Livre Maximiser le potentiel économique du Québec

Pour améliorer le modèle québécois

Dans cet extrait, Jean-Luc Landry, PDG de Gestion de portefeuille Landry, fait quelques suggestions pour améliorer un modèle qui date de la Révolution tranquille.

Les Québécois gèrent leurs choix économiques et sociaux d’une manière différente des autres communautés d’Amérique du Nord. Il en résulte le modèle québécois, lequel est plus près de certains modèles européens que de ceux des autres pays d’Amérique du Nord. Les Québécois sont très attachés à ce modèle, qui date de la Révolution tranquille, mais après 50 ans de fonctionnement, nous devons constater qu’il n’a pas offert toute l’efficacité espérée.

À long terme, le niveau de vie des communautés qui traitent ensemble tend à converger. Il y a 50 ans, lorsque René Lévesque a nationalisé l’électricité et que Paul Gérin-Lajoie a fondé le ministère de l’Éducation, le Québec était une des communautés les plus pauvres en Amérique du Nord : une comparaison du revenu moyen par habitant entre le Québec, les neuf autres provinces canadiennes et la cinquantaine d’États américains montre que le Québec, à ce moment-là, se situait en queue de peloton. Ce fait est incontestable. Ce qui est aussi incontestable, mais moins bien accepté de nos jours, c’est que le Québec n’a pas fait beaucoup de progrès dans le classement depuis 50 ans. Encore aujourd’hui, le revenu moyen par habitant au Québec se situe à l’un des rangs inférieurs du groupe.

Tout n’est pas noir cependant, car beaucoup de progrès a été accompli sur d’autres plans. Par exemple, la société québécoise est plus égalitaire que la moyenne du groupe mentionné plus haut. Mais force est de constater que le modèle québécois ne conduit pas à une croissance économique plus forte que la moyenne et qu’il constitue peut-être même une entrave à la croissance.

Le modèle québécois est caractérisé par une plus grande intervention gouvernementale qu’ailleurs et par une offre de services gratuits ou très en deçà du coût de production (par exemple pour les garderies). Voici des propositions qui permettraient à la société québécoise d’être plus efficace et d’augmenter son niveau de vie sans renier les objectifs fondamentaux de son modèle. […]

ÉLIMINER LES MONOPOLES ET FAVORISER LA CONCURRENCE

Dans la plupart des pays, il est illégal de tenter de former un monopole, parce que nous savons que les compagnies qui détiennent un monopole deviennent inefficaces tôt ou tard et vont fixer leurs prix de vente à un niveau bien au-dessus de leurs coûts de production. L’entreprise va s’arranger pour limiter l’information disponible sur son mode de fonctionnement et pourrait aller jusqu’à créer une pénurie pour maintenir des prix élevés. Une fois qu’un monopole est créé, il est très difficile de s’en défaire, car il va utiliser toutes les ressources disponibles pour maintenir le statu quo.

La concurrence est la meilleure garantie de bon fonctionnement d’une économie ; on peut donc se demander pourquoi permet-on au gouvernement d’opérer en situation de monopole, ou à certains groupes de restreindre l’offre alors que nous savons que ceci nuit au bon fonctionnement de l’économie.

Le cas le plus évident est celui de la Société des alcools du Québec (SAQ). Le monopole d’État pour la vente d’alcool pouvait peut-être se justifier au début du siècle dernier, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. La SAQ se trouve d’ailleurs constamment en conflit d’intérêts, parce qu’elle doit d’une part générer les profits les plus élevés possible et d’autre part ne pas encourager la consommation excessive d’alcool. La SAQ devrait être privatisée et le produit de la vente de la société devrait être affecté à la réduction de la dette. En même temps, le marché de la vente d’alcool devrait être ouvert à la concurrence.

