Coup de grâce

SAINT-GÉRARD-MAJELLA — Elle n’était ni exceptionnelle ni très grande et ne contenait aucune dorure extravagante, mais c’était l’église du village de Saint-Gérard-Majella, construite il y a plus d’un siècle par une poignée de paroissiens fiers de ce point d’ancrage dans le paysage de la Yamaska. Il y a deux semaines, l’église a été rasée.

Tout s’est déroulé rapidement comme s’il fallait oublier la lente agonie des dernières années.

Sept heures ont été nécessaires aux démolisseurs et à leur lourde machinerie pour gruger petit à petit Saint-Gérard-Majella jusqu’à ce qu’il ne reste, à la toute fin, qu’un pan du chœur de couleur jaune avec, au fond, une porte de bois ouverte sur le vide.

Les deux clochers de Saint-Gérard-Majella sont tombés l’un après l’autre sous la pluie battante, en créant chaque fois un immense nuage de poussière teinté de rose. À peine une quinzaine de personnes ont assisté au coup de grâce porté à la petite église. Il n’y avait ni surprise ni révolte. La démolition semblait accueillie presque avec un haussement d’épaules.

« Qu’est-ce qu’on peut y faire quand plus personne ne peut entretenir l’église ? », a laissé tomber Germaine Tessier. « On n’a pas le choix », a ajouté Mariette Mondou, qui s’était abritée sous le porche de l’ancien presbytère afin de ne rien manquer de la scène.

Une semaine plus tôt, quelques villageois avaient assisté à la descente de la cloche qui s’était tue depuis longtemps. « On ne sonnait plus l’angélus depuis des années », a fait remarquer Réal Mondou lors de la démolition. Sa conjointe, Pauline, a été la seule dans l’assistance à se désoler de la démolition de la petite église de briques rouges. 

« C’est l’âme du village qui disparaît. En campagne, c’est le clocher qui sert de repère. »

— Pauline Mondou, villageoise

Scène connue

Chaque année, des dizaines d’églises au Québec sont vendues, transformées, recyclées ou même démolies parce que les fidèles ne sont plus au rendez-vous et qu’elles sont devenues un fardeau financier trop lourd. Depuis 15 ans, c’est près de 500 églises qui ont ainsi été touchées.

Si certaines d’entre elles trouvent une nouvelle vocation, d’autres, comme Saint-Gérard-Majella, sont vouées à la mort car ni les paroissiens ni l’évêque du diocèse ne peuvent ou ne veulent conserver l’église debout. Au Conseil du patrimoine religieux du Québec (CPRQ), on se désole du peu d’effort de certaines communautés pour trouver une solution de rechange.

« Au Québec, on saute vite à la conclusion qu’il n’y a rien à faire avec les églises, estime Denis Boucher, conseiller au sein du CPRQ. Est-ce qu’à Saint-Gérard, on a vite jeté les dés ? La décision de démolir illustre l’importance qu’on accorde à la valeur ajoutée – bien que ce soit difficile à mesurer –, du patrimoine. Au-delà des pieds carrés qu’on peut utiliser, il y a une contribution réelle du patrimoine. Il a un impact culturel et social comme l’attachement à un village, la fierté de la population. C’est de l’ordre de la perception. »

Du neuf

Du côté de Saint-Gérard-Majella, la perspective est tout autre. La municipalité a acheté l’église pour la somme symbolique de 1 $ en sachant très bien qu’il était impossible d’obtenir une aide financière du gouvernement pour la rénover. Une subvention de 1,2 million a toutefois été accordée pour la démolition de l’église et la construction d’un nouvel édifice multifonctionnel, « mieux adapté aux besoins de la population », souligne la directrice générale, Anny Boisjoli.

« On avait des vues sur l’église dont la vie utile achevait. Il y avait de moins en moins de gens qui la fréquentaient et notre parc municipal avec le chalet des loisirs est sur le terrain de l’église. Alors, en 2012, il y a eu une consultation sur l’avenir de l’église. Il n’y avait que cinq citoyens qui étaient prêts à aider financièrement la rénovation. Ç’a aidé à la prise de décision », relate Mme Boisjoli.

Mobiliser la population, trouver une idée pour une nouvelle vocation et solliciter du financement, c’est un véritable parcours du combattant, reconnaît Denis Boucher. « La seule entité qui a la capacité de reprendre l’immeuble est la municipalité. Mais cela implique que le monde municipal réfléchisse à ce qui peut être fait et quels sont les besoins de la communauté. »

Mais de toute évidence, l’intérêt est mitigé. À la municipalité régionale de comté (MRC) de Pierre-de-Saurel dont fait partie Saint-Gérard-Majella, la préoccupation patrimoniale passe derrière la valeur du terrain occupé par les églises qui sont au cœur des villages. 

« Les municipalités ne sont pas tellement intéressées à récupérer les églises. C’est surtout le terrain qui a du potentiel. Le problème, c’est le financement. C’est là la vraie bataille. »

— Gilles Salvas, préfet de la MRC

Quant à l’intérêt du clergé de sauver les églises, il semble se réduire au même rythme que la collecte annuelle de la dîme auprès des fidèles. En fait, la tendance actuelle de l’Église est d’allouer ses ressources financières au travail pastoral. « La vraie église est à l’intérieur de nous », soulignait le curé de Saint-Gérard-Majella, Lionel Émard, le jour où l’église a été désacralisée, l’année dernière.

À la fin de la journée de démolition, il ne restait plus qu’un amoncellement de briques et de bois ainsi que le souvenir de l’église Saint-Gérard-Majella. Quelques artefacts ont été conservés pour faire le rappel historique dans le nouvel édifice qui devrait être prêt au début de l’automne. L’inauguration n’est toutefois prévue qu’après les élections municipales du 5 novembre.

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