Économie du Québec

Comment ça va, le Québec ?

Le taux de chômage est au plancher, la création d’emplois au plafond. L’économie du Québec ne s’est jamais mieux portée, selon les plus récentes statistiques. En prenant un peu de recul, il semble toutefois que la machine commence à s’essouffler.

UN DOSSIER D'HÉLÈNE BARIL

« La croissance est là », mais pour combien de temps ?

Avec ses hauts et ses bas, l’état de santé général de l’économie québécoise s’est amélioré constamment depuis 35 ans. Un indice reliant 26 variables mis au point par l’économiste François Delorme pour la firme PwC montre une courbe ascendante et une amélioration de 23,17 % au cours de la période de 1980 à 2016.

« On s’intéresse à l’état des fondations, pas aux chiffres trimestriels, explique François Delorme. Même s’il y a le party au 18e étage, ça ne veut pas dire que les fondations sont solides. »

Et elles sont dans quel état, les fondations de notre économie ? L’Indice de santé de l’économie québécoise constate qu’elles deviennent plus friables. Comme le montre le portrait graphique de ces 35 dernières années, la courbe reste résolument ascendante, mais elle a tendance à s’aplatir depuis 2010.

C’est la croissance économique, le taux de diplomation postsecondaire et les investissements dans les infrastructures qui ont fait avancer le Québec au cours des 35 dernières années.

Et ce sont les importations, la disparition d’entreprises, la diminution de la population en âge de travailler et le poids de la dette qui ont le plus contribué à le ralentir.

Le boulet du vieillissement

La période la plus récente représentée dans la courbe, soit 2010-2016, est influencée par le vieillissement de la population et la faiblesse de l’investissement, notamment dans les technologies de l’information et des communications.

La démographie joue un rôle central dans la croissance économique. Une population qui augmente et se renouvelle alimente la demande en biens et services et la croissance de l’économie. Le Québec est-il condamné à traîner le vieillissement de sa population comme un boulet ?

Pas nécessairement, estime Benoit Dostie, professeur à HEC Montréal, qui a participé récemment à un débat autour de l’Indice de santé de l’économie du Québec.

« La population du Québec n’est pas en décroissance et il y a l’immigration qui vient compenser », explique-t-il.

Une population vieillissante a aussi des besoins, ce qui peut générer de la croissance sous des formes différentes de celles qu’on a toujours connues.

Actuellement, le professeur constate que les données récentes sont à l’évidence positives. « Ça va bien, la croissance est là. »

Pour lui, les pénuries de main-d’œuvre ne sont pas nécessairement négatives. Elles forcent à puiser dans des bassins de main-d’œuvre sous-utilisés, à faire plus de formation et à investir dans la robotisation.

Ce qui l’inquiète, c’est la participation des moins diplômés à la population active. Le fossé s’élargit entre ceux qui sont titulaires d’un diplôme et les autres travailleurs. Aux États-Unis, ce fossé s’est creusé et il s’élargit au Québec aussi, explique-t-il.

L’autre problème de l’économie québécoise, celui des départs à la retraite hâtifs, est en voie de se résorber, selon l’économiste. « Les efforts des gouvernements pour garder les travailleurs âgés actifs plus longtemps connaissent un certain succès, estime-t-il. Et c’est important pour les entreprises de pouvoir compter sur des travailleurs d’expérience qui peuvent transmettre les connaissances. »

Le spécialiste de HEC Montréal est relativement optimiste pour l’avenir du Québec. « Si vous m’aviez posé la question il y a six mois, je l’aurais été beaucoup plus », dit-il.

Selon lui, de lourds nuages arrivent du sud de la frontière avec la guerre commerciale déclarée par l’administration Trump.

Des dommages sont à prévoir pour les économies du Canada et du Québec.

L’économie québécoise vue d’ailleurs

Les Québécois qui résident et travaillent à l’étranger ne peuvent s’empêcher de s’intéresser à ce qui se passe ici. Témoignages d’expatriés.

Charles St-Arnaud Londres

Stratège en investissement pour la banque suisse Lombard Odier

Je suis toujours l’actualité économique canadienne et québécoise. Dans mon emploi précédent [chez Nomura], j’étais l’économiste [chargé d’observer le] Canada, ça faisait donc partie de mon travail d’être au fait des développements de l’économie canadienne. Actuellement, chez Lombard Odier, [je me concentre] beaucoup moins sur le Canada, mais je continue à suivre l’actualité, car ça peut servir d’exemple pour expliquer à nos clients ce qui se passe ou pourrait se passer ailleurs.