Le monopole le plus important dans notre société après celui de la santé est celui d’Hydro-Québec. Hydro-Québec a été extrêmement utile pour le développement du Québec, car sa création a permis le développement d’immenses complexes hydroélectriques qui produisent à un coût très compétitif. Cependant, Hydro-Québec est beaucoup moins compétitive depuis quelques années à cause de l’écrasement du prix du gaz naturel. (La valeur économique d’Hydro-Québec a probablement baissé de moitié depuis cinq ans.) De plus, la société d’État devra faire face à de nouvelles formes de concurrence dans un avenir assez rapproché, car le marché de l’énergie va subir de grandes mutations au cours des prochaines années avec la baisse rapide du coût de production à partir d’éoliennes, de panneaux solaires et de batteries de grande taille. Ces changements vont nécessiter l’adaptation des réseaux de distribution et il sera très difficile pour un monopole de s’adapter à ces changements. La privatisation du réseau de distribution d’Hydro-Québec permettrait à cette société une plus grande agilité et l’ouverture du marché à d’autres réseaux privés permettrait la concurrence. Évidemment, le gouvernement maintiendrait la propriété des barrages et la Régie de l’énergie continuerait de fixer les tarifs pour le réseau principal.

Qu’on ne se fasse pas d’illusions, Hydro-Québec n’est pas une société indépendante du gouvernement : elle a un conseil d’administration, mais celui-ci est complètement inféodé aux ordres du gouvernement en place. Déjà, les coûts de production des éoliennes et des panneaux solaires ont baissé de moitié en cinq ans. Dans le cas des panneaux solaires, par exemple, la loi de Swanson (similaire à la loi de Moore pour les semi-conducteurs) stipule que le coût d’un panneau baisse de moitié pour chaque 20 % d’augmentation de la production. Ces deux systèmes de production ne peuvent pas fonctionner constamment : l’un a besoin de vent et l’autre de soleil. Il faut donc des systèmes qui peuvent prendre la relève lorsqu’il n’y a pas de vent ou de soleil. En ce moment, Hydro-Québec jouit d’un grand avantage compétitif parce que ses centrales hydroélectriques peuvent produire de l’électricité n’importe quand, mais cet avantage va s’éroder lorsque le prix des batteries va commencer à baisser, ce qui ne saurait tarder. À part les deux sociétés d’État citées plus haut, la réglementation limite la concurrence au Québec dans une foule de cas. Au départ, ces systèmes ont été mis en place avec des objectifs louables, mais avec le temps, ils finissent par se dénaturer, et les coûts se mettent à dépasser de loin les bénéfices. C’est toujours ce qui arrive lorsqu’on limite la concurrence.

UN BUREAU INDÉPENDANT DU BUDGET

Le modèle est récurrent. Les partis politiques font des promesses pendant les campagnes électorales. Lorsqu’un parti est élu, il s’empresse de constater que les finances publiques sont en bien pire état que ce qu’il pensait, ce qui le force à renier une partie de ses promesses.

On ne peut pas empêcher un politicien de faire des promesses, alors comment remédier à la situation ? Nous avons plutôt besoin d’un bureau indépendant du budget qui se rapporte directement à l’Assemblée nationale. Ce bureau aurait pour mission de faire des prévisions budgétaires à court et à long terme sur les revenus et les dépenses du gouvernement, compte tenu des lois en vigueur et des changements envisagés.

Préparer le budget annuel du gouvernement du Québec est un exercice très complexe, c’est un document qui compte des centaines de pages avec des analyses très détaillées. Les fonctionnaires qui préparent ce budget sont très compétents, mais ils ne peuvent pas être complètement indépendants du ministre des Finances qui, lui, ne peut pas être complètement objectif. Seul un organisme indépendant, qui relèverait de l’Assemblée nationale avec des ressources suffisantes, pourrait faire des analyses complètement objectives. Ce bureau aurait la responsabilité de mesurer les conséquences à long terme des choix du gouvernement et de faire des prévisions.

Le bureau aurait aussi deux autres responsabilités. D’abord, il devrait faire le point continuellement sur la qualité des infrastructures du gouvernement et évaluer les coûts pour les maintenir en bon état. Un politicien ne gagne pas des votes en réparant un pont ou le toit d’une école. Il aura donc tendance à remettre ces dépenses à plus tard, avec les résultats que l’on connaît.

Deuxièmement, le bureau serait chargé de faire des analyses comparatives sur la rémunération des employés de l’État, incluant tous les avantages marginaux comme l’assurance maladie et les caisses de retraite. Les comparaisons devraient être faites avec le secteur privé et avec le secteur public des États voisins.

Ces analyses sont nécessaires parce que le processus de négociation des conditions de travail entre le gouvernement et les grandes centrales syndicales ne fonctionne pas comme dans le système privé. Les centrales syndicales sont tellement puissantes qu’une grève peut ralentir toutes les opérations du gouvernement ou même forcer la fermeture d’un ministère pendant plusieurs jours. Cette puissance est leur talon d’Achille, parce qu’elles ne peuvent pas l’utiliser sans perdre le soutien du public. Ceci permet au gouvernement de passer une loi pour fixer unilatéralement la rémunération des employés lorsqu’il a le soutien de l’opinion publique. En fin de compte, c’est l’opinion publique qui décide, et celle-ci a besoin d’avoir l’heure juste sur la rémunération. […]

PRIVILÉGIER MONTRÉAL

Malgré les milliards de subventions vouées aux régions depuis 40 ans, le développement économique est demeuré concentré dans les grandes agglomérations métropolitaines, et cette tendance va continuer. D’une part, c’est dans les agglomérations métropolitaines que se trouvent les universités, où se fait la grande majorité de la recherche, et les grappes de développement économique les plus avancées, comme l’informatique, la biochimie et l’aéronautique. C’est aussi là que sont gagnés les salaires les plus élevés. D’autre part, les jeunes quittent les régions à la recherche d’un meilleur emploi ; la population y vieillit ainsi plus rapidement que celle des villes. Les économistes n’ont pas trouvé de méthode efficace pour développer les régions, alors, qu’on ne s’y trompe pas : une subvention gouvernementale pour le développement régional est beaucoup plus le résultat d’un calcul politique que celui d’une analyse économique.

Les gouvernements ont naturellement tendance à favoriser leur capitale nationale, et des deux principales agglomérations métropolitaines du Québec, soit Montréal et Québec, Québec a été la plus favorisée, surtout dans le domaine du transport. Québec a un réseau routier efficace tandis qu’à Montréal les infrastructures sont les mêmes qu’il y a 25 ans alors que le nombre d’automobiles a doublé. Les infrastructures à Montréal n’ayant pas été entretenues, elles nécessitent de constantes réparations qui causent de la congestion routière pendant que le transport en commun est aussi congestionné. Dans ce domaine, Montréal manque autant de planification intelligente que de financement. […]

Une bonne planification sera d’autant plus importante que le secteur des transports va subir de grandes transformations au cours de la prochaine décennie, non seulement avec la généralisation de la voiture électrique, mais surtout avec l’arrivée de la conduite automobile par ordinateur. On peut facilement imaginer, par exemple, une série de petits autobus sans chauffeurs sur le boulevard Pie-IX au lieu de gros autobus articulés pesants et peu flexibles. Pour le transport en commun, flexibilité sera le mot d’ordre des prochaines années.

En ce qui a trait au transport privé, le modèle de la grosse automobile pouvant accommoder cinq passagers dans laquelle se déplace le plus souvent un seul passager (80 % du temps) va être remplacé de plus en plus par de plus petites voitures, souvent louées à court terme pour des déplacements très précis. Dans un environnement aussi changeant, il sera possible de gaspiller beaucoup d’argent pour des projets qui pourraient rapidement devenir désuets.

Or, dans le domaine de la planification à long terme, les gouvernements sont spécialement ineptes (on n’a qu’à penser à l’aéroport de Mirabel). Montréal a donc besoin d’un organisme responsable de la planification des transports pour toute la région. Celui-ci devrait relever directement du gouvernement du Québec et être suffisamment efficace pour avoir accès aux milliards que le gouvernement fédéral va investir dans les infrastructures québécoises au cours des prochaines années.

Maximiser le potentiel économique du Québec

13 réflexions

Sous la direction de Mario Lefebvre

Avec Marcelin Joanis et Luc Godbout

Les Presses de l’Université Laval

Collection « Point de mire sur le Québec économique »

Québec 2016

189 pages

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