Chrysler

Prêt à perdre

Il fallait fouiller pour trouver.

Qu’est-il advenu du prêt consenti par Ottawa à Chrysler en 2009 ? La réponse a été enfouie à la page 134 du volume III des derniers Comptes publics.

On y lit ceci : 

« Loi sur l’expension [sic] des exportations

Affaires mondiales

Exportation et développement Canada

(Compte du Canada)

 – 2 595 974 536 »

En français, cela signifie que le prêt ne sera jamais remboursé. Il a été radié. Voilà près de 2,6 milliards de dollars, incluant les intérêts, que le Canada ne reverra pas. Tandis que la société américaine engrange aujourd’hui des profits – plus de 4 milliards l’année dernière.

Ce n’est pas banal… Pourtant, aucun détail n’est donné dans le document. Le nom « Chrysler » n’y apparaît même pas. Sans la vigilance de la CBC, la nouvelle serait passée inaperçue.

Au lieu d’être transparent, Ottawa a essayé d’être invisible.

Mais la grande question est ailleurs : la radiation était-elle évitable ?

Bien sûr, refaire l’histoire est facile. Pour répondre, il faut juger à partir des informations disponibles lors de la négociation du prêt. La crise financière semait alors la panique, et Chrysler et GM étaient menacés de faillite. Des usines risquaient de fermer en Ontario, et près de 10 000 emplois étaient en jeu.

C’est dans cette urgence que des prêts ont été consentis. L’administration Obama a bougé la première. Au Canada, le fédéral et l’Ontario ont ensuite aidé entre autres Chrysler, qui s’était placé à l’abri de ses créanciers en espérant être racheté par Fiat. L’aide canadienne venait donc autant des conservateurs d’Ottawa que des libéraux de Queen’s Park.

Le gouvernement Harper avait avancé un second prêt en 2009, cette fois à la nouvelle entité Chrysler-Fiat. La somme (1,7 milliard) a été entièrement remboursée en 2011. Dans l’ensemble, Ottawa aurait récupéré plus de 70 % de son aide à Chrysler-Fiat.

On comprend la nécessité de protéger les emplois, mais deux choses irritent tout de même. On a sauvé une entreprise qui boitait déjà bien avant la crise, et surtout, on l’a fait de façon opaque.

Le gouvernement n’est pas un prêteur comme un autre. Il gère l’argent du public. Il devrait s’assurer de figurer parmi les premiers créanciers remboursés. L’a-t-il fait, et a-t-il mis son argent dans la bonne entité ? Fallait-il aider la vieille entité de Chrysler destinée à la faillite, au lieu d’aider la nouvelle entité, après le sauvetage par Fiat ? Difficile de répondre, et c’est justement le problème !

Aujourd’hui encore, on est incapable de déterminer précisément à quoi l’argent a servi, et pourquoi le fédéral n’a pas réussi à se faire rembourser son premier prêt.

Certes, le secret commercial justifie parfois de ne pas tout dévoiler, tout de suite. Mais la « compétitivité » a servi de prétexte pour maintenir l’opacité en 2009. Et par la suite, Ottawa a fait peu de suivi des objectifs, comme l’a dénoncé le vérificateur général en 2014.

On ressort de cette saga avec un espoir naïf : que quelqu’un, quelque part, en tire des leçons. Que l’État surveille la prochaine entreprise qui le suppliera de l’aider, et qu’il s’assure d’être remboursé en premier. Ce serait mieux que de laisser la direction retourner à ses affaires, sans même envoyer de carte postale.

En terminant, soulignons l’ironie : avant même la crise financière de 2008, Chrysler perdait du terrain au profit des constructeurs japonais, qui offraient des modèles plus écoénergétiques.

Une décennie plus tard, cette fragilité demeure. Et le président Trump la protégera en annulant le resserrement des émissions des véhicules prévu en 2020. Pour l’instant, Ottawa n’exclut pas d’imiter ce recul.

Encore une fois, on aiderait le constructeur à ne pas s’aider.

Une crise économique n’est pas le moment pour obéir à une idéologie doctrinaire. Il arrive que les sauvetages étatiques soient justifiés. Mais pas dans l’opacité. Ni en risquant de socialiser les pertes.

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