Le Canada s’est bien tiré de la crise financière et de la récession de 2008-2009, mais au prix d’une plus grande vulnérabilité venant des déséquilibres au niveau du bilan des ménages (trop d’endettement) et du marché de l’habitation. Ceci rend l’économie vulnérable aux chocs.

Du côté positif, l’économie du Québec semble s’être améliorée au cours des dernières années, tant du point de vue du marché du travail que de la situation fiscale.

À moyen terme, je dirais que les perspectives pour le Québec sont neutres ou légèrement moins bonnes.

Une façon de voir l’effet de l’endettement des ménages, c’est que l’on a emprunté de la croissance future au cours des dernières années, qui devra être remboursée dans les prochaines années avec une croissance plus faible. De plus, le haut niveau d’endettement rend l’économie très sensible aux hausses de taux d’intérêt et autres chocs.

Les tensions commerciales avec les États-Unis sont aussi un gros risque, étant donnée l’importance des activités d’importations et d’exportations entre le Canada et les États-Unis. Cela renforçait l’importance de diversifier ses relations commerciales et d’établir de nouveaux liens ; le PTP avec l’Asie et l’AECG avec l’Europe sont des développements positifs pour élargir les marchés potentiels.

Jean-François Perreault Toronto

Vice-président principal et économiste en chef, Banque Scotia

C’est vraiment une belle période que vous vivez au Québec. L’économie se porte très bien, et ce, peu importe où on regarde, le taux de chômage, la création d’emplois, l’investissement.

Si le Québec fait mieux que l’Ontario, c’est entre autres parce qu’il y a eu des baisses d’impôt qui ont contribué à soutenir la croissance et que le climat politique et économique est meilleur qu’en Ontario pour les entreprises.

Une des forces du Québec, c’est la haute technologie, qui évolue très bien et qui peut continuer à se développer, dans la mesure où il est capable d’attirer des gens de qualité.

La démographie est toutefois clairement un enjeu. Si on regarde l’économie comme une entreprise, la croissance est liée à deux facteurs, les travailleurs et la technologie. Quand le nombre de travailleurs n’augmente plus ou se met à diminuer, ça met un frein à notre capacité de croissance. Tous les pays industrialisés vivent la même situation, mais le problème est particulièrement aigu au Québec.

Je reste relativement optimiste pour le moyen terme, dans la mesure où on évite une guerre commerciale avec les États-Unis. Les tarifs vont avoir un impact sur l’économie de l’Ontario et du Québec, mais aussi sur l’économie des États-Unis. Nous révisons d’ailleurs nos prévisions de croissance à la baisse pour l’économie américaine. Si l’économie américaine ralentit, ça aura aussi un impact au Canada et au Québec.

René Francoeur New York

Courtier spécialisé en énergie

Je réside et travaille au New Jersey depuis 2001 et je suis sur le point d’avoir la citoyenneté américaine.

Le principal problème du Québec, c’est celui qui m’a fait partir. L’État est partout et les taux d’impôt sont trop élevés.

Je suis né au Lac-Saint-Jean d’une mère anglophone et d’un père francophone. Je me suis toujours senti plus canadien que québécois. Quand j’ai eu le choix de travailler à Toronto, où c’est un peu comme au Québec, ou aux États-Unis, j’ai choisi les États-Unis parce qu’il y a plus de possibilités.

Sur ce point, ça n’a pas beaucoup changé, même que l’Ontario a suivi le même chemin que le Québec. Ça va peut-être changer avec l’élection de Doug Ford. Normalement, le Canada fait la même chose que les États-Unis avec trois ou quatre ans de retard.

L’économie du Québec va beaucoup mieux, c’est un fait. Il y a une diversification économique qui s’est faite. Il y a plus de place pour les entrepreneurs et les petites entreprises technologiques ont plus de possibilités.

Mais l’État prend encore trop de place. Il faut toujours traiter avec le gouvernement, même pour des questions qui n’ont rien à voir. Ça envoie de mauvais signaux. C’est pour ça que le Québec perd du terrain par rapport aux autres provinces.

Pour l’avenir, ça risque d’être difficile. Avec la réforme fiscale aux États-Unis, le Canada a perdu l’avantage fiscal qu’il avait. Il lui reste le taux de change. Mais la guerre commerciale risque de lui faire mal.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.