Michel Hazanavicius

Le pur
plaisir
du cinéma

Son film The Artist, en noir et blanc et sans dialogues, lui a valu un Oscar. Michel Hazanavicius est à Montréal pour présenter Le redoutable, film dont le personnage principal est Jean-Luc Godard. Invité d’honneur du festival Cinemania, le cinéaste français fait aussi l’objet d’une rétrospective à la Cinémathèque québécoise et participe à plusieurs rencontres publiques. Nous avons fait le point avec lui.

La cinéphilie

Dans Michel Hazanavicius – Histoire(s) du cinéma, documentaire réalisé par Jean-Pierre Lavoignat, Christophe d’Yvoire et Nicolas Marki, on voit le cinéaste dans l’une des pièces de sa maison, entouré de livres, d’objets, d’affiches. Bref, l’environnement semble entièrement voué au cinéma. « En fait, oui, je vis dans un environnement où il y a de telles choses – notamment une affiche de Jean-Paul Belmondo autographiée –, mais je ne me considère pas comme un cinéphile, au sens où on l’entend habituellement, avec cette inclination vers un cinéma plus pointu. Pas du tout. En fait, il y a des lacunes énormes dans ma culture cinématographique. Depuis toujours, et ça a commencé à l’époque où j’ai vu des westerns et des films de James Bond quand j’étais enfant, mon rapport au cinéma est caractérisé par le plaisir. Cela ne veut pas dire que seules les comédies me plaisent et qu’un film doit obligatoirement me faire sourire béatement, mais il doit m’atteindre, d’une façon ou d’une autre. Il y a une partie de la critique qui, à mon avis, est plus cinéphobe que cinéphile, tellement il y a peu de films qui trouvent grâce à ses yeux. C’est dire que leur amour du cinéma empêche ces gens d’aimer des films, ce qui est un peu contradictoire ! »

Le redoutable

Le nouveau film de Michel Hazanavicius est une adaptation d’un livre qu’Anne Wiazemsky, qui vient de s’éteindre, a écrit à propos de la période où elle a vécu avec Jean-Luc Godard à la fin des années 60. Pour un cinéaste comme Hazanavicius, qui ne porte aucune révérence « religieuse » au réalisateur d’À bout de souffle, voilà une occasion de jongler un peu avec la mythologie. « Ce n’est pas un film sur Godard, mais il est là. Je trouvais que le livre d’Anne permettait justement d’aborder plein de thèmes et de nous en amuser. Louis Garrel [l’interprète de Jean-Luc Godard] me faisait remarquer que dans mes films, le protagoniste est souvent en décalage – et en conflit – avec l’environnement dans lequel il évolue. Le redoutable rend aussi hommage au cinéma, et à une époque où tout était moins uniforme qu’aujourd’hui. Et puis, le cinéma était au cœur des débats sociaux. Les films n’étaient pas accessibles comme maintenant et chaque présentation était un événement. Ce côté sacré a disparu. Anne a vu le film ; elle fut d’ailleurs l’une des premières à le voir. Elle l’a beaucoup aimé, elle l’a même revu quatre fois. Je suis très triste qu’elle soit partie, mais je suis heureux que nos routes se soient croisées, d’autant qu’elle avait auparavant refusé toutes les offres d’adaptation de son livre. »

OSS 117

OSS 117 – Le Caire, nid d’espions, réalisé en 2006, et OSS 117 – Rio ne répond plus, sorti trois ans plus tard, ont été les deux premiers grands succès de Michel Hazanavicius. Les deux longs métrages ont aussi marqué la collaboration entre le cinéaste et Jean Dujardin. « Sans Jean Dujardin, ces films auraient sans doute existé, mais de façon différente. OSS 117 est arrivé pile-poil au bon moment, tant pour lui et pour moi que pour les membres de l’équipe. Nous n’étions pas des débutants, mais nous n’étions pas attendus là non plus. De sorte que ce film a pu se faire de manière à la fois très libre et très maîtrisée. Je crois qu’on pourrait réaliser les OSS 117 de la même façon aujourd’hui, même si nous ne sommes évidemment pas imperméables à tout ce qui se passe dans le monde. D’ailleurs, je fais de plus en plus attention à la manière dont je manie l’ironie, parce que le cynisme est devenu une norme, presque un discours dominant. J’estime qu’il s’agit d’une façon de tout mettre à distance et de tuer l’empathie, comme si on se désengageait de tout. D’où ma prudence. OSS 117 est politiquement très correct, mais il est aussi impertinent. Les blagues sont de la nitroglycérine, il faut les manipuler avec soin, sinon elles vous pètent à la gueule ! »

