Chronique

Les avantages collatéraux de l’ère Trump

C’est la fin d’une ère. Mais c’est aussi, forcément, un début. Le début de quoi ? J’ose espérer, en regardant l’hélicoptère transportant les Obama s’élever dans le ciel gris de Washington, que ce n’est pas le début du déclin.

« Tout commence aujourd’hui ! », a déclaré Donald Trump, hier, peu avant sa prestation de serment. Il reste à voir ce que ce « tout » inclut… Son discours d’investiture résolument populiste, à l’image de sa campagne, exhibait un « tout » qui exclut beaucoup d’espoir.

J’ai bien du mal à voir avec optimisme une Amérique dirigée par un président populiste, misogyne, xénophobe et impétueux qui croit que le réchauffement climatique est un mythe. Mais je me dis, peut-être pour mieux m’en convaincre, que son arrivée au pouvoir comporte aussi quelques avantages. Appelons ça des avantages collatéraux. Des brèches dans la profonde déprime des anti-Trump d’où émergent des lueurs d’espoir.

Quelles lueurs pour ceux qui n’épousent pas les idées de l’homme d’affaires sans expérience politique qui occupe désormais le poste le plus prestigieux du monde ? Il y a d’abord l’émergence, dans l’adversité, d’une résistance sans précédent. Comme nouveau président, Trump bat déjà des records d’impopularité. Involontairement, il contribuera à faire l’éducation politique de toute une génération indignée.

Comme l’écrivait dans les pages du Guardian la militante féministe Gloria Steinem, au lendemain de l’élection de Trump, l’heure n’est pas aux lamentations. « Nous n’allons pas pleurer, nous allons nous organiser. »

C’est exactement ce que les opposants de Trump tentent de faire. Car accepter le résultat du processus démocratique ne signifie pas qu’il faille se taire pendant quatre ans.

Aujourd’hui, dans les rues de Washington, de Montréal et d’ailleurs, des femmes marcheront à l’occasion de la Million Women March. Des hommes marcheront aussi à leurs côtés. On s’attend à ce que la manifestation, née d’un cri du cœur féministe dans les réseaux sociaux, soit une des plus importantes manifestations de l’histoire américaine. Elle ralliera une foule hétéroclite de citoyens inquiets qui ont à cœur des enjeux progressistes. Égalité hommes-femmes, droits des minorités, liberté de la presse, droit à l’avortement, accessibilité des soins de santé, contrôle des armes à feu, environnement…

Ce n’est pas un hasard si on a choisi d’organiser la marche dès l’arrivée en poste du nouveau président.

Il s’agissait ici d’envoyer un signal clair, de se faire le porte-voix des plus vulnérables dont les droits risquent d’être mis à mal par l’administration Trump. Les femmes, les minorités ethniques et sexuelles, les sans-papiers, les pauvres…

Trump, tout en prétendant parler au nom du « vrai monde » floué par l’establishment, en a inventé un faux où les changements climatiques sont une fumisterie, les femmes sont tout juste bonnes à être « attrapées par la chatte », les malades qui n’ont pas les moyens de payer leurs soins de santé n’ont qu’à se débrouiller… Rien de mieux pour éveiller les consciences endormies de citoyens écologistes, pour raviver la flamme féministe, pour mobiliser les défenseurs de la justice sociale.

Autre avantage collatéral : bien involontairement encore, Trump a incité des médias sérieux à redoubler d’ardeur, investissant davantage dans l’enquête et la vérification des faits. Il a aussi incité des citoyens, qui ne sont pas prêts à faire leur l’ère post-factuelle ou à confier leur esprit critique à Facebook, à encourager le journalisme de qualité. Des médias comme le New York Times, le Washington Post, NPR, ProPublica et le Guardian ont vu leur nombre d’abonnements et leurs dons augmenter.

En reportage à Washington, ma collègue Laura-Julie Perreault racontait que la direction du Washington Post a répondu à l’intimidation du clan Trump en créant deux nouvelles équipes d’enquête regroupant 15 journalistes. L’une scrutera à la loupe les entreprises de Trump et les possibles conflits d’intérêts. L’autre se veut une « force de réaction rapide » qui mènera des enquêtes sur le nouveau président et les membres de son administration. Devant un président qui n’a que très peu d’égards pour la liberté de la presse et pour les faits, préférant fabriquer sa propre vérité en tweetant, ce rôle de chien de garde semble à la fois plus complexe et plus nécessaire que jamais.

« Trump is making journalism great again », a écrit cette semaine le journaliste de Politico.com Jack Shafer. Alors que certains craignent un long hiver rigoureux pour les médias américains déjà fragilisés et en panne de crédibilité, il préfère voir les choses d’un autre œil. L’arrivée de Trump à la Maison-Blanche pourrait bien marquer un « printemps journalistique ». Quelque chose comme un printemps collatéral…

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