TÉMOIGNAGE

Seul

Avant de commencer, je tenais juste à vous dire que oui, c’est vrai, ce discours, je le fais dans le cadre d’un cours de français au cégep dans une classe remplie d’élèves qui sont probablement tannés d’en entendre parler depuis trois semaines… Mais avant tout, ce discours, je le fais pour moi, pour vous, et pour toutes les personnes en dehors de cette classe.

Je vais commencer avec une histoire. C’est l’histoire d’un gars dont le nom n’est pas important dans une école qui n’est pas importante. 

Ce gars, il n’a pas d’amis. Il est seul le matin, il est seul aux pauses et il mange seul le midi. Pourquoi ? Parce que ce gars, il est différent, unique, mais pas de l’extérieur, c’est pas physique.

Sa différence, elle est mentale, ça ne se voit pas. Par contre, tout le monde le sait, que c’est un « fucké ». 

Vous voyez, le problème avec les déficiences mentales, c’est justement que c’est pas visible, alors les gens en rient et se permettent de faire des commentaires blessants et déplacés, alors que si c’était une déficience physique, en rire ne serait pas accepté.

Bref, tous les matins, ce gars se lève de son lit en se disant que c’est une nouvelle journée qui commence, une nouvelle chance de prouver sa valeur parce qu’il en a, de la valeur. Il est intelligent, drôle, gentil, tellement gentil, mais surtout, unique. Puis, tous les soirs, il revient le dos courbé, la mine défaite et les yeux pleins d’eau. 

Toute la journée, les jeunes l’ont ignoré, et quand on ne l’ignore pas, c’est pour lui dire des bêtises comme « crisse que tu comprends rien ! » ou « ça se peut-tu, être attardé comme toi ! ». Comment pensez-vous qu’il peut avoir une bonne estime de lui si c’est comme ça qu’on le traite tous les jours ?

Mais bon, à la maison, on lui dit que c’est pas grave, que ça va aller mieux demain. Sa famille tente du mieux qu’elle peut de lui faire comprendre qu’il est important et que des gens l’aiment ou l’apprécient. Alors, il va se coucher en se sentant un peu mieux, du moins, c’est ce qu’il veut faire croire. Ça continue comme ça jusqu’au jour où il n’en peut plus. 

Il se rend à l’école et annonce à l’enseignant en qui il a le plus confiance qu’il veut mettre fin à ses jours, ben oui, se suicider. 

Alors, on appelle sa mère, on appelle son père et on rencontre sa sœur pour qu’ils puissent lui parler. Ensuite viennent toutes les rencontres avec les psychologues, pédopsychiatres, travailleurs sociaux et médecins. Un jour, il y a même un brillant médecin qui lui dit : « Tiens, prends des médicaments, de la drogue soit dit en passant, ça va régler ton problème. »

Régler SON problème, mais vous savez quoi, c’est pas lui qui a un problème. La seule chose qu’on peut lui reprocher, c’est d’être lui-même.

Ceux qui ont vraiment un problème, ce sont tous les gens autour de lui qui s’arrêtent à sa différence et qui le jugent pour ça. Il n’y a personne qui prend vraiment la peine de lui parler et d’écouter ce qu’il a à dire. S’ils le faisaient, ils réaliseraient à quel point ce gars-là est incroyable. Mais, trop coincés dans leur petite bulle de préjugés, ils s’acharnent sur lui, vu qu’il est différent, unique. 

Est-ce que vous avez déjà détaché une corde du cou de quelqu’un ? Je peux vous assurer que c’est une des expériences les plus traumatisantes de ma vie.

Tu as devant toi une des personnes qui comptent le plus pour toi, désespérée au point de vouloir arrêter de vivre. Vous voulez savoir pourquoi cette personne en est arrivée là ? Eh bien, c’est à cause de toi, toi, toi, toi et même toi. C’est à cause de nous tous.

On est tous responsables de ça, parce qu’on ne prend pas réellement la peine de s’intéresser aux gens. On les juge et on les critique sans même connaître la moitié de ce qu’ils sont et de ce qu’ils vivent. 

On dit d’une personne en chaise roulante qu’elle ne fera jamais rien de sa vie, mais c’est peut-être la prochaine médaillée aux Jeux paralympiques.

On dit d’une personne qui ne prend rien au sérieux qu’elle est immature, mais c’est peut-être juste une façade pour cacher sa douleur.

On dit d’une personne autiste, « crisse que tu comprends rien ! » ou « ça se peut-tu, être attardé comme toi ! », mais c’est peut-être le prochain Einstein. Parce que oui, Einstein était autiste. Il avait une déficience mentale, il était différent, et ça ne l’a pas empêché d’être un brillant physicien. 

Les mots, c’est puissant. Les mots, ça peut amener un élève, un jeune comme vous et moi à mettre fin à sa vie. À se suicider juste pour ne plus avoir à supporter le poids des paroles qu’il entend à longueur de journée. 

Arrangez-vous donc pour que vos mots aient un impact positif sur les gens autour de vous. Si vous voyez quelqu’un qui est toujours seul, arrêtez-vous deux minutes pour lui parler. C’est incroyable à quel point des nouvelles rencontres, ça peut être enrichissant.

Si vous voyez des gens en train de rire d’une personne, arrêtez-vous deux minutes pour leur dire à quel point c’est immature et blessant. 

Et si utiliser des mots pour faire le bien c’est trop demander, faites juste des sourires. C’est facile, sourire, et vous n’avez même pas besoin de vous arrêter deux minutes. 

Vous n’avez pas idée de l’impact qu’un sourire peut avoir sur quelqu’un qui se sent seul, qui a l’impression d’être invisible ou que personne ne l’aime. Un sourire, c’est plus qu’un sourire, ça veut dire que vous avez fait un petit effort pour signifier à une personne qu’elle a sa place. 

Peut-être que si plus de gens avaient parlé avec le gars de mon histoire, ou même si on lui avait souri dans les corridors, il ne serait pas en train de se demander en ce moment si la vie vaut la peine d’être vécue.

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