The Artist

Le 15 mai 2011, The Artist, un film en noir et blanc, sans paroles, a été lancé en primeur mondiale au Festival de Cannes. Il avait d’abord été annoncé hors compétition, mais Thierry Frémaux, le délégué général, a décidé à la toute dernière minute de l’inscrire parmi les candidats à la Palme d’or. Le film n’a pas eu la Palme, mais il a valu un prix d’interprétation à Jean Dujardin. « Honnêtement, nous avons insisté pour être dans la compétition, explique le cinéaste. Je trouvais qu’il était important que le film soit sur le même pied que les autres, et non pas dans une catégorie à part, comme s’il était, de par sa nature, handicapé. C’est en tout cas la réflexion que j’ai eue quand j’ai entendu dire que des gens pensaient qu’il s’agissait d’un film sourd et muet ! On m’a souvent dit que le pari de faire un film en noir et blanc, sans dialogues, était gonflé, mais je ne suis pas tout à fait d’accord. À mes yeux, le vrai risque serait de faire une comédie romantique classique et de tenter de faire sa place parmi les 2000 autres du même genre qui partent sur la ligne de départ. Là, nous étions tout fins seuls dans le genre. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, The Artist n’a pas été si difficile à monter. Dès que le producteur Thomas Langmann a souscrit au projet, tout a pu se faire assez rapidement. Et c’est une grâce d’avoir pu aller à Cannes avec ce film. Tout est parti de là. »

L’affaire Weinstein

Dès qu’il a vu The Artist, Harvey Weinstein en a acquis les droits pour une distribution en Amérique du Nord. Il a aussi promis de mener une campagne « agressive » afin que ce film devienne un candidat sérieux – dans toutes les catégories – dans la course aux Oscars en 2012. The Artist a obtenu cinq statuettes, dont celle attribuée au meilleur film de l’année, à la meilleure réalisation et au meilleur acteur (Jean Dujardin), du rarement vu pour un film venu de France. C’est dire que cette année-là, Michel Hazanavicius a beaucoup travaillé avec le roi de Hollywood, aujourd’hui déchu. « Ça me fait beaucoup de peine de constater que des hommes se comportent comme ça et qu’on peut les côtoyer sans soupçonner qu’ils ont des comportements aussi dégueulasses. Harvey était à côté de moi et je n’ai rien vu pendant que j’étais avec lui. La machine médiatique fonctionne aussi de telle manière que je n’ai même pas eu le temps de réagir quand l’affaire est sortie. J’ai dû recevoir 80 coups de fil, auxquels je n’ai pas voulu répondre parce que, n’ayant rien vu, je n’ai pas de témoignage à livrer. Pourquoi ajouter une voix qui n’a aucune pertinence ? Au-delà de ce cas précis, ce que toutes ces histoires racontent sur ces hommes de pouvoir est terrifiant. Quelque chose est en train de changer dans la société et c’est très bien, même si on aurait préféré une révolution plus douce, quoique dans ce contexte, c’est impossible. Là, c’est violent, mais c’est pour le mieux parce que l’abcès est crevé. Quoi qu’il arrive, les mecs savent maintenant que la parole des victimes sera écoutée. »

Un Oscar ? Ça change pas le monde…

En 2012, The Artist a raflé tous les prix – ou presque – remis par les différentes associations professionnelles. De sorte qu’au soir de la remise des Oscars, son triomphe ne faisait pratiquement plus aucun doute. « Oui, Harvey Weinstein a organisé la campagne, mais nous avons aussi fait notre boulot, Jean Dujardin notamment. Même s’il ne maîtrise pas l’anglais, Jean a participé à toutes les rencontres, fait la tournée de tous les médias américains, bref, toute cette période fut exaltante et surréaliste. J’ai ensuite reçu plusieurs offres de Hollywood, mais je ne souhaitais pas m’installer là-bas. Ma vie est en France. À l’époque, on me disait : “Oui, tu vas voir comme ta vie va changer”, mais j’avais souvent envie de répondre que j’aimais déjà bien ma vie comme elle était. Ce n’est pas comme si j’avais eu une vie de merde jusque-là et que l’Oscar était une fée qui allait me transformer en princesse ! Ma vie était déjà très cool, je suis content, je suis très amoureux de ma femme, on a de beaux enfants, on vit bien, j’exerce un métier que j’aime, tout va bien. Donc, cinq ans plus tard, je dirais que l’Oscar n’a pas changé ma vie tant que ça. Hollywood me fait moins les yeux doux maintenant, mais si j’arrivais là-bas avec un projet, on me prêterait sans doute encore une oreille attentive. »

The Search

Seul film de fiction dramatique dans la filmographie de Michel Hazanavicius, dont le récit aborde la guerre en Tchétchénie, The Search a été un échec cinglant, violemment rejeté par la critique. « À mon avis, il y a quand même de bonnes choses dans ce film, mais je suis aussi au fait des moments où ça accroche. Forcément, j’ai raté un truc. Et cela suscite en moi une interrogation personnelle. Quand un film est aussi violemment rejeté à Cannes, il n’y a pas de récupération possible. Ce film est frappé à vie du sceau du navet, mais je me dis que même s’il n’y a que quelques personnes qui l’aiment, c’est déjà quelque chose. C’est bien de voir les films plus tard, en dehors du contexte de la sortie. Le rapport est plus apaisé. »

L’horaire des films et des événements auxquels participe Michel Hazanavicius est publié sur le site officiel du festival Cinemania.

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