importance d’agir plus tôt auprès des jeunes enfants. Mais la réponse mériterait d’être décortiquée, pour savoir où les gens trouvent qu’on a fait assez dans ce domaine.

Chaque année, vous versez 70 millions à différents organismes de terrain. Dans un contexte où le gouvernement manque d’argent, à quel point les fondations comme la vôtre deviennent-elles incontournables ?

Vous savez, 70 millions, c’est 0,01 % du budget provincial. Notre action ne peut pas être de se substituer au gouvernement. Notre action doit être différente et avoir un effet de levier sur les collectivités. Oui, à terme, ça peut influencer des politiques sociales. Mais ce n’est pas par le montant de nos investissements. Nous ne sommes pas une solution de remplacement. Au cours de la dernière année, beaucoup de gens se sont tournés vers nous, mais on leur a expliqué qu’on ne peut pas se substituer à l’État.

Votre fondation existe depuis l’an 2000. Pouvez-vous mesurer vos succès ?

On ne peut pas s’approprier des impacts réels, mais je pense qu’on a contribué à certaines choses. Par exemple, la notion de précocité a évolué. Avant, intervenir tôt, c’était intervenir avant qu’un enfant entre à l’école. Aujourd’hui, on parle d’agir avant l’âge de 1 an. La préoccupation de la persévérance scolaire comme moyen de sortir de la pauvreté, tout le Québec y participe maintenant, et par toutes les activités qu’on a soutenues dans ce sens-là, je pense qu’on a sûrement apporté notre contribution.

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