OPINION MODIFICATION DE LA LOI SUR LES BANQUES

Partie remise

Les ambitions fédérales pourraient avoir pour effet d’éclipser la loi québécoise sur la protection du consommateur en matière de services bancaires

Il y a quelques semaines, le gouvernement du Canada a soumis au Parlement le projet de loi C-29, contenant entre autres un certain nombre de modifications à la Loi sur les banques.

Le but poursuivi par le gouvernement canadien était alors, prétendait-il, de s’assurer que le système bancaire canadien soit plus efficace, et ce, à la grandeur du pays. À cette fin, le projet de loi C-29 contenait différentes mesures visant à instaurer un nouveau régime de protection des consommateurs en matière financière et, plus particulièrement, à encadrer les relations des institutions bancaires avec leurs clients et le public.

Il était dit dans le projet de loi C-29 que le nouveau régime fédéral devait être complet et exclusif. De fait, les modifications proposées à la Loi sur les banques touchaient à l’accès aux services, à la communication des renseignements, aux pratiques commerciales et à la présentation de rapports destinés au public.

Le projet de loi C-29 contenait par ailleurs un article qui prévoyait expressément que les nouvelles dispositions portant sur les relations entre les banques et leurs clients ou le public devaient avoir prépondérance sur les dispositions des lois et règlements provinciaux relatives à la protection des consommateurs et aux pratiques commerciales visant ces derniers. L’intention du gouvernement canadien était donc clairement de faire en sorte que toute activité bancaire au Canada soit régie exclusivement par des normes fédérales.

Tout récemment, le gouvernement canadien a annoncé qu’il renonçait pour le moment à faire adopter les mesures mentionnées ci-dessus, étant donné les réactions fort négatives qu’elles avaient suscitées au Québec. Le ministre des Finances du Canada, Bill Morneau, a toutefois promis qu’il reviendrait à la charge incessamment, avec cette fois un projet de loi qui offrirait aux consommateurs des protections optimales. Il a ajouté ceci : « Nous pensons qu’il est très important d’avoir des mesures de protection des consommateurs à travers le pays avec une approche fédérale. »

Pareilles déclarations sont peut-être rassurantes pour les consommateurs québécois, puisqu’ils verront leurs droits être respectés – du moins s’il faut en croire le ministre Morneau –, mais elles ont de quoi inquiéter le gouvernement québécois et tous ceux qui ont à cœur la défense de l’autonomie constitutionnelle du Québec.

En effet, il appert que la concrétisation des ambitions fédérales pourrait éventuellement avoir pour effet d’éclipser la loi québécoise sur la protection du consommateur en matière de services bancaires.

Pour comprendre de quoi il retourne, il faut savoir que le Parlement ne peut pas « décréter » unilatéralement la prépondérance des lois fédérales, quelles qu’elles soient, sur les lois provinciales. Cette prépondérance ne peut en effet découler que d’un conflit entre une loi fédérale et une loi provinciale toutes deux valides. Du reste, il doit s’agir d’un conflit irréductible – c’est-à-dire d’une impossibilité d’appliquer les deux lois en même temps – ou encore d’une tentative de la part du législateur provincial de contrecarrer l’intention du Parlement.

Or, c’est précisément sur ce dernier point que tout se joue. En effet, d’un côté on peut prétendre que, si le Parlement en venait effectivement à adopter une loi comportant les mesures dont nous avons parlé précédemment, les objectifs de cette dernière et ceux de la Loi sur la protection du consommateur convergeraient.

En d’autres termes, on pourrait soutenir que l’objectif poursuivi par la loi québécoise sur la protection du consommateur – objectif qui est précisément de protéger les consommateurs – est compatible avec les visées fédérales. Dans pareille hypothèse, nous serions en présence du summumde l’harmonie.

Mais d’un autre côté, on pourrait soutenir que la simple application de la Loi sur la protection du consommateur en matière de services bancaires irait à l’encontre de l’intention du Parlement, laquelle serait, comme nous l’avons déjà dit, d’instaurer un régime fédéral complet et exclusif en ce qui concerne les relations entre les banques et leurs clients ou le public en général.

Pareil argument, s’il était retenu par la Cour suprême du Canada, serait alors de nature à rendre les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur inopérantes, c’est-à-dire sans effet dans la mesure où elles s’appliqueraient aux services bancaires.

C’est évidemment la Cour suprême qui devrait décider en dernier lieu lequel des deux scénarios décrits plus haut devrait finalement être retenu. En réalité, il serait tout à fait possible que la Cour permette à l’éventuelle loi fédérale et à la Loi sur la protection du consommateur de coexister, voire de se compléter l’une l’autre. Dans pareil cas, ce serait le consommateur qui sortirait gagnant, puisqu’il pourrait profiter des meilleures protections accordées soit par la loi fédérale en question, soit par la Loi sur la protection du consommateur.

En ce qui nous concerne, nous croyons que l’hypothèse voulant que cohabitent une future loi fédérale sur les relations entre les banques et leurs clients ou le public et la Loi sur la protection du consommateur est d’autant plus plausible que, depuis un certain temps, la Cour suprême a tendance à permettre que des lois provinciales valides occupent le même espace constitutionnel que des lois fédérales elles aussi valides. Ainsi, dans le dossier qui nous occupe, les deux lois pourraient-elles cohabiter sans problème, pour le plus grand bénéfice des consommateurs.

Il faudra donc attendre la prochaine mouture du projet de loi fédéral pour savoir dans quelle mesure la loi québécoise sur la protection du consommateur sera conciliable avec le libellé et l’esprit de la législation fédérale.

Il faut toutefois comprendre que si cohabitation il devait éventuellement y avoir entre une quelconque loi fédérale sur les relations entre les banques et leurs clients ou le public et la Loi sur la protection du consommateur, le gouvernement du Canada ne pourrait plus prétendre que ses mesures en matière de services bancaires sont complètes, et encore moins qu’elles sont exclusives.

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