Chronique

Où vont les 650 millions du Fonds vert ?

Le gouvernement du Québec est-il efficace dans sa lutte contre les changements climatiques ? Nos décideurs investissent-ils judicieusement l’argent du Fonds vert pour atteindre l’objectif de 2030 de réduction des gaz à effet de serre (GES) ?

Ces questions financières ne sont pas accessoires dans le débat. Le gouvernement consacre au moins 650 millions par année du Fonds vert à réduire les GES, soit 90 % de l’enveloppe de ce fonds (1). Il s’agit d’une somme colossale, financée essentiellement par les revenus tirés de la vente de droits d’émission de GES sur le marché du carbone.

Pour juger de l’efficacité des mesures, j’ai cherché à savoir combien coûte au gouvernement l’élimination annuelle d’une tonne de carbone (ou d’équivalent carbone). Est-ce plus ou moins élevé que le prix qui doit être payé sur le marché du carbone pour avoir le droit de polluer (18,50 $ la tonne lors de la dernière enchère) ?

Les résultats sont parfois très surprenants.

À ce sujet, le fascicule Changements climatiques, produit par le ministère des Finances du Québec, est fort instructif. Rendu public en même temps que le budget de mars dernier, ce document nous renseigne sur les sommes allouées pour différentes mesures, notamment.

En questionnant le ministère des Finances, j’ai pu obtenir des données encore plus précises permettant de faire une comparaison avec le prix fixé sur le marché du carbone.

Chauffage au mazout

D’abord, première constatation : les mesures les plus efficaces ne sont pas celles auxquelles on s’attendait. Ainsi, les subventions que verse le gouvernement pour inciter les ménages à abandonner leurs chaudières au mazout pour un chauffage à l’énergie renouvelable sont celles qui sont les moins coûteuses.

À ce jour, ce programme Chauffez vert a permis de supprimer l’équivalent de 103 000 tonnes de GES par année. L’aide financière de 16 millions du gouvernement entre les années financières 2013 et 2016 revient donc à 7,70 $ la tonne, soit 2,5 fois moins que le prix négocié sur le marché.

Un programme semblable, mais lié à l’efficacité énergétique des entreprises et des établissements (ÉcoPerformance) donne aussi des résultats intéressants, puisqu’il a permis de supprimer 516 300 tonnes par année moyennant une subvention de Québec de 21 $ la tonne.

Pour vous permettre de comparer, sachez qu’un véhicule automobile moyen produit 3,2 tonnes de GES par année. 

Et que l’exploitation du Réseau express métropolitain (REM) pourrait réduire les GES de 26 000 tonnes par année.

Parmi les autres programmes recensés, mentionnons celui pour le chauffage à la biomasse forestière (37 $ la tonne) ou la biométhanisation et le compostage des déchets organiques des municipalités (50 $ la tonne). Dans ce dernier cas, le coût par tonne devrait être moindre, puisque les sommes engagées n’ont pas pour seul but de réduire les GES.

Autre élément : la réglementation du ministère de l’Environnement. Son coût est négligeable pour le gouvernement et donne des résultats en matière de réduction de GES (1 200 000 tonnes), mais la facture est plus lourde pour les entreprises, ce que n’englobent pas nos calculs.

Maintenant, les surprises. D’abord, l’aide financière pour les véhicules électriques revient à 207 $ la tonne de carbone économisée, estime le ministère des Finances, ce qui en fait un programme nettement plus coûteux que les autres.

Nuance, tout de même : Québec espère que son programme finira par créer une masse critique et que les prix des véhicules finiront par diminuer significativement, de sorte qu’il pourra progressivement éliminer la subvention de 8000 $ par véhicule. Un tel scénario permettrait de ramener à 0 $ par tonne l’aide du gouvernement. Y parviendra-t-on ?

Transports en commun

Autre surprise, et de taille : l’aide financière du gouvernement pour certains projets de transports en commun des municipalités (140 millions par année) permet d’éviter seulement 30 000 tonnes de GES. Coût par tonne : 4666 $ !

La facture pour le gouvernement surprend, étant donné que tous les experts en environnement jugent que le transport collectif est l’une des avenues à privilégier pour lutter contre les GES.

Différentes raisons expliquent ce « coût de revient » élevé. D’abord, seuls la hausse de l’achalandage du transport collectif et son impact sur le recours moindre aux automobiles et leurs GES sont pris en compte dans les calculs. 

L’estimation ne tient pas compte de la pollution causée par la congestion automobile qu’engendrerait l’abandon d’un réseau de transport collectif, par exemple.

Autre élément, encore plus important : le transport collectif a bien d’autres avantages économiques non environnementaux. Il rend les déplacements plus efficaces, ce qui profite aux entreprises et à l’économie. De plus, il est un moyen de transport économique pour les gens à plus faibles revenus, notamment les étudiants.

Malgré tout, l’investissement du gouvernement apparaît déraisonnable en regard des résultats. En effet, les fonds engagés, qui émanent du Fonds vert, doivent servir à réduire les émissions de GES, pas à améliorer les externalités positives des transports en commun. Pour cet autre objectif, m’est avis que l’argent devrait venir d’un autre fonds, pas du Fonds vert.

(1) En plus des 650 millions venant du Fonds vert, d’autres fonds servent à aussi réduire notamment les GES, dont plus de 80 millions additionnels accordés à Transition énergétique Québec par l’entremise du